Certains médias ont annoncé un peu vite que les sons et les odeurs des campagnes françaises ne pouvaient plus constituer des troubles anormaux de voisinage.
Pourtant, il n’en est rien, du moins pas encore. Si telle était l’intention clairement affichée par la proposition de loi initiale déposée le 11 septembre 2019, ce n’est pas la solution retenue par la loi 2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises.
Son objectif reste cependant le même, éviter la multiplication des recours de ceux qu’on appelle les néoruraux et, dans une moindre mesure, des vacanciers, qui ne supportent pas le chant du coq, le son des cloches ou l’odeur du fumier et, plus généralement, tout ce qui, pour d’autres, fait le charme de la campagne.
Jusqu’à présent, en dehors des articles consacrés par le Code civil à la responsabilité pour faute ou pour le fait des choses et des animaux, seules quelques dispositions éparses et pas toujours adaptées à ces sons et odeurs spécifiques avaient vocation à s’appliquer.
On peut citer :
Pour le bruit, l’article R1336-5 du Code de la santé publique selon lequel aucun bruit ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité porter atteinte à la tranquillité du voisinage qu’il provienne d’une personne, par l’intermédiaire d’une personne, une chose dont elle a la garde ou un animal, l’article 102-4 du Règlement sanitaire départemental type et, dans les cas les plus graves, le Code pénal : tapage nocturne (art. R623-2) [1] et même agressions sonores (art. R222-16) [2].
Pour les nuisances causées par les animaux, les articles 26 et 102-5 du même règlement sanitaire.
Pour les odeurs, l’article L220-2 du Code de l’environnement qui érige en pollution atmosphérique l’introduction par l’homme d’agents chimiques, biologiques ou physiques de nature à provoquer, entre autres, des nuisances olfactives excessives, auquel on peut ajouter la circulaire du 18 novembre 2011 du Ministère de l’écologie relative à l’interdiction du brûlage à l’air libre des déchets.
Il existe bien dans le Code de la construction un article L112-16 qui interdit aux nouveaux arrivants (constructeurs, acquéreurs ou locataires) de demander réparation pour des nuisances préexistantes pour autant qu’elles ne soient pas contraires à la loi et à la réglementation et se poursuivent dans les mêmes conditions, mais ce texte est d’application limitée puisqu’il ne concerne que les nuisances perçues à l’intérieur d’un bâtiment (ce qui est logique, s’agissant du Code de la construction et de l’habitation) - pas celles perçues à l’extérieur -, les nuisances provenant d’activités - et non pas spécialement des sons ou des odeurs -, activités au surplus strictement agricoles (la Cour de cassation retient, par exemple, le caractère non agricole d’un élevage de paons de pur agrément et la solution serait la même pour le jardinage, y compris s’agissant de jardins familiaux ou partagés de grandes dimensions) [3], et seulement les activités entreprises postérieurement à la construction, l’achat ou la location.
Les litiges se règlent donc le plus souvent en faisant appel à la notion de trouble anormal de voisinage :
Troubles olfactifs retenus pour des fumées et odeurs émanant de feux allumés dans un jardin [4] , de fortes odeurs et la présence de mouches provenant d’un poney [5] ou d’un poulailler [6].
Troubles sonores causés essentiellement par des animaux : des chiens aux aboiements ininterrompus [7], des volailles - certaines juridictions retenant le trouble [8], d’autres pas [9] - ou encore les grenouilles d’une mare voisine [10].
Quel est l’apport de la loi nouvelle ?
En dehors de quelques cas très médiatisés, les recours sont-ils si nombreux ? Et si mal jugés ? Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi initiale, son promoteur, après avoir pris comme postulat que le patrimoine sensoriel des campagnes françaises est sous le menace des actions en reconnaissance d’un trouble anormal de voisinage, constate, non sans contradiction, qu’il existe relativement peu de jurisprudence - ce que confirme d’ailleurs les recherches faites pour le livre consacré au droit des jardins et reprises ci-dessus - au sujet des nuisances sonores de caractère rural et n’en évoque aucune relative aux nuisances olfactives. Alors, faut-il priver ces quelques néoruraux de tout recours là où la justice peut jouer un rôle d’apaisement, au risque qu’ils se tournent vers des solutions plus radicales, comme on a pu le voir dans l’épisode du coq Marcel ? La question mérite en tous cas d’être posée.
Quoi qu’il en soit, la loi se propose, selon son intitulé, de définir et de protéger le patrimoine sensoriel :
Définir, c’est à dire, inclure ces sons et odeurs dans le patrimoine commun de la nation au même titre que les paysages, ressources et milieux naturels dont ils sont caractéristiques, en complétant l’article L110-1 du Code de l’environnement, et en faire dresser un inventaire par les services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel. Jusque là, rien à dire, la tâche du juge ne peut qu’en être facilitée ;
Protéger. Pas dans l’immédiat en tous cas, car là où la proposition de loi affichait clairement l’objectif d’exclure définitivement ces bruits et odeurs de la notion de trouble anormal de voisinage pour ne laisser place qu’à une éventuelle responsabilité pour faute, le texte finalement adopté se contente de charger le gouvernement d’examiner la possibilité d’introduire le trouble anormal de voisinage dans le Code civil après avoir étudié les critères de l’anormalité, notamment dans le domaine de l’environnement, et d’en dresser rapport. Il n’apporte donc en l’état aucune protection particulière.
Il est possible que cette protection intervienne par la suite, une fois le rapport déposé, mais sous quelle forme ? L’exclusion de la notion de trouble de voisinage a le mérite d’être une solution simple et claire. Si telle est toujours l’intention du législateur, pourquoi ne l’avoir retenue dès à présent ? Quant à introduire le trouble anormal de voisinage dans le Code civil, on peine à voir quelle difficulté il pouvait y avoir à en reprendre dès à présent la définition patiemment élaborée par la jurisprudence. S’il s’agit de la compléter en cherchant à affiner la notion d’anormalité, on risque de la compliquer par une construction intellectuelle, voire technocratique là où le bon sens est, au contraire, nécessaire.
L’anormalité est, dans ce domaine particulier, une question de terrain qui doit être appréciée au plus près, cas par cas : qui mieux que le juge qui connaît sa région, sa culture, ses usages peut le faire, par le dialogue et le recours à la conciliation ou la médiation ? Si l’on regarde de près les quelques décisions rendues, on s’aperçoit que les tribunaux savent faire la part des choses en sanctionnant essentiellement les excès. Ainsi relèvent-ils que l’abri du poney se trouve à cinq mètres de la limite de propriété ou encore que le coassement des grenouilles atteint 63 décibels plusieurs mois par an à dix mètres de la chambre et a pour origine la création d’une mare.
Ils peuvent, en revanche, renvoyer les mauvais coucheurs à leurs obsessions, avec humour parfois :
« La poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois ; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements, et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard) ; que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autre motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires de ces gallinacés ; que la Cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Salledes (402 âmes) dans le département du Puy de Dôme » [11]. Tout est dit.
Alors, beaucoup de bruit... pour pas grand chose ?