Aménagement commercial : les décisions défavorables de la CNAC sont-elles juridiquement fiables ?

Par Adrien Colas, Avocat.

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Explorer : # aménagement commercial # cnac # décisions administratives # taux d'annulation

Aux fins d’uniformiser l’appréciation en matière d’autorisation d’exploitation commerciale, le Législateur a, de longue date, créé un recours administratif préalable obligatoire devant la Commission Nationale d’Aménagement Commercial. La spécialisation de cet organe administratif est-il une garantie quant à la régularité des décisions, particulièrement de refus, qu’il prononce ?

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40%. C’est le taux d’annulation des décisions de préemption soumises au contentieux administratif qui avait conduit le Conseil d’Etat à s’inquiéter en 2008 [1], ce taux étant un des plus élevés du contentieux administratif (25% de moyenne).

Une intuition a conduit l’auteur de ces lignes à s’interroger sur le taux d’annulation des décisions (notamment de refus) de la Commission Nationale d’Aménagement Commercial dont les décisions (autorisation d’exploitation commerciale (AEC) ou avis émis dans le cadre d’une demande de permis de construire valant AEC (PCVAEC)), relèvent en première instance, des Cours Administratives d’Appel. Ce questionnement interroge alors le rôle et la pertinence d’un organisme national chargé, dans le cadre d’un recours administratif préalable obligatoire, de centraliser et d’unifier l’appréciation des projets commerciaux.

Les décisions de la CNAC sont-elles souvent validées par le juge administratif ?

Au cours de l’année 2019, les données Légifrance recensent 76 décisions à l’occasion desquelles les juridictions administratives ont dû se prononcer sur la régularité d’une décision de la CNAC. Sur ces 76 décisions, un petit jeu de statistique conduit à relever que :
- 4 (5%) concluent à une irrecevabilité du recours,
- 45 (59%) ont conduit à un rejet de l’action ;
- 27 (36%) ont relevé l’illégalité de la décision de la CNAC (3 sursis à statuer à raison d’une irrégularité formelle de l’avis de la CNAC et 25 annulations de fond).

Cette première analyse, qui retient d’ores-et-déjà un taux élevé d’annulation peut être affinée à partir du type de décision contesté. Une nouvelle approche conduit alors à relever que :
- Sur 51 décisions favorables contestées, 12, soit 23%, sont jugées irrégulières.
- Sur 21 décisions défavorables querellées, 15, soit 71%, ont été déclarées illégales.

En d’autres termes, près de trois refus sur quatre opposés par la CNAC et contestés devant la juridiction administrative, ont été déclarés illégaux. S’il est exact que le commentateur parle toujours des trains en retard sans jamais évoquer les trains à l’heure, un tel taux d’annulation ne peut qu’étonner au regard des taux classiques d’annulation devant la juridiction administrative.

Quels sont les motifs d’annulation des décisions défavorables de la CNAC ?

La lecture des décisions d’annulation prononcées par la juridiction administrative ne permet pas de déduire de réelles régularités dans la nature des vices des décisions de refus prononcées par la CNAC.

Deux de ces décisions pointent des irrégularités externes résultant soit d’un défaut de précision des circonstances de fait justifiant la décision (CAA Marseille, 18 novembre 2019, n°18MA01159), soit, plus étonnant, d’un défaut de convocation du porteur de projet (CAA Lyon, 11 avril 2019, n°17LY02959).

La grande majorité de ces décisions (13 sur 15) relève le caractère erroné du raisonnement opéré par la CNAC au regard des exigences de l’article L.752-6 du Code de Commerce. Les juridictions ont ainsi sanctionné soit l’absence d’incompatibilité avec une Schéma de Cohérence Territoriale, soit, plus fréquemment, une l’absence d’atteinte aux objectifs poursuivis par le Législateur (aménagement du territoire, de développement durable ou de protection des consommateurs).

A titre d’exemple, les juridictions administratives ont été amenées à rappeler que :
- S’agissant de l’objectif d’aménagement du territoire :
- La circonstance qu’un projet soit éloigné d’un centre-ville ne suffit pas à caractériser une atteinte à cet objectif dès lors que celui-ci est complémentaire avec un commerce de centre-ville (CAA Versailles, 17 janvier 2019, n°16VE03267 ; CAA Marseille, 20 mai 2019, n°17MA04001 ; CAA Nantes, 19 juillet 2019, n°18NT02368 ; CAA Nantes, 20 décembre 2019, n°18NT03653) ou proche de zones d’habitat qui ont vocation à en bénéficier (CAA Nantes, 2 juillet 2019, n°17NT03298 ; CAA Nancy, 23 juillet 2019, n°18NC01755) ;
- La seule insuffisance de la desserte par les transports en commun ne suffit pas à justifier un refus (CAA Versailles, 17 janvier 2019, n°16VE03267 ; CAA Versailles, 17 janvier 2019, n°16VE03041 ; CAA Nantes, 2 juillet 2019, n°17NT03298 ; CAA Nantes, 19 juillet 2019, n°18NT02917) ;

- S’agissant de l’objectif de développement durable :
- Les insuffisances d’insertion architecturale et paysagère, souvent retenues par la CNAC, ne suffisent pas à fonder un refus pas lorsque le site d’implantation ne présente pas d’intérêt particulier (CAA Nantes, 29 mars 2019, n°17NT03221 ; CAA Nantes, 2 juillet 2019, n°17NT03298 ; CAA Nantes, 19 juillet 2019, n°18NT02368 ; CAA Versailles, 31 octobre 2019, n°17VE01704 ; CAA Nantes, 20 décembre 2019, n°18NT03653) ;
- Ne suffit pas à fonder un refus la seule circonstance que le projet ne prévoie pas de recours aux énergies renouvelables (CAA Versailles, 17 janvier 2019, n°16VE03041) ou de solution de mutualisation des parkings (CAA Marseille, 20 mai 2019, n°17MA04001) ;
- Globalement, pour les juridictions administratives, cet objectif est atteint dès lors qu’un projet est conçu sur une consommation énergétique économe, comporte des espaces verts et limite l’imperméabilisation liée aux stationnements. Lorsque le projet porte sur un bâtiment existant, la constatation de l’amélioration de la situation existante confirme le respect de cet objectif (CAA Nantes, 2 juilelt 2019, n°17NT03298 ; CAA Versailles, 31 octobre 2019, n°17VE01704 ; CAA Nantes, 20 décembre 2019, n°18NT03447).

- S’agissant de l’objectif de protection des consommateurs, la proximité de zones d’habitat et de commerces suffit à considérer cet objectif comme satisfait (CAA Nantes, 20 décembre 2019, n°18NT03447).

De manière plus atypique, une décision de la CAA de Nantes retient un motif tiré de la méconnaissance de l’autorité absolue de chose jugée, la CNAC ayant, à l’occasion d’un réexamen, repris des motifs déjà censurés par la juridiction administrative (CAA Nantes, 20 décembre 2019, n°18NT03447). L’annulation, du second refus opposé au même projet par la CNAC, conduit la juridiction à prononcer une injonction non de réexamen mais de délivrance.

En conclusion, et en réponse à l’interrogation initiale, les refus opposés par la CNAC apparaissent juridiquement peu fiables. Ce constat ne peut qu’inciter un porteur de projet à saisir la juridiction administrative. En creux, il interroge également la pertinence du recours obligatoire à une instance nationale qui, bien que spécialisée, fonde ses refus sur des appréciations trop souvent erronées.

Adrien Colas, Avocat
Cabinet LEXCAP

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Notes de l'article:

[1Conseil d’Etat, Le droit de préemption, La documentation française, 2008.

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