LE METISSAGE DU BARREAU
La profession d’avocat vit un changement inexorable, une accélération exponentielle où les mois comptent pour des années. Le Barreau est fortement marqué par un environnement instable et dérégulé qui suscite tant de changements dans la vie quotidienne de l’avocat. Le Barreau ne conna”t pas une évolution mais bien une révolution. Ces modifications sont souvent perçues de manière négative par la profession qui semble parfois ne pas avoir d’emprise sur son propre sort.
En cette période transitoire où le siècle passé n’est pas encore tout à fait mort et le siècle nouveau n’est pas encore tout à fait né, nous assistons au phénomène intéressant du métissage du droit, de la justice et du barreau. Ils se décloisonnent, s’ouvrent à d’autres disciplines. Ce sera d’ailleurs une des caractéristiques de cet avocat du siècle naissant : une ouverture à l’interdisciplinarité. Il faut donc éviter à tout prix de limiter la réflexion sur l’avenir du Barreau au seul jugement des pairs ou des pères de la profession. L’ethnocentrisme et le népotisme, qui ont baigné une certaine frange de la profession pendant des décennies, n’ont pas permis de dégager une vision stratégique à long-terme de ce que devrait être l’évolution de la profession. Il importe aujourd’hui d’ouvrir le grand angulaire à l’heure où de trop nombreux praticiens n’envisagent leur métier qu’à travers l’oculaire du microscope. Pris dans la tourmente d’une concurrence nouvelle et redoutable, d’une loyauté toute relative d’un législateur qui érode les monopoles, d’un marché du droit en pleine croissance sur certains créneaux, de modifications technologiques qui transforment le métier, nombre d’avocats ont le nez sur le guidon. Ils s’embourbent dans le quotidien en faisant l’épargne d’une vision globale ou en reportant celle-ci sur les autorités ordinales de la profession.
Les Ordres sont eux-mêmes fragilisés. La révolution n’est pas qu’individuelle, elle est collective. Les Bâtonniers et les Conseils de l’Ordre héritent d’un passif lourd. La tradition ne véhicule pas qu’un contenu positif. Sans l’innovation et l’adaptation, la tradition peut se révéler un handicap farouche. Il y a une somme incommensurable de bonnes volontés au sein des conseils de l’ordre mais la multiplicité des structures, l’inopportunité de la carte judiciaire face aux besoins actuels, constituent un gâchis qu’il faudra un jour reconsidérer. L’éparpillement de la disponibilité et du bénévolat en pléthore de paroisses situe le Barreau au temps des villages. Sans une fusion des moyens tant humains que financiers, les avocats français tout comme leurs confrères d’Europe continentale que ce soit en Italie, en Belgique ou en Espagne, rencontreront les pires difficultés. Les structures actuelles datant de l’ère napoléonienne ne correspondent plus à notre société postindustrielle. L’avocat doit passer de Napoléon à Bill Gates !
L’ECONOMIE DU DROIT
Parmi les mutations, c’est sans doute la fusion entre l’économie et le droit qui est la plus remarquable. Une fusion inamicale. Peut-être une acquisition, un "take-over" de l’économie sur le droit. Le grand paradoxe de cette période charnière c’est sans doute cette revanche de Marx. Sa théorie évoquant une suprématie de l’économie sur les autres grandes structures de la société n’a jamais été aussi actuelle. Le phénomène de concentration n’épargne pas les cabinets d’avocats. On assiste à une bipolarisation entre les méga-firmes et les micro-structures. Les cabinets de tailles moyennes sont les plus fragilisés. Le credo anglo-saxon du "go global, go niche or go out" reflète une certaine réalité.
