I. Les nouvelles mesures relatives à la revitalisation des centres-villes et la création des opérations de revitalisation du territoire (ORT).
Les opérations de revitalisation du territoire, mentionnées à l’article 157 de la loi ELAN, constituent un nouvel outil d’intervention en matière de politique urbaine, ayant pour objet :
« la mise en œuvre d’un projet global de territoire destiné à adapter et moderniser le parc de logements et de locaux commerciaux et artisanaux ainsi que le tissu urbain de ce territoire pour améliorer son attractivité, lutter contre la vacance des logements et des locaux commerciaux et artisanaux ainsi que contre l’habitat indigne, réhabiliter l’immobilier de loisir, valoriser le patrimoine bâti et réhabiliter les friches urbaines, dans une perspective de mixité sociale, d’innovation et de développement durable. »
L’article précise que les ORT donnent lieu à la conclusion d’une convention entre les collectivités publiques (Etat et ses établissements publics, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et leurs communes membres) et toute personne publique ou privée susceptible d’apporter son soutien ou de prendre part à la réalisation des opérations prévues par la convention, qui en délimite notamment les secteurs d’intervention.
Ces secteurs, comprennent obligatoirement le centre-ville de la ville principale du territoire de l’EPCI signataire et éventuellement ceux d’autres communes membres de cet EPCI.
Si les ORT s’inscrivent très largement dans le programme « action cœur de ville » visant à améliorer les conditions de vie des habitants de 222 villes moyennes et conforter leur rôle de moteur de développement du territoire, celles-ci pourront toutefois concerner n’importe quel territoire, et pas seulement ceux retenus pour le programme susvisé.
En pratique, la mise en place de ce dispositif emportera plusieurs conséquences.
Dispense d’autorisation d’exploitation commerciale dans les centres-villes identifiés par la convention « ORT ».
En premier lieu, les projets situés dans un secteur d’intervention identifié par une convention ORT, seront dispensés de l’autorisation d’exploitation commerciale, prévue par l’article L. 752-1 du code de commerce, à l’exception des « drive » et des projets que la convention aura elle-même décidé de soumettre à autorisation s’ils dépassent un certain seuil fixé par elle, mais qui ne saurait être inférieur à 2.500 m² pour les commerces à prédominance alimentaire, et 5.000 m² pour les autres [1].
De la même manière, la possibilité pour les communes et EPCI compétents, de soumettre volontairement à autorisation d’exploitation commerciale les projets d’une surface de vente comprise entre 300 et 1.000 m² dans les communes de moins de 20.000 habitants, ne sera plus possible dans les secteurs d’intervention identifiés par les conventions ORT [2].
Possibilité de suspendre l’instruction des demandes d’autorisation d’exploitation commerciale en périphérie des ORT.
En second lieu, et à l’inverse, toute demande d’autorisation d’exploitation commerciale déposée devant une CDAC pourra être suspendue par arrêté préfectoral, pour une durée de trois ans, renouvelable un an, lorsque celle-ci porte sur un projet situé :
Sur une commune signataire d’une convention ORT, mais en dehors des périmètres d’intervention définis par la convention ;
Sur une commune non signataire d’une convention ORT mais membre d’un EPCI signataire d’une telle convention ou d’un EPCI limitrophe de celui-ci, lorsque ce projet est de nature à compromettre gravement les objectifs de l’opération [3].
Le texte précise que la décision du Préfet est prise à la demande, ou après avis, de l’EPCI ou des communes concernées, et compte tenu des caractéristiques des projets et de l’analyse des données de la zone de chalandise concernée, au regard, notamment, des taux de logements vacants, de chômage et de vacance commerciale.
Le Conseil d’Etat, saisi pour avis, avait estimé qu’une suspension automatique et générale de l’ensemble des demandes d’autorisations d’exploitation commerciale dans les hypothèses susvisées, serait disproportionnée et porterait une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre.
Le mécanisme de suspension s’appliquera donc, au cas par cas, en fonction des caractéristiques propres de chaque projet.
