Servitude de vue et servitude de cour commune.

Par Damien Viguier, Avocat.

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Explorer : # servitude de vue # servitude de cour commune # urbanisme # droit privé

Vous avez constitué une servitude de vue. L’autorité compétente vous réclame une servitude dite de cour commune.

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A la question que vous soulevez, de savoir si une servitude de vue ne pourrait pas équivaloir, au regard de la délivrance d’un permis de construire, à une servitude de cour commune, nous répondons non. Ce sont des servitudes très différentes. Même si le résultat peut être le même (1), leur régime diffère (2).

1) Le résultat.

Les règles d’urbanisme définissent une distance minimum qu’une construction doit observer, compte tenu de sa hauteur, avec une autre construction sur le même fonds, ou avec la limite du fonds voisin : c’est le prospect réglementaire. Mais c’est le respect d’un espace libre autour d’une construction qui compte, et cet espace peut déborder sur le fonds voisin dès lors que le propriétaire de ce dernier consent à n’y pas construire ou à ne pas dépasser une certaine hauteur : c’est la servitude dite de cour commune [1]

. Les servitudes de vue répondent à un souci très différent. Il ne s’agit pas fondamentalement d’espace entre constructions. Le Code civil institue une distance minimum à respecter entre une vue ou une ouverture pratiquée dans une mur sur l’héritage du voisin et ce même héritage [2]

. Cette distance est de 1,9 m en cas de vue droite, et 0,6 m en cas de vue oblique. Néanmoins, cette distance peut être inférieure lorsque le fonds sur lequel s’exerce la vue est grevé d’une servitude de vue. Le propriétaire du fonds servant doit alors normalement respecter, avec l’ouverture, les mêmes distances en deçà desquelles il ne pourra édifier de construction [3]. Mais cette distance peut être augmentée conventionnellement et il s’agit alors d’un droit de vue (l’on peut encore parler de servitude de vue).

Servitude de cour commune et servitude de vue aboutissent donc au même : dans les deux cas le respect des servitudes signifie que l’on s’interdit, dans un certain espace, de bâtir (servitude non aedificandi) ou, si l’on bâtis, c’est en respectant une certaine hauteur (servitude non altius tollendi). La servitude de vue a même un effet plus puissant que la servitude de cour commune, parce qu’elle interdit de planter un arbre ou de déposer des choses qui boucheraient la vue, ce qui n’est pas le cas de la servitude de cour commune. Néanmoins, la coïncidence, entre les distances concédées pour la servitude de vue, et celles qu’imposent en l’occurrence les règles d’urbanisme, est parfaitement contingente. Et puis même si le résultat est le même, il reste d’importantes différences.

2) Régimes différents.

Les deux servitudes sont des servitudes de droit privé. Mais la servitude de cour commune présente une nature particulière, c’est une servitude de droit privé créée pour des raisons d’urbanisme. Elle est parfois la condition mise par l’autorité compétente à la délivrance d’un permis de construire [4]

. Tandis que la délivrance du permis et les servitudes comme la servitude de vue sont indépendantes. Le permis est délivré sans tenir compte d’une éventuelle servitude à laquelle serait tenu son bénéficiaire, et qui viendrait contrecarrer ses projets : le permis est toujours délivré sous réserve du droit des tiers [5]

. Et, dans l’autre sens, il ne sera pas non plus délivré sous la condition du respect d’une simple servitude.

Le propriétaire du fonds dominant peut d’ailleurs toujours renoncer à une servitude de droit privé comme la servitude de vue, et ainsi autoriser son voisin à construire, ou, dans sa construction, à dépasser une certaine hauteur, tandis qu’il ne peut pas renoncer à une servitude de cour commune. La raison en est que celle-ci n’a pas été concédée pour l’utilité du fonds dominant. Elle a été prise en compte par le permis de construire pour le respect des règles d’urbanisme. Selon les termes d’un arrêt déjà ancien mais toujours d’actualité, la servitude de cour commune présente « un caractère administratif » et « d’ordre public » en ce que « les obligations qu’elle prévoit ont été imposées dans un but d’intérêt général et d’utilité
publique ». C’est une charge administrative [6]
.

En bref, pour ne pas avoir à passer une convention de servitude de cour commune il faudrait vérifier que l’espace prévu pour la servitude de vue coïncide avec celui prescrit pour la première, et il faudrait encore que l’autorité compétente accepte de qualifier la servitude de vue de servitude de cour commune.

Damien VIGUIER
Avocat - Docteur en droit
www.avocats-viguier.com

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Notes de l'article:

[1Jurisclasseur Adm., fasc. 445-33 (11, 2004, Liet-Veaux), n° 101 ; fasc. 446-20 (08, 2006, Liet-Veaux), n°1.

[2C. civ art. 678 à 680.

[3Civ. 1re, 12 oct. 1966, D 1966.613, note Voulet, JCP 1966.II.14892, note Liet-Veaux. Il y aurait controverse sur le point de savoir si le propriétaire qui subit une vue régulière peut y faire échec (Jurisclasseur Géomètre expert-Foncier, fasc. 127 (J. Hugot).

[4C’est dans ce cas que la loi a prévu, en cas de désaccord des parties, que la servitude soit fixée par le juge, art. L. 471-1 C urb.

[5J. Cathelineau, Technique du droit de l’urbanisme, Litec, 1993, n°518, p. 375-376.

[6V. CA Paris, 27 mai 1963, D. 1963.379, Terré, Les biens, Dalloz, 1992, n°850, p. 601 ; J. Cathelineau, Technique du droit de l’urbanisme, Litec, 1993, n°452, p. 334 et n°518, p. 375-376.

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Discussion en cours :

  • par AUBAGNE , Le 12 octobre 2020 à 13:59

    Bonjour,
    Je vous remercie pour votre article ci-dessus, permettant de bien faire la distinction entre Servitude de Cour Commune et Servitude de Vue. Je comprends que la première, la servitude de Cour Commune, se réfère aux règles d’urbanisme, notamment le PLU, et concerne l’implantation du bâti par rapport aux limites séparatives. La seconde en revanche, ne semble s’appuyer que sur le Code Civil. Nulle part je ne trouve de référence à des Convention de Servitude de vue pour obtenir l’autorisation de réaliser une baie (ouvrante et transparente) en deça des limites de distances fixées au PLU (même si au delà du code civil, cad > 1,90 m pour les vues droites).
    Est-ce qu’il est possible, envisageable, voire préférable de faire établir une servitude de vue pour une distance de 6m à la limite de propriété pour ouvrir des fenêtres, ou est-ce que du fait d’une distance bien supérieure au minimum fixé au code civil, cela n’a aucun sens d’établir une telle convention de servitude de vue ? Est-ce qu’une servitude de vue peut permettre d’obtenir du service urbanisme (automatiquement ou par dérogation) une autorisation préalable pour ouvrir une fenètre, bien qu’en deça des règles du PLU ?

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