Désigner comme original un tirage en bronze posthume obtenu par surmoulage, porte atteinte au droit moral de l’artiste.

Par Jean-Baptiste Schroeder, Avocat.

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Explorer : # droit moral de l'artiste # reproduction d'œuvres d'art # originalité et authenticité # surmoulage

Saisie de l’interminable saga de "La Vague" de Camille Claude, la Cour d’appel de Versailles décide à son tour qu’un tirage en bronze obtenu par surmoulage ne peut constituer un original. La motivation retenue par les magistrats versaillais n’emporte pas cependant l’entière conviction.

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Pour la Cour d’appel de Versailles, désigner comme original un tirage en bronze posthume, obtenu par surmoulage, porte atteinte au droit moral de l’artiste.

Tel est le sens du dernier arrêt rendu le 19 février 2014 par la Cour d’appel de Versailles dans l’interminable affaire (la Cour d’appel de Versailles note elle-même dans ses motifs que « Le présent arrêt s’inscrit dans une saga judiciaire de notoriété publique dans le monde de l’art et auprès des juristes spécialisés » et en déduit qu’ « il fera lui-même naturellement l’objet de commentaires comme les précédentes décisions rendues, de la part de tous les auteurs qui attendent voire espèrent l’issue du litige ; dès lors, il est inutile de faire droit à la demande de publications d’extraits du présent arrêt et les consorts Bonzon-Claudel en seront déboutés.  ») de La Vague de Camille Claudel.

1. Contexte

Rappelons que La Vague est une œuvre composée de trois éléments réalisés respectivement en marbre (le socle), en onyx (la vague elle-même) et en bronze (un groupe de baigneuses). Cette pièce unique est aujourd’hui exposée au musée Rodin qui l’a acquise de Madame Reine-Marie Paris, petite-nièce et ayant-droit de l’artiste.

Titulaire du droit de reproduction, cette héritière de Camille Claudel avait fait procéder, antérieurement à la vente de l’œuvre au Musée Rodin, à plusieurs tirages numérotés, entièrement en bronze, de l’œuvre et les avait vendus en y joignant un certificat d’authenticité. En l’absence de plâtre, ces tirages avaient été réalisés par surmoulage, à partir de la pièce unique créée par l’artiste.

Estimant que ce tirage constituait une reproduction illicite de l’œuvre originale, non seulement en ce qu’il résultait d’un surmoulage, mais encore en ce qu’il ne respectait pas les matières choisies à l’origine par l’artiste, une autre héritière de Camille Claudel avait saisi le tribunal de grande instance de Paris aux fins d’obtenir la confiscation à son profit de l’exemplaire de « La Vague » ainsi que la réparation du préjudice causé aux titulaires du droit moral.

Dans un arrêt du 27 octobre 2010, la Cour d’appel de Paris avait relevé que « le tirage en bronze incriminé porte le numéro 3/8, ce qui établit son caractère limité ; qu’en outre, l’exactitude du trait n’est pas contestée, étant rappelé que l’infime différence de dimensions invoquée en raison de la reproduction par ‘surmoulage’, à la supposer caractérisée, ne peut plus être opposée en raison de l’accord  » passé entre en les parties. [1].

Cette appréciation avait été sèchement sanctionnée par la Haute juridiction qui énonce «  [2] » [3].
C’est dans ces conditions que la Cour d’appel de Versailles avait été saisie comme cour de renvoi, le débat devant cette juridiction portant pour l’essentiel sur l’atteinte au droit moral.

2. Analyse

La Cour commence par rappeler, non sans laisser transparaître un certain regret à cet égard, que le changement de taille et de matériau utilisé ne peut, « en l’état des décisions irrévocables déjà rendues », être considéré comme portant atteinte au droit moral de Camille Claudel.

Il convient en effet de préciser que les héritiers Claudel avaient renoncé, dans un protocole d’accord signé avec Reine-Marie Paris, à contester les modifications affectant les dimensions de tirages en bronze que cette dernière aurait réalisés antérieurement au dit protocole d’accord, ce qui était le cas de l’œuvre litigieuse.
S’agissant par ailleurs du changement de matière, la Cour de cassation avait approuvé la Cour d’appel de Paris d’avoir considéré qu’il portait pas atteinte à l’intégrité de l’œuvre originale : « Mais attendu qu’ayant constaté que la fabrication en 1897 d’un plâtre de facture différente, inutile à une réalisation en onyx, permettait de penser qu’un tirage en bronze avait été envisagé par l’artiste, dès lors qu’il n’était pas établi par ailleurs que Camille Claudel se fût, de son vivant, opposée à tout tirage en bronze et n’eût voulu qu’une version en onyx et bronze de " La Vague ", la cour d’appel, procédant ainsi à la recherche prétendument omise, a considéré que la réalisation de " La Vague " en bronze, matériau dont elle a de surcroît relevé le caractère usuel pour les reproductions en arts plastiques, ne méconnaissait en rien la volonté de l’auteur et que l’atteinte alléguée à l’intégrité de l’œuvre du fait de cette substitution de matière n’était pas constituée ; qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision de ce chef ».

La Cour d’appel de Versailles ne pouvait donc que prendre acte de que ces points étaient irrévocablement tranchés.

La Cour s’est en quelque sorte rattrapée en décidant aussitôt que « la présentation de ces tirages, par tous moyens, comme étant des originaux, alors qu’il ne s’agit que de reproductions ne traduisant pas l’intégralité de l’empreinte initialement donnée par l’artiste de sa personnalité, constitue une atteinte à l’intégrité de l’œuvre de l’esprit et ainsi au droit moral de l’auteur dont les consorts Bonzon-Claudel sont fondés à demander réparation ».

3. Appréciation

Cette assertion n’emporte pas entièrement la conviction et procède nous semble-t-il d’une confusion sur la notion d’originalité, laquelle, on le sait, recouvre plusieurs sens en droit français [4]

En droit d’auteur, on considère qu’une œuvre est originale si elle porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur : l’originalité est la condition essentielle pour qu’une œuvre puisse être protégée au titre du droit d’auteur,

Pour le sens commun qui est aussi celui des acteurs du marché de l’art, la notion d’originalité recouvre un sens différent qui la fait se rapprocher de la notion d’authenticité. Dans ce cas « l’original » s’oppose aux « reproductions » et aux « copies » et implique que la conception et la fabrication de l’œuvre sont de la main de l’artiste lui-même.

La difficulté vient de ce que les sculptures, comme du reste les lithographies, les photographies ou les gravures, ont « vocation à être multiples » [5], cette multiplication requérant le concours de prestataires techniques –fondeurs, laboratoires photographiques etc.

Tandis qu’une peinture est par principe unique, une sculpture en bronze est susceptible de donner lieu à différents tirages réalisés à partir du même modèle.

La question peut dès lors se poser de savoir à quelles conditions, ces différents modèles pourront-ils être considérés comme des originaux.

Le droit fiscal, la législation française sur les faux artistiques et les usages professionnels ainsi le Code de la propriété intellectuelle à propos du droit de suite ont apporté des réponses convergentes à cette question.

S’agissant du droit fiscal, la réglementation a été initiée par un décret n° 67-454 du 10 juin 1967 qui est venu dresser une liste d’œuvres répondant à cette définition et susceptible de bénéficier d’un taux de TVA réduit. Cette réglementation figure désormais à l’article 98 A de l’annexe III du Code général des impôts, issu d’un décret du 17 février 1995 qui décide que « sont considérées comme œuvres d’art » (...) les « productions originales de l’art statuaire ou de la sculpture en toutes matières dès lors que les productions sont exécutées entièrement par l’artiste ; fontes de sculpture à tirage limité à huit exemplaires et contrôlé par l’artiste ou ses ayants droit. »

Le décret du 3 mars 1981 statuant sur la répression des fraudes en matière de transaction d’œuvres d’art et d’objets de collection y fait expressément référence pour préciser la notion d’œuvre originale.

L’article 9 du décret du 3 mars 1981 prévoit ainsi que « tout fac-similé, surmoulage, copie ou autre reproduction d’une œuvre originale au sens de l’article 71 de l’annexe III du Code général des impôts, exécuté postérieurement à la date d’entrée en vigueur du présent décret, doit porter de manière visible et indélébile la mention “Reproduction” ».

Pour ce qui concerne le Code de la propriété intellectuelle, la question est évoquée à propos du droit de suite, l’article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle disposant ainsi que :

« On entend par œuvres originales au sens du présent article les œuvres créées par l’artiste lui-même et les exemplaires exécutés en quantité limitée par l’artiste lui-même ou sous sa responsabilité. ».

L’article R. 122-3 du même code précise en outre que :
« Les œuvres mentionnées à l’article R. 122-1 sont les œuvres originales graphiques ou plastiques créées par l’auteur lui-même, telles que les tableaux, les collages, les peintures, les dessins, les gravures, les estampes, les lithographies, les sculptures, les tapisseries, les céramiques, les verreries, les photographies et les créations plastiques sur support audiovisuel ou numérique.
Les œuvres exécutées en nombre limité d’exemplaires et sous la responsabilité de l’auteur sont considérées comme œuvres d’art originales au sens de l’alinéa précédent si elles sont numérotées ou signées ou dûment autorisées d’une autre manière par l’auteur. Ce sont notamment :
[…]
b) Les éditions de sculpture, dans la limite de douze exemplaires, exemplaires numérotés et épreuves d’artiste confondus
 ».