Il y a quelques années encore, le fait même d’évoquer le marché du droit constituait une provocation en soi dans l’esprit de certains. Je me faisais fréquemment houspiller à la conclusion d’un cours ou d’un séminaire par quelque avocat romantique. L’accélération est telle que ces signes extérieurs de paresse intellectuelle ont aujourd’hui disparus. La grande majorité des avocats reconnaissent aujourd’hui l’existence de ce marché. Des réminiscences de la négation du marché du droit se retrouvent encore dans le vocabulaire où le talent sémantique des avocats s’exprime. L’expression "périmètre du droit" appara”t cependant déjà obsolète.
L’ECONOMIE DE LA JUSTICE
Si l’on peut élaborer une théorie économique du droit, du secteur juridique, on peut aussi le faire pour la justice. Il y a bien évidemment une carence car aucune approche sérieuse et scientifique de la justice dans ce pays n’a jamais été réalisée.
Les poursuites judiciaires menées à l’égard de certaines grandes sociétés fraudeuses ou criminelles alourdissent l’escarcelle de l’Etat. Toutefois, personne ne semble s’intéresser aux chiffres. Certes, la justice cožte mais elle rapporte aussi.
Un juge d’instruction financier fait rentrer de l’argent dans les caisses des pouvoirs publics, quel est le circuit de cet argent frais dans les arcanes de l’Etat ?
Il serait sans doute utile de réaliser une étude économique sur la justice. Elle permettrait de suivre les flux économiques induits par les jugements, les frais de greffes, les actes notariés,... Elle permettrait aussi de chiffrer des cožts cachés tels que l’impact de l’instrumentalisation de la justice par les acteurs économiques ; comme c’est le cas pour l’entreprise qui par stratégie met en branle la justice pour obtenir un argument stratégique de négociation favorable à ses affaires.
Certes, l’étude du droit, de la justice et de l’avocat ne doit pas se baser exclusivement sur une perspective économique. Ne confondons pas non plus l’optique économique et l’optique commerciale. En critiquant la première, le juriste, par méconnaissance des concepts, fait en général référence à la seconde, bien évidemment plus contestable. Aujourd’hui, l’avocat peut-il encore faire l’économie d’une approche économique ?
Alors que l’argent constitue souvent la raison principale d’ester en justice, il existe un rapport sacral entre la justice et l’argent. Il para”t honteux de dire que le droit cožte mais que ce cožt ne se réduit pas au fonctionnement de la justice.
LE MARCHE DU DROIT
Le monde du droit a longtemps cru vivre en dehors des cycles économiques traditionnels. Aujourd’hui des notions d’économie pure et d’économie appliquée font irruption dans le quotidien des professions juridiques. Une des caractéristiques de l’avocat du 21ème siècle sera cette nécessaire réflexion vis-à-vis du marché.
Les professionnels du droit sont souvent mal à l’aise pour traiter objectivement ces données ; les formations en droit dispensées par les universités ou d’autres institutions telles que l’école du Barreau ne préparent pas suffisamment le juriste à affronter la logique économique ou encore à gérer un cabinet dans un objectif de rentabilité.
Alors que l’on inculque dans les cours de déontologie la notion de "désintéressement", on n’évoque pas la notion de rentabilité qui est pourtant une obligation économique et légale pour l’entreprise. Les cabinets devenus des entreprises, souvent même dans leurs formes juridiques, sont tenues d’être rentables. Ne parlons pas ici de profit mais de l’accès à l’équilibre économique qui conditionne l’équilibre professionnel. L’indépendance économique précède l’indépendance professionnelle. Un éminent bâtonnier soulignait la caractéristique fondamentale de l’avocat : pouvoir dire non à son client. Un avocat fragilisé économiquement peut-il dire non à son client ?
Le marché du droit en France, comme dans la plupart des pays européens, est encore une grande inconnue. Il n’existe pas de concept d’économie du droit comme il existe une économie sociale ou une économie de la santé. Mis à part les importants travaux du Barreau de Paris et de son observatoire ainsi que les recherches de l’ANAAFA, le juriste français ne dispose pas de chiffres sérieux ou de statistiques précises sur les aspects économiques de sa pratique. Il n’y a pas de véritables observatoires du droit. Malgré les données lacunaires disponibles, on constate que ce marché est important et en pleine expansion. L’économie libérale innove et le droit accompagne l’évolution : droit des télécommunications, droit du commerce électronique, droit de la bioéthique,...
