Achever un animal mortellement blessé n’est pas un acte de chasse.

Par Francis Poirier, Avocat.

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Explorer : # animal blessé # acte de chasse # souffrance animale # législation environnementale

Dans une décision du 3 septembre 2018, la Cour d’Appel de Rennes est venue préciser la notion d’animal mortellement blessé au sens de l’article L420-3 du code de l’environnement.

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L’article L.420-3 du Code de l’Environnement tel qu’issu de la loi 1102000/698 du 26 juillet 2000 définit pour la première fois l’acte de chasse : « Constitue un acte de chasse tout acte volontaire lié à la recherche, à la poursuite ou à l’attente du gibier ayant pour but ou pour résultat la capture ou la mort de celui-ci ».

Ce même article prévoit cependant un certain nombre d’exception au nombre desquelles : "[ ...] Achever un animal mortellement blessé ou aux abois ne constitue pas un acte de chasse. Ne constitue pas non plus un acte de chasse le fait, pour un conducteur de chien de sang, de procéder à la recherche d’un animal blessé ou de contrôler le résultat d’un tir sur un animal."

La grande difficulté est de rapporter la preuve qu’un animal est « mortellement » blessé.

Dans le cas d’espèce qui nous intéresse et qui a conduit à un jugement de condamnation devant le Tribunal de Police de Vannes, réformer par arrêt de la Chambre Correctionnelle de la Cour d’Appel de Rennes, les faits étaient les suivants : le 10 avril 2015, en période de fermeture générale de la chasse, alors que des ouvriers forestiers effectuaient des travaux dans un enclos d’une quinzaine d’hectares, lequel se trouve dans un massif forestier présentant une superficie de plus de 3.000 hectares, ceux-ci ont constaté la présence à l’intérieur de cet enclos d’un daguet.

Ils se sont efforcés, après avoir ouvert les différents accès à cet enclos, de faire sortir le cervidé. Malgré l’ouverture de cet enclos, l’animal heurtait à de nombreuses reprises le grillage avec une telle force qu’il se fracturait la mandibule inférieure.

Informé de ces faits par les forestiers, le responsable cynégétique du domaine était invité à se rendre sur les lieux afin de vérifier l’état de l’animal et au besoin, d’achever ses souffrances.

C’est précisément ce qui a été fait. Le responsable cynégétique du domaine a vu la blessure dont était atteint l’animal et a considéré que la fracture de la mandibule inférieure avait pour conséquence d’empêcher le cerf de s’alimenter et a pris la décision d’abattre celui-ci.

Le cerf a ensuite été conduit dans la salle de découpe habituellement utilisée pour traiter la venaison des animaux tués sur le domaine et c’est alors que les intéressés ont été l’objet d’un contrôle par des inspecteurs de l’environnement.

Les agents de l’ONCFS après s’être fait expliquer les circonstances de l’abattage de cet animal ont cependant dressé un procès-verbal en retenant notamment comme infractions : la chasse en temps prohibé, le transport d’un animal soumis à plan de chasse non doté de son dispositif de marquage.

C’est dans cet état que le dossier a été transmis au Tribunal de Police de Vannes, lequel par jugement a considéré que les infractions étaient parfaitement constituées et a condamné le prévenu à une amende outre à la confiscation de son arme.

Celui-ci inscrivait un appel à l’encontre de la décision rendue et la Cour d ’Appel de Rennes, dans un arrêt en date du 3 septembre 2018, réformait en toutes ses dispositions le jugement dont appel en retenant comme fondement : "Or, en l’espèce, l’animal avait la mâchoire inférieure fracturée avec déplacement. Les avis d’experts communiqués par le Conseil de Monsieur D. concluent au fait que l’animal, compte tenu de sa fracture, n’allait plus pouvoir s’alimenter et ainsi mourir d’une mort lente. Selon le Docteur EP., le seul but poursuivi par Monsieur D. était d’abréger les souffrances de l’animal et c’est bien pour cela que d’ailleurs « le technicien forestier » a fait appel à lui. Monsieur D. se trouve bien dans l’hypothèse de l’article L.420-3 du Code de l’Environnement. Il a agi pour soulager les souffrances d’un animal et ne se trouvait pas dans une action de chasse. Il sera donc relaxé des fins de la poursuite."

L’intéressé a été relaxé parce qu’il a fourni aux débats un certain nombre de documents scientifiques et certificats vétérinaires démontrant que l’animal était mortellement blessé.

La position des agents verbalisateurs et de Madame le Procureur de la République en 1ère instance était de considérer que le critère de « l’animal mortellement blessé » devait être retenu uniquement lorsque la blessure était d’une importance telle qu’elle empêchait la fuite de l’animal ou qu’elle conduisait à une appréhension rapide voire immédiate de cet animal.

Une telle interprétation de l’article L.420-3 du Code de l’Environnement avait pour conséquence de rajouter aux dispositions du texte.

Le texte est clair : « […] Achever un animal mortellement blessé ou aux abois ne constitue pas un acte de chasse [...] ».

Cependant, la question qui se pose est de savoir si l’animal peut survivre aux blessures dont il est atteint.

Il est évident qu’un cerf, herbivore, qui a la mâchoire inférieure brisée ne peut plus s’alimenter et par conséquent, l’animal va mourir d’une mort lente après d’importantes souffrances.

Les organes de poursuite considéraient au contraire : « toutefois, il faut comprendre que tant que l’animal blessé ou poursuivit conserve la possibilité de s’échapper ou qu’il n ’est pas victime d’une blessure telle qu’il ne puisse se soustraire à l’appréhension rapide du chasseur, il n ’est pas considéré comme mortellement blessé au sens de l’article susvisé ».

Concernant précisément le cas d’espèce, il était souligné : Or, la simple blessure de la mâchoire du cerf abattu par Monsieur D., même si elle a été susceptible de l’empêcher de se nourrir et pouvait éventuellement entrainer sa mort à long terme, ne correspond pas à la notion d’animal mortellement blessé telle que définie ci-dessus.]"

Il était en effet fait référence à un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Rouen en date du 22 juin 2005 n°05/00298 aux termes duquel une personne qui avait achevé une chevrette qui avait les deux pattes arrières brisées alors qu’elle s’était prise dans un grillage de protection sur autoroute a été condamnée et de souligner : « Si un animal aux pattes arrières brisées n ’a que peu de chance de survie, il n ’était pas justifié qu’il était mortellement blessé et n ’avait aucune chance de survie ».

Il s’agit d’une jurisprudence isolée, particulièrement surprenante car nous savons qu’un mammifère sauvage qui a deux pattes cassées a très peu de chance de survie. Doit-on laisser dans la nature des animaux qui vont souffrir et qui ne vont pas pouvoir soit se nourrir, soit se défendre devant les prédateurs ?

La réponse ne peut être qu’une réponse négative.

Il n’est pas permis de laisser dans la nature un animal dont la mort est certaine et qui va, avant de mourir, souffrir dans des conditions qui ne peuvent être tolérées.

C’est d’ailleurs pourquoi le législateur, lors de la rédaction de l’article L.420-3 du Code de l’Environnement, a parlé de l’animal mortellement blessé mais a également considéré que ne constituait pas un acte de chasse le fait pour un conducteur de chien de sang de procéder à la recherche d’un animal blessé ou de contrôler le résultat d’un tir sur un animal.

La volonté du législateur est d’éviter que des animaux souffrent.

Il est donné la possibilité à un conducteur de chien de sang de faire une recherche d’un animal blessé et le législateur n’a pas imposé que cet animal devait être atteint d’une blessure telle qu’elle allait conduire à la mort.

Ce que veut le législateur par la mise en place de ces exceptions à l’acte de chasse c’est de mettre un terme aussi rapidement que possible aux souffrances dont est atteint l’animal.

En conséquence, la Cour d’Appel de Rennes en relaxant la personne qui a abrégé les souffrances de ce cervidé n’a fait que de respecter sinon à la lettre, du moins l’esprit de la loi.

Francis POIRIER
Avocat

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