De son côté, le code déontologique des fonderies d’art signé le 18 novembre 1993 distingue les « œuvres originales » des œuvres « multiples » et des « pièces uniques ».

Aux termes de ce Code, une « œuvre originale » ne peut être réalisée qu’en douze exemplaires, dont quatre épreuves dites « d’artiste », devant être numérotées EA I/IV, à EA IV/IV en chiffres romains, les huit autres étant numérotées 1/8 à 8/8 en chiffres arabes. Au-delà de ces douze exemplaires numérotés, une sculpture doit être considérée comme une simple reproduction [6] [7].

La jurisprudence a dégagé, à partir de ces différents textes, les conditions requises pour qu’un bronze soit considéré comme original : « Le bronze original se caractérise par trois éléments : un tirage limité, une identité parfaite avec celle voulue par l’artiste et une édition à partir d’un plâtre original » [8]

Au cas particulier, le tirage en bronze litigieux ayant été réalisé par surmoulage, (le surmoulage consiste à tirer une épreuve à partir d’un bronze authentique ; l’épreuve est plus petite dans ses dimensions, et sa finition est souvent moins précise) il ne présentait donc pas d’identité parfaite avec l’œuvre d’origine.

C’est donc très justement que la Cour de cassation avait estimé, dans son arrêt du 4 mai 2012 que ce tirage réalisée à partir, non pas du plâtre de l’artiste, mais de la pièce unique créée par Camille Claudel, ne pouvait pas être considéré comme une œuvre originale.

De façon ambigüe et regrettable, la Cour de cassation avait cependant cru devoir viser l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle lequel définit le droit moral de l’auteur « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur. L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires. »

C’est cette confusion malheureuse que la Cour d’appel de Versailles opère à son tour en décidant que la présentation comme originaux, dans des certificats d’authenticité ou dans un catalogue raisonné, de tirages qui ne sont pas strictement identiques à l’œuvre originelle porterait atteinte au droit moral de l’auteur.

On a du reste peine à comprendre en quoi la mention litigieuse figurant dans des documents extérieurs à l’œuvre était susceptible de porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre elle-même.

C’était l’argument que soulevait Madame Reine-Marie Paris qui soutenait, de façon assez convaincante et sans véritablement recevoir de réponse, que l’établissement du certificat litigieux ne pouvait, à lui seul, porter atteinte à un quelconque attribut du droit moral : en l’absence d’altération de l’œuvre et dès lors que les supports physiques qualifiés d’originaux conservaient également leur intégrité, les ayants droit ne pouvaient se plaindre d’une atteinte au respect de l’œuvre.

On peut donc regretter cette confusion persistante entre l’originalité-empreinte du de la personnalité de l’auteur et originalité-authenticité.

Certes, la qualification d’original appliquée au tirage litigieux était probablement erronée voire trompeuse pour le public. Certes encore, la sécurité et la cohérence du marché de l’art imposent de distinguer entre originaux et reproductions. Il est cependant permis de penser que cette clarification pouvait être assurée sans malmener les concepts du droit d’auteur.

Jean-Baptiste Schroeder
Cabinet Schroeder Boisseau Associés
www.bs-avocats.com

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Notes de l'article:

[1Agnès Lucas-Schloetter, « La Vague de Camille Claudel provoque des remous », Note sous Paris, 27 octobre 2010, La Semaine Juridique, édition Générale n° 5, 31 Janvier 2011, 107

[2Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que le tirage litigieux avait été obtenu par surmoulage, la cour d’appel a violé le texte susvisé

[3(Civ. 1ère, 4 mai 2012, n°11-10.763)

[4cf. Agnès Lucas-Schloetter « La contrefaçon artistique : état des lieux », Communication Commerce électronique n° 2, Février 2011, étude 3

[5cf. François. Duret-Robert, « Les fontes posthumes sur la sellette », L’Estampille-L’Objet d’Art, septembre 2007 p.93

[6cf. Marc- l’absence d’identité parfaite entre l’œuvre d’origine et Olivier Deblanc, « Les bronzes d’art à prix d’or .

[7à propos de la vente de « l’Homme qui marche » d’Alberto Giacometti » Communication Commerce électronique n° 11, novembre 2010, étude 223

[8Besançon, 28 juin 2001, n° 97-00299

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