On remarque aussi une durée de vie de plus en plus courte des accords contractuels, une multiplication et un renouvellement plus rapide des conflits, une pénalisation grandissante des rapports socio-économiques ou encore une explosion normative et législative.
Dans ce marché du droit en pleine croissance, on assiste à une démultiplication des prestataires de services juridiques : les banques, les compagnies d’assurance, les sociétés de conseils juridiques, les sociétés de recouvrement de créances, les mutuelles, les universités, les administrations mais aussi des professions plus techniques comme les auditeurs ou les experts-comptables, cristallisés par les " Big Five ", font du droit.
La concurrence fait partie de la donne et de la pratique de l’avocat. L’impact de cette nouvelle concurrence sur les professions juridiques traditionnelles désoriente le juriste libéral à un moment où celui-ci est confronté à de profonds changements. L’exemple des avocats est très révélateur. L’avocature se subdivise de plus en plus en deux métiers : l’avocat d’affaires et l’avocat de proximité. Le premier considère parfois le second avec dédain comme un "avocat de palais" en l’écartant de la main. On peut bien évidemment se poser la question : l’avocat peut-il exister sans son rapport avec le palais de justice ?
Quant à lui, l’avocat de proximité considère parfois son confrère "business lawyer" comme un "avocat poulet de batterie", un robot qui vend le droit au mètre.
Il doit exister un juste milieu et la collaboration doit pouvoir remplacer la confrontation entre l’"avocat judiciaire" et l’"avocat juridique".
L’AVOCAT ENTRE ECONOMIE DE CRISE ET ECONOMIE DE MARCHE.
Cette nouvelle concurrence a brisé le quasi-monopole d’antan de l’avocat sur la consultation juridique. Titulaires de moyens financiers plantureux, certaines de ces organisations sont susceptibles de faire subir à l’avocat moyen une dégradation sensible de sa situation économique. Au moment où il ne semble plus inconcevable que le monopole de la représentation en justice reste au sein du barreau, les autorités professionnelles devront tenter de donner à l’avocat les moyens de se repositionner valablement au sein du marché des services.
La crise économique a eu son influence sur la pratique de nombreux avocats traditionnels. Le développement des clientèles d’aide judiciaire, la chute de rentabilité des clientèles institutionnelles, l’accroissement des concurrences externes, la montée exponentielle des effectifs de la profession poussent une frange de la population des avocats dans une position difficile. La conjoncture économique difficile et un marché du droit stagnant voire décroissant sur certains créneaux traditionnels a des répercussions sociologiques importantes. Nous assistons à la naissance d’un " prolétariat juridique " important. D’abord dans les grands barreaux ensuite dans les barreaux de moindre taille.
Ce "lumpenproletariat" judiciaire peut cependant être résorbé. Il n’y a évidemment pas de solutions faciles mais le droit étant devenu omnipotent et omniprésent dans notre société, l’avocat a un rôle particulier à y jouer. L’ordre social interne de nombreuses institutions a périclité. On trouve dans les palais de justice des ecclésiastiques, des élèves et des enseignants, des militaires et leur famille, des sportifs,... L’église, l’école, l’armée ont perdu leur contrôle social. Leur autorité est victime de la judiciarisation qui draine de nouveaux publics dans les prétoires. La dernière autorité sociale de la Société est la Justice.
La Justice est le "service après-vente" de la Société. L’avocat est le service après-vente de la justice. Formuler cette analogie, c’est montrer aussi que, comme dans une entreprise, le service après-vente est la dernière roue du carrosse, le département qui reçoit le moins de moyens financiers et humains.
Lors d’une intervention au 70ème congrès de la Confédération Nationale des Avocats à Toulouse, je concluais mon propