Remboursement de l'emprunt par des époux séparés de biens : contribution aux charges du mariage ? Par Yaël Brami-Crehange, Avocat et Marie-Laure Filly, Juriste

Remboursement de l’emprunt par des époux séparés de biens : contribution aux charges du mariage ?

Par Yaël Brami-Crehange, Avocat et Marie-Laure Filly, Juriste

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Explorer : # contribution aux charges du mariage # séparation de biens # remboursement d'emprunt # créance entre époux

Lors d’un divorce, la liquidation des biens des époux soumis au régime de séparation de biens, en apparence simple, soulève en réalité bien des difficultés quant à l’identification des biens respectifs des époux et au partage de ceux-ci.

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Au cours du mariage et même en cas de régime de séparation de biens, les époux vont souvent régler certaines dépenses et dettes du conjoint, sans faire de distinction. En conséquence, ces mouvements de valeurs intervenus pendant le mariage aboutissent à une confusion entre leurs patrimoines.

Or, lorsque les époux n’ont pas les mêmes revenus, il arrive que l’un contribue plus que l’autre, voire en totalité, à ces dépenses ou dettes.

Au moment du divorce, celui ayant payé en lieu et place de son époux, peut être amené à solliciter le remboursement des sommes qu’il a avancées.

Une question récurrente se pose alors, à propos du logement familial : un époux, qui rembourse seul l’emprunt ayant servi à l’acquisition dudit bien, alors que celui-ci a été acquis en indivision au nom du couple, peut-il se prévaloir d’une créance à l’encontre de son conjoint ?

Jusqu’ici, la prétention de l’époux pouvait être neutralisée par l’obligation légale des articles 214 et 1537 du Code civil, de contribuer aux charges du mariage. En effet, la jurisprudence ayant adopté une conception large de la notion de « charges du mariage », considérait le remboursement de l’emprunt du bien indivis ayant servi de logement familial comme une participation à la contribution aux charges du mariage (Cass. 1re civ., 19 oct. 2004, no 01-15.094 ; Cass. 1re civ., 14 mars 2006, no 05-15.980).

Cette conception se fondait sur les clauses de contribution généralement contenues dans les contrats de mariage, qui précisent que la contribution aux charges du mariage se fait au jour le jour et à proportion de leurs facultés respectives. En clair, cette clause signifie que les époux ne sont pas sensés faire les comptes entre eux en cas de séparation.

Mais un arrêt récent de la Cour de cassation du 18 mai 2011 semble être revenu sur cette jurisprudence qui paraissait établie.

Dans les faits, M. X avait remboursé avec ses fonds propres, les emprunts ayant servi à acquérir le logement familial en indivision avec son épouse (qui n’avait jamais travaillé), chacun pour moitié. Au moment du partage des biens, des difficultés sont survenues sur l’estimation de l’immeuble indivis. M.X demande donc le remboursement des sommes qu’il a avancées au profit de son épouse, ce qui revient à une créance égale à la moitié de la valeur du bien. Celle-ci, bien évidement, prétend que le paiement de l’emprunt correspond à sa participation aux charges du mariage.

Les juges rendent une décision en ces termes :

« Le contrat de mariage entre les époux prévoit que les époux contribuent aux charges du mariage, en proportion de leurs facultés respectives, conformément aux dispositions des articles 214 et 1537 du code civil et que chacun sera réputé avoir fourni au jour le jour sa contribution, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux, ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre, et, d’autre part, que le non règlement par l’ex-épouse de sa part indivise dans l’immeuble justifie la réclamation par son ex-mari qui a assuré le financement de cette part, d’une créance correspondant au montant des sommes avancées ou au profit subsistant au regard de la valeur du bien et que la contribution aux charges du mariage ne saurait s’étendre au règlement par l’époux de dettes personnelles de l’épouse aux fins de constituer à celle-ci un patrimoine immobilier ».

Dans cet arrêt, les juges rappellent tout d’abord le principe du devoir de contribution aux charges du mariage prévu par l’article 214 du Code civil. En effet, même dans un régime séparatiste tel que celui choisi par les époux en l’espèce, l’article 214 qui s’impose aux époux quelque soit leur régime matrimonial, instaure une idée de communautarisme au sein du régime de séparation des biens.

Or, il est stipulé dans le contrat de mariage de ces époux séparés de biens que les époux contribuent aux charges du mariage, au jour le jour et à proportion de leurs facultés respectives.

On aurait pu tout d’abord penser que cette clause aurait anéanti la demande de M. X, qui avait remboursé les emprunts de manière mensuelle et ce d’autant que M. X avait des revenus plus élevés que son épouse.

Ici, la motivation des juges de la Cour de Cassation est claire et difficilement contestable. L’époux qui a remboursé les emprunts est créancier des dettes personnelles de son époux : la contribution aux charges du mariage ne doit pas servir à se constituer un patrimoine immobilier.

Ainsi, le but de la contribution aux charges du mariage est délimité, et cette contribution ne doit pas servir de justification au paiement des dettes personnelles des époux.

Cependant, les conséquences d’une telle décision, même si elle paraît justifiable, pourraient être dramatiques pour un époux, qui lors du divorce, pourrait se trouver contraint de rembourser à l’autre ses créances. En l’espèce, l’épouse doit rembourser les sommes que son ex-mari lui a avancées tout au long du mariage, ce qui revient à la moitié de la valeur de l’immeuble.

C’est pourquoi, le choix d’un régime matrimonial en accord avec les aspirations et les situations respectives des époux est crucial !

Cette solution radicale de la Cour de cassation, qui a vocation à résoudre la question du règlement des emprunts dans un régime de séparation de biens, risque de ne pas être suivie par les juges du fond dans leurs décisions.

En effet, la Cour d’appel de Versailles dans un récent arrêt du 6 octobre 2011, énonce :

« De façon générale, le paiement par le mari d’un emprunt ayant partiellement financé l’acquisition par l’épouse du logement de la famille participe de son obligation de contribuer aux charges du mariage ».

Force est de constater que la position des juges n’est actuellement pas encore fixée, et l’on légitimement peut penser que le principe énoncé par la Cour de Cassation dans cet arrêt du 18 mai 2011 ne sera pas systématiquement appliqué. Ainsi, malgré la tentative de clarification des juges de la Cour de cassation, les incertitudes persistent et le débat est loin d’être clos...


Sources :
Cass. 1re civ., 18 mai 2011, no 10-11.990 ; CA Versailles, 6 oct. 2011, n°10-24.214

Maître Yaël BRAMI-CREHANGE
Avocat à la Cour
E-mail : ybc chez llbbs-avocats.com
Site Internet : www.llbbs-avocats.com

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