Dérogation d’autorisation d’exploitation commerciale pour les projets mixtes en centre-ville.
Enfin, l’article 165 de la loi ELAN prévoit une dérogation spéciale pour les projets mixtes, réunissant à la fois des commerces et des logements, situés dans un secteur d’intervention identifié par une convention ORT. L’article L. 752-2 du code de commerce est complété à cet effet par un IV, ainsi rédigé :
« Les opérations immobilières combinant un projet d’implantation commerciale et des logements situées dans un centre-ville compris dans l’un des secteurs d’intervention d’une opération mentionnée à l’article L. 303-2 du code de la construction et de l’habitation ne sont pas soumises à une autorisation d’exploitation commerciale dès lors que la surface de vente du commerce est inférieure au quart de la surface de plancher à destination d’habitation. »
Cette disposition trouvera à s’appliquer dans l’hypothèse où une convention ORT aura fixé un seuil au-delà duquel les équipements commerciaux demeurent soumis à autorisation d’exploitation commerciale (cf. supra). Ainsi, dès lors que des commerces qui dépasseront ce seuil, seront prévus dans le cadre d’un programme mixte et que leur surface de vente sera inférieure au quart de la surface de plancher des logements inclus dans le même programme, ils bénéficieront de cette dispense légale d’autorisation d’exploitation commerciale.
L’ensemble de ces mesures est d’application immédiate, pour autant que soit signée une convention ORT.
II. La modification des critères d’appréciation des projets et les éléments complémentaires du dossier de demande d’autorisation.
Apparition de nouveaux critères d’appréciation des projets.
L’article 166 de la loi ELAN ajoute trois nouveaux critères d’appréciation des projets commerciaux, à ceux existants et mentionnés à l’article L. 752-6 du code de commerce, que les commissions devront également prendre en compte à compter du 1er janvier 2019.
Ces critères sont les suivants :
En matière d’aménagement du territoire :
La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’EPCI à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre ;
Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d’infrastructures et de transports.
En matière de développement durable :
La qualité environnementale du projet du point de vue des émissions de gaz à effet de serre.
Obligation de réaliser une étude d’impact et un « test anti-friche ».
L’article 166 de la loi introduit également l’obligation, pour les porteurs de projets, de joindre à leur dossier de demande d’autorisation d’exploitation commerciale, une étude d’impact, réalisée par un organisme indépendant habilité par le Préfet, et destinée à évaluer les effets du projet :
« Sur l’animation et le développement économique du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre, ainsi que sur l’emploi, en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires. »
Cette étude devra également démontrer qu’aucune friche existante en centre-ville ne permet l’accueil du projet envisagé, et à défaut, qu’aucune friche de même type n’existe en périphérie.
Cette mesure nécessitera donc l’intervention d’un arrêté préfectoral qui devra désigner les organismes habilités à réaliser lesdites études.
III. Le renforcement des mesures de contrôle et des sanctions.
Contrôle du respect de l’autorisation d’exploitation commerciale par l’exigence de production d’un certificat et nouvelles obligations pour le Préfet.
Un mois avant la date d’ouverture de son projet au public, le bénéficiaire de l’autorisation d’exploitation commerciale devra désormais transmettre au Préfet, au Maire et au Président de l’EPCI compétent, un certificat, établi à ses frais, par un organisme habilité par le Préfet et attestant soit du respect par son projet de l’autorisation d’exploitation commerciale qui lui a été délivrée, soit de l’absence de nécessité pour celui-ci d’obtenir une autorisation d’exploitation commerciale, en application des articles L. 752-1-1 et L. 752-2 du code de commerce.
Cette disposition est destinée à permettre de vérifier a posteriori le respect de l’autorisation par le demandeur, ainsi que des engagements qu’il aurait pu prendre tardivement devant la commission.
L’article L. 752-23 du code de commerce précise également qu’en l’absence de délivrance du certificat susvisé, dans le délai prescrit, l’exploitation des surfaces de vente sera réputée illicite.
Enfin, en cas d’exploitation de surfaces de vente illicites, l’article susvisé a été réécrit pour transformer ce qui n’était auparavant qu’une faculté pour le Préfet, en obligation. Ainsi, la loi prévoit que le Préfet doit obligatoirement mettre en demeure l’exploitant de surfaces de vente irrégulières de les fermer au public dans un délai de trois mois à compter de la transmission à ce dernier du constat d’infraction.
A défaut, le Préfet devra prendre un arrêté ordonnant la fermeture desdites surfaces, dans un délai de quinze jours, jusqu’à leur régularisation effective, assorti d’une astreinte journalière de 150 euros maximum par mètre carré de surface de vente irrégulièrement exploité.
Précision des sanctions en matière d’obligation de démantèlement des installations inexploitées.
L’obligation de démantèlement et de remise en état du site, en cas de cessation de l’exploitation, et en l’absence de réouverture dans un délai de trois ans, a été instituée par la loi « ALUR », mais les sanctions applicables en cas de carence du propriétaire sont désormais précisées par la loi ELAN.
L’article L. 752-1 du code de commerce modifié prévoit qu’à l’expiration du délai de trois ans, susvisé, le Préfet met en demeure le propriétaire concerné de lui présenter les mesures qu’il entend mettre en œuvre à cet effet dans un délai déterminé, et en informe l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire.
Si, à l’expiration de ce délai, le propriétaire n’a pas obtempéré, le Préfet peut l’obliger à consigner entre les mains d’un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser, laquelle lui sera restituée au fur et à mesure de l’exécution des mesures prescrites.
Après une mise en demeure restée sans effet, le Préfet, peut faire procéder d’office, aux frais du propriétaire concerné, au démantèlement et à la remise en état du site.
Clarification des textes en matière de modifications substantielles des projets.
L‘article 170 de la loi ELAN procède à un toilettage de l’article L.752-15 du code de commerce, en supprimant un passage, issu de la loi Pinel, qui en rendait l’interprétation obscure. Désormais, l’article dispose qu’une « nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d’instruction ou lors de sa réalisation, subit, du fait du pétitionnaire, des modifications substantielles au regard des critères énoncés à l’article L. 752-6 ».
Il est, en outre, complété par la mention suivante :
« Lorsqu’elle devient définitive, l’autorisation de modifier substantiellement le projet se substitue à la précédente autorisation d’exploitation commerciale accordée pour le projet. »
Augmentation du seuil en cas de réouverture au public d’un magasin fermé depuis plus de trois ans.
A l’inverse des trois mesures précédentes, la loi ELAN est venue assouplir les conditions de réouverture au public, sur le même emplacement, d’un magasin de commerce de détail dont les locaux ont cessé d’être exploités pendant trois ans, en réhaussant le seuil, auparavant de 1.000 mètres carrés de surface de vente, à 2.500 mètres carrés [4].
IV. Les changements apportés aux schémas de cohérence territoriale (SCOT).
Alors que la loi Pinel l’avait rendu facultatif, le document d’aménagement artisanal et commercial (DAAC) redevient obligatoire au sein du SCOT, dans le document d’orientation et d’objectifs (DOO) et devra prévoir le type d’activité et la surface de vente maximale des équipements commerciaux spécifiques aux différents secteurs identifiés.
L’article L.141-7 du code de l’urbanisme qui contient ces nouvelles dispositions, précise que le DAAC pourra également, de manière plus spécifique :
« 1° Définir les conditions permettant le développement ou le maintien du commerce de proximité dans les centralités urbaines et au plus près de l’habitat et de l’emploi, en limitant son développement dans les zones périphériques ;
2° Prévoir les conditions permettant le développement ou le maintien de la logistique commerciale de proximité dans les centralités urbaines afin de limiter les flux de marchandises des zones périphériques vers les centralités urbaines ;
3° Déterminer les conditions d’implantation des constructions commerciales et de constructions logistiques commerciales en fonction de leur surface, de leur impact sur les équilibres territoriaux, de la fréquence d’achat ou des flux générés par les personnes ou les marchandises ;
4° Conditionner l’implantation d’une construction à vocation artisanale ou commerciale en fonction de l’existence d’une desserte par les transports collectifs, de son accessibilité aux piétons et aux cyclistes ;
5° Conditionner l’implantation d’une construction logistique commerciale à la capacité des voiries existantes ou en projet à gérer les flux de marchandises. »
V. Les mesures relatives à la composition et au fonctionnement des commissions.
Modification de la composition et du fonctionnement des CDAC.
L’article 163 de loi ELAN prévoit que les commissions départementales d’aménagement commercial devront auditionner, pour tout projet nouveau, la personne chargée d’animer le commerce de centre-ville au nom de la commune ou de l’EPCI à fiscalité propre, l’agence du commerce et les associations de commerçants de la commune d’implantation et des communes limitrophes lorsqu’elles existent. Elles devront également informer les Maires de ces communes limitrophes, dès l’enregistrement d’une demande d’autorisation d’exploitation commerciale (article L. 751-2 du code de commerce modifié).
En outre, trois nouvelles personnalités qualifiées, sans pouvoir délibérant, représentant le tissu économique, font leur entrée au sein des CDAC : une désignée par la chambre de commerce et d’industrie (CCI), une autre par la chambre des métiers et de l’artisanat (CMA), et une dernière par la chambre d’agriculture.
Ces personnes auront la charge, pour les deux premières, d’éclairer les commissions sur la situation du tissu économique dans la zone de chalandise, et l’impact du projet sur ce dernier. La troisième, aura pour mission de présenter l’avis de la chambre de l’agriculture lorsque le projet est consommateur d’espaces agricoles.
Enfin, la loi ELAN prévoit, en outre, que les CCI, les CMA et les chambres d’agriculture pourront être sollicitées par les Préfets, un mois au moins avant l’analyse d’un dossier de demande d’autorisation d’exploitation commerciale, pour réaliser des études spécifiques d’organisation du tissu économique, commercial et artisanal ou de consommation des terres agricoles.
Audition d’un membre de la CDAC devant la CNAC.
L’article L. 752-19 du code de commerce prévoyait déjà l’audition, de droit, devant la CNAC, et à sa demande, du Maire de la commune d’implantation du projet. Il est complété par un nouvel alinéa permettant aux CDAC de désigner, en leur sein, un membre qui sera chargé d’exposer la position de ladite commission devant la CNAC, le cas échéant.
Clause de revoyure devant la CNAC.
L’article L. 752-21 du code de commerce prévoit qu’un pétitionnaire dont le projet a été rejeté par la CNAC pour un motif de fond, ne peut déposer une nouvelle demande d’autorisation sur le même terrain, à moins d’avoir pris en compte les motivations de la décision ou de l’avis rendu par la Commission.
Ce dispositif est complété, en vue d’accélérer l’instruction des projets, par une nouvelle disposition prévoyant que la nouvelle demande puisse être redéposée directement devant la CNAC, sans repasser en CDAC, lorsqu’elle ne constitue pas une modification substantielle du projet précédemment refusé par elle.
La loi ELAN s’inscrit ainsi dans le cadre des objectifs déjà affichés par les précédentes réformes, et vise principalement à la revitalisation des centres-villes et à la poursuite d’une intégration cohérente des équipements commerciaux dans l’espace urbain, en mettant en place des mécanismes inédits et en renforçant les mesures de contrôle et de sanction du respect de la législation. La présence et l’intervention d’organismes sachants et indépendants, au sein des commissions et dans le cadre de l’instruction des projets, démontre également la volonté du législateur de permettre aux organes décisionnaires de mieux appréhender l’ensemble des problématiques liées aux implantations commerciales, notamment au regard des impacts économiques et environnementaux parfois difficiles à évaluer.
La pratique dira si ces nouvelles dispositions se révèlent efficaces pour atteindre les objectifs souhaités. En attendant, elles représentent un certain nombre de contraintes nouvelles que les porteurs de projets vont devoir intégrer.