L’intelligence artificielle générative a connu un essor spectaculaire ces dernières années, avec des systèmes comme DALL-E, ChatGPT ou encore MidJourney, capables de produire du contenu original en réponse à des commandes humaines. Si ces avancées technologiques fascinent par leur potentiel créatif, elles remettent en question les fondements du droit d’auteur, historiquement conçu pour protéger des œuvres portant l’empreinte de la personnalité humaine.
La question centrale est de savoir si le cadre juridique actuel permet d’encadrer et de protéger les créations issues de l’IA générative, ou une adaptation du droit s’impose-t-elle ?
I. L’originalité et la paternité des œuvres face à l’IA générative.
Dans le droit d’auteur, l’exigence d’une paternité humaine demeure un principe essentiel. Le droit français repose sur l’idée qu’une œuvre doit être originale et porter l’empreinte de la personnalité de son auteur. Cette notion a été confirmée par de nombreuses décisions, notamment un arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 2013, qui rappelle que l’originalité suppose un apport créatif humain [1]. Or, une création générée par une IA repose sur des algorithmes et des bases de données d’entraînement, sans intention propre ni sensibilité artistique. Par conséquent, le cadre juridique actuel exclut de fait la possibilité d’accorder un droit d’auteur à une IA.
En France, une décision du Tribunal judiciaire de Paris du 25 octobre 2022 a confirmé cette approche en refusant la protection d’une œuvre générée par un programme d’intelligence artificielle, au motif que le demandeur ne pouvait prouver une intervention humaine significative dans le processus créatif [2]. Cette jurisprudence renforce l’idée que le critère d’originalité ne peut être rempli que si l’œuvre porte une empreinte humaine identifiable.
Aux États-Unis, l’US Copyright Office a refusé l’enregistrement d’une bande dessinée (Zarya of the Dawn) dont les images étaient générées par une IA, estimant que seule la partie écrite par un humain pouvait bénéficier d’une protection [3]. En Europe, le Tribunal de l’Union européenne a adopté une approche similaire en rejetant des demandes d’enregistrement d’œuvres produites par des IA, en raison de l’absence de création humaine directe [4].
II. La réponse jurisprudentielle à la création autonome de l’IA.
Certaines juridictions ont déjà eu à se prononcer sur des cas concrets. Par exemple, le Tribunal municipal de Prague a rejeté, en octobre 2023, une demande de protection par le droit d’auteur pour une image générée par MidJourney, faute d’empreinte humaine significative [5]. De même, l’affaire Thaler (2022), traitée aux États-Unis et au Royaume-Uni, a confirmé que seule une personne physique pouvait être reconnue comme auteur d’une œuvre [6].
En France, une autre affaire significative a été jugée par la Cour d’appel de Paris le 15 mars 2023, où la cour a statué qu’un programme de génération d’image ne pouvait être considéré comme titulaire de droits d’auteur, renforçant ainsi la position déjà adoptée par les juridictions de première instance [7]. Cette décision a une portée majeure puisqu’elle confirme la nécessité d’une intervention humaine directe et substantielle dans la création de l’œuvre. Certains experts plaident pour la création d’un droit voisin pour les créations assistées par IA.
III. Vers une refondation nécessaire du droit d’auteur à l’ère de l’IA.
Face à l’essor de l’IA, plusieurs pistes sont explorées. Tout d’abord, certains juristes suggèrent la création d’un régime sui generis inspiré des bases de données, tandis que d’autres proposent l’instauration d’un droit voisin pour les utilisateurs d’IA [8]. En outre, l’encadrement de l’utilisation des données d’entraînement demeure un enjeu central. De nombreux contentieux sont en cours, notamment contre OpenAI et Stability AI, accusés d’avoir utilisé des contenus sous copyright sans autorisation [9]. Une adaptation législative pourrait ainsi imposer une obligation de transparence et de rémunération des ayants droit.
Le législateur français pourrait s’inspirer du modèle européen qui envisage d’imposer une mention obligatoire précisant si une œuvre a été partiellement ou entièrement générée par une IA, ce qui permettrait d’encadrer plus efficacement les pratiques en matière de droit d’auteur [10].
Ainsi, l’intelligence artificielle générative redéfinit les frontières de la création, mais le droit d’auteur peine à s’adapter à cette nouvelle réalité. Les jurisprudences récentes montrent une volonté de maintenir une protection strictement humaine, mais les évolutions technologiques pourraient imposer une refonte du cadre juridique. Une adaptation du droit d’auteur sera nécessaire pour concilier innovation et respect des droits des créateurs.