Transmission : La sortie de la location-gérance : les règles à connaître, les surprises à éviter

Par Vincent PILARCZYK, SCP DELATTRE à DOUAI (vincent.pilarczyk chez notaires.fr)
et Hubert MROZ, SCP FONTAINE à LILLE (h.mroz chez notaires-roubaix.fr)
Diplômés notaire, membres de l’INES (Institut Notarial de l’Entreprise et des Sociétés).

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Explorer : # location-gérance # transmission d'entreprise # fiscalité # plus-value

Envisagée sous l’angle de la transmission préparée, la location-gérance a en principe vocation à aboutir à la cession au profit du locataire ou d’un tiers, du fonds de commerce ou du fonds artisanal mis en gérance. Pendant longtemps, la vente du fonds mis en gérance libre pouvait être exonérée de toute plus-value dans la plupart des cas. Mais les règles ont changé et la sortie peut-être aujourd’hui moins heureuse. Dans tous les cas, la sortie doit être anticipée et les règles connues à l’avance pour éviter que l’opération ne se termine dans de mauvaises conditions.

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Avant d’aborder les principales règles à connaitre, on notera que le Code de commerce prévoit désormais la possibilité de louer les parts ou actions de société dans le même objectif que la gérance libre d’un fonds. Avec un régime différent cependant.

Le dénouement attendu : la cession du fonds au profit du locataire.

Dans cette hypothèse qui reste par principe la plus fréquente, la location-gérance se dénoue par le rachat du fonds au profit du locataire, suivant des modalités plus ou moins déterminées à l’avance.

Seules alors certaines règles fiscales présentent une particularité, les autres aspects de la vente étant régis par les règles applicables aux cessions de fonds. Le fait que la cession ait été précédée d’une location-gérance au profit de l’acquéreur ne change quasiment rien.

Ainsi, du point de vue du locataire acquéreur, celui-ci sera redevable de l’impôt de mutation, sous la forme du droit d’enregistrement aux taux progressif de 3% (jusque 200.000 €), puis de 5%, assis sur la valeur du fonds, diminuée d’un abattement de 23.000 €.

Du côté du bailleur en revanche, les choses s’avèrent un peu plus complexes, puisque celui-ci sera assujetti à l’impôt de plus value dont le régime a fait l’objet de modifications substantielles ces derniers temps.

Plus-values pour le cédant : attention aux locations gérances antérieures à 2006 !

En effet, il n’est désormais plus possible pour le loueur-vendeur de se prévaloir de l’exonération de plus-value en raison de la faiblesse des recettes de location. Avant la loi de finances rectificative pour 2005, dès lors que le fonds avait été exploité depuis plus de cinq ans avant la cession, le vendeur-loueur n’était redevable d’aucun impôt de plus-value si le montant annuel des redevances de location perçues au cours des deux années précédant la cession était inférieur à 90.000 €. Cette disposition revenait en pratique à exonérer très largement d’impôt de plus-value les cessions de fonds et sorties de bilans.

Pour les cessions réalisées à compter du 1er janvier 2006, cette exonération ne fonctionne plus en cas de location-gérance. Désormais, pour que cette règle dite des « recettes modérées » [1] puisse s’appliquer, il faut que, avant d’être vendu, le fonds ait été exploité directement et à titre professionnel par le vendeur. Cela exclut de facto de l’avoir donné en location.

Toutefois, il reste possible pour le vendeur de se prévaloir de deux autres régimes d’exonération pour la plus-value sur le fonds :

- Le premier régime d’exonération [2] tient à la valeur du fonds vendu et concerne tant les entreprises relevant de l’impôt sur le revenu que les sociétés soumises à l’IS (sous réserve du respect de conditions tenant à la taille et au capital de la société). Le vendeur peut être exonéré d’impôt de plus-value et de prélèvements sociaux (CSG, CRDS, …) si le prix de cession du fonds est inférieur à 300.000€. Passé ce plafond, l’exonération est dégressive jusqu’à ce que le prix de vente atteigne la somme de 500.000 € au-delà de laquelle l’exonération ne joue plus du tout.

- Le second régime d’exonération susceptible de s’appliquer profite au loueur-vendeur qui part en retraite [3]. Il est alors nécessaire que le loueur-vendeur jouisse des droits à retraite de son régime de base moins de 2 ans avant ou moins de 2 ans après avoir vendu. Cette condition s’apprécie de date à date. Si c’est son cas, le vendeur est exonéré d’impôt de plus-value, quelque soit la valeur de l’entreprise cédée. Il aura toutefois à acquitter les prélèvements sociaux sur les plus-values long terme.

Mais les conditions d’application de ces deux régimes d’exonération ne s’arrêtent pas là !

Il est tout d’abord nécessaire que l’entreprise ait été exploitée par le loueur-vendeur pendant une durée de 5 ans avant la mise en location-gérance. La durée de la location n’entre donc pas dans le calcul de ces 5 ans.

Autre condition : la cession doit intervenir au profit du locataire. Ainsi, la « location à soi-même » (par société interposée) suivie de la vente à un tiers n’est plus exonérée.

Enfin, et c’est le 3ème élément essentiel, l’exonération ne s’applique pas si le vendeur possède le contrôle de la société locataire (et future acquéreur) du fonds. Ce contrôle est caractérisé soit par la détention de 50% des droits de vote ou des droits à bénéfices, soit par l’exercice de la direction effective de la société.

En d’autres termes, la « vente à soi-même » n’est pas exonérée. Cependant, on pourrait imaginer que le vendeur cède préalablement à l’acquéreur les parts ou les actions de l’entreprise locataire du fonds avant de céder le fonds à ladite entreprise.

Il faut également préciser qu’il existe deux autres régimes d’exonération susceptibles d’intéresser le cédant :
- en cas de donation de l’entreprise [4] si le donataire s’engage à poursuivre à titre professionnel l’activité exploitée (et pas la location-gérance !),
- en présence d’un immeuble au bilan [5], auquel cas il est possible de bénéficier d’un abattement de 10% par an au-delà de la 5ème année d’inscription au bilan, sur les seuls plus-values long terme. Les plus-values court terme demeurent imposées.

Quelque soit la situation du cédant, il est crucial pour lui de bien examiner la fiscalité entourant la transmission.

La transmission échouée : la reprise du fonds par le bailleur.

Il demeure toujours envisageable que la location-gérance puisse se terminer, pour diverses raisons, par une reprise du fonds au profit du bailleur. Dans ce cas il est impératif de ne pas perdre de vue certaines conséquences tenant à la nature particulière du bien donné en location.

A la fin du contrat, le propriétaire reprend son fonds, sans avoir en principe d’indemnité pour plus-value à verser à son locataire. Mais le propriétaire peut avoir l’amère surprise de retrouver une entreprise très sérieusement compromise. Plusieurs précautions peuvent être prises, en prévoyant notamment un état des lieux d’entrée et un état des lieux de sortie, un droit de regard du bailleur sur les chiffres en cours de location, une durée de location courte mais reconductible offrant l’opportunité d’une sortie rapide, voire une pénalité à la charge du locataire en cas de très mauvais résultats.

Si le bailleur reprend en fin de location son entreprise, il n’est nullement tenu de reprendre le stock et le matériel acquis par son locataire, sauf stipulations contraires du contrat de location.

Il est également important de savoir que les contrats de travail conclus par le locataire engagent le bailleur en cas de reprise du fonds, sauf impossibilité économique pour le propriétaire de poursuivre l’exploitation.

De la même manière, les modifications apportées, pendant la location-gérance, aux contrats de travail, lient le propriétaire. Il sera dès lors judicieux de prévoir une obligation préalable de consultation du bailleur en cas d’embauche ou en cas de modification des conditions de travail et de rémunération.

On sait en outre que le bailleur reste solidaire des dettes conclues par le locataire pour les besoins de l’activité au cours des six mois suivant la publication du contrat de location-gérance. Mais il faut aussi savoir que le bailleur reste également solidaire avec le locataire du paiement des impôts directs générés par l’exploitation (BIC, IS, CET, taxe d’apprentissage notamment). Dans ces conditions, il sera utile de prévoir un droit de regard du bailleur sur les dettes contractées au cours des 6 premiers mois ainsi que sur la situation fiscale du locataire en cours de location.

Par ailleurs, une fois le contrat de location-gérance rompu ou expiré, l’ancien locataire retrouve son entière liberté d’installation (sauf bien entendu faits de concurrence déloyale sanctionnés en justice). C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de réglementer, par le contrat, sa faculté de se rétablir ailleurs et de prévoir un engagement de non-concurrence raisonnablement limité en lieu et temps.

CE QU’IL FAUT RETENIR :
- Au-delà de l’attrait éventuel de la location-gérance dans le cadre d’une transmission, son dénouement doit être planifié et étudié sans laisser place à l’improvisation.
- La gérance libre demeure une modalité de transmission confortable, mais elle suppose, quand elle est conclue avec un tiers, d’être particulièrement vigilant à la rédaction du contrat, en recueillant les conseils avisés et le savoir-faire de l’expert-comptable et du notaire.
- Sur le plan fiscal, la modification des règles intervenues ces dernières années doit inciter à renouveler la réflexion et ré-examiner la situation si une location-gérance avait été mise en place.

Article paru dans la Gazette Nord-Pas-de-Calais – février 2011 – www.gazettenpdc.fr

Par Vincent PILARCZYK, SCP DELATTRE à DOUAI (vincent.pilarczyk chez notaires.fr)
et Hubert MROZ, SCP FONTAINE à LILLE (h.mroz chez notaires-roubaix.fr)
Diplômés notaire, membres de l’INES (Institut Notarial de l’Entreprise et des Sociétés).

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Notes de l'article:

[1Article 151 septies du Code général des impôts.

[2Article 238 quindecies du Code général des impôts.

[3Article 151 septies A du Code général des impôts.

[4Article 41 du Code général des impôts.

[5Article 151 septies B du Code général des impôts.

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