Requalification des CDDU successifs en CDI d’un imitateur des « Guignols de l’info ».

Par Frédéric Chhum, Avocat.

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Explorer : # requalification de contrat # licenciement abusif # contrat à durée déterminée # droit du travail

Par un important arrêt du 20 octobre 2015 (n°14-23.712), la Chambre sociale de la Cour de cassation a requalifié les CDDU successifs par lesquels Canal+ et Nulle Part Production (NPA) employaient le célèbre imitateur, Nicolas Canteloup pour l’émission « Les Guignols de l’info » en contrat à durée indéterminée. En revanche, singulièrement, elle a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles qui avait condamné NPA à payer à l’imitateur, les indemnités de rupture et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

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Cet arrêt est publié à un moment particulier puisque, à l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ne savons pas si l’émission Les Guignols de l’Info, sera diffusée (même sous un autre nom), à nouveau, en janvier 2016, comme annoncé par le Groupe Canal +.

1) Les CDDU de l’imitateur sont requalifiés en CDI

En l’espèce, Nicolas Canteloup avait été employé par CDDU successifs par les sociétés Canal+ et NPA en qualité d’imitateur depuis le 13 novembre 1995. Le 20 septembre 2011, NPA a notifié à l’imitateur la fin de leur relation de travail. Ce dernier a alors intenté une action aux fins de requalification de ses CDDU successifs en CDI et de la rupture de sa relation de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pour sa défense, Canal+ tentait d’arguer que l’imitateur occupait des fonctions exclusivement artistiques et non techniques, n’était lié par aucune clause d’exclusivité et intervenait pour le compte d’une société de production dont l’activité normale et permanente ne consistait pas à employer des imitateurs.

La Cour de cassation a refusé de suivre cette argumentation et, pour prononcer la requalification de la relation de travail en CDI, elle s’est fondée sur le fait que l’émission « Les Guignols de l’info » était diffusée depuis plus de vingt ans à la même heure et que Monsieur Canteloup y a exercé les mêmes fonctions pendant seize ans suivant la répétition de lettres d’engagement mensuelles.

Dès lors, la Cour a constaté que l’absence de caractère temporaire de l’emploi d’imitateur occupé par Monsieur Canteloup était établie et a prononcé la requalification de sa relation de travail en CDI avec paiement de diverses sommes afférentes (indemnité de requalification et indemnité pour défaut d’information sur le droit individuel à la formation).

2) La Cour d’appel de Versailles aurait dû rechercher si la lettre de rupture du 20 septembre 2011 valait lettre de licenciement et si les motifs de rupture énoncés constituent des griefs matériellement vérifiables permettant de décider si le licenciement a une cause réelle et sérieuse

S’agissant de la rupture des relations de travail, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles qui a condamné NPA au paiement des diverses indemnités de rupture et d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle affirme en effet, dans un attendu inédit et ultra ciselé, au visa de l’article L. 1232-6 du Code du travail, que « Le juge qui requalifie la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée doit rechercher si la lettre de rupture des relations contractuelles vaut lettre de licenciement et si les motifs de rupture énoncés constituent des griefs matériellement vérifiables permettant de décider si le licenciement a une cause réelle et sérieuse ».

Aussi, la Cour de cassation considère que les juges de la Cour d’appel ne pouvaient se contenter de constater que, eu égard à la requalification en CDI, la rupture s’analysait nécessairement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au contraire, en présence d’un courriel du 20 septembre 2011, notifiant la rupture au salarié, ils étaient tenus d’examiner les motifs indiqués dans ce courriel pour juger ensuite s’ils étaient constitutifs ou non d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Néanmoins, il faut rappeler que dès lors que la relation de travail est requalifiée en CDI, l’employeur doit justifier d’un motif valable de licenciement (faute, inaptitude, insuffisance professionnelle, trouble objectif caractérisé ou motif économique) et respecter la procédure applicable au motif concerné. A défaut, même en présence d’un écrit exposant les raisons pour lesquelles il est mis un terme à la relation de travail, l’employeur s’expose à une condamnation pour licenciement abusif ou sans cause réelle et sérieuse et/ou non-respect de la procédure.

Or, il y a fort à parier que dans le cas où l’employeur recourt de manière illégale à des CDDU successifs, il ne prenne pas la peine de se conformer à l’ensemble des règles relatives au licenciement d’un salarié en CDI.

Tout n’est pas perdu pour l’imitateur qui avait obtenu 150.000 euros d’indemnité pour licenciement sans cause ; l’affaire est renvoyée devant la Cour d’Appel de renvoi de Versailles ‘autrement composée), qui devra déterminer si la lettre de rupture du 20 septembre 2011, énonce (ou non) un grief matériellement vérifiable permettant de décider son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation a voulu donner une certaine force et publicité à cet arrêt puisqu’il est publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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  • par Véronique GARRY , Le 6 novembre 2015 à 15:25

    Non rien de nouveau.

    Ci dessous arrêt du 9 juillet 2008 (il y a un autre bulletin sur le CDD d’usage du 7 mai 2003).

    Sur le moyen unique :

    Vu les articles L. 122-14-2, alinéa 1, devenu L. 1232-6, du code du travail ;

    Attendu que le juge qui requalifie la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée doit rechercher si la lettre de rupture des relations contractuelles vaut lettre de licenciement et si les motifs de rupture énoncés constituent des griefs matériellement vérifiables permettant de décider si le licenciement a une cause réelle et sérieuse ;

    Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... a travaillé pour la société Magnus de 1993 à 2004 ; que la société Magnus a mis fin aux relations contractuelles par un courrier du 5 novembre 2004 reprochant à M. X... d’avoir discrédité l’entreprise en usant de la messagerie électronique mise à sa disposition ; qu’estimant avoir bénéficié d’un contrat de travail, et avoir été licencié sans cause réelle et sérieuse, M. X... a saisi la juridiction prud’homale ; que la cour d’appel, saisie sur contredit, a dit dans un précédent arrêt devenu définitif, que les parties étaient liées par un contrat de travail à durée indéterminée ;

    Attendu que pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que "la rupture d’un contrat de travail à l’initiative de l’employeur est un licenciement qui ne peut intervenir qu’après mise en oeuvre de la procédure prévue à l’article L. 122-14 du code du travail " et que "à défaut de mise en oeuvre de la procédure de licenciement, la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et qu’il n’est pas nécessaire de rechercher si le courrier du 5 novembre 2004 peut être assimilé à une lettre de licenciement énonçant les motifs de la rupture dès lors que l’employeur s’est dès l’origine illégalement placé sur le terrain d’un contrat de sous-traitance" ;

    Qu’en statuant ainsi la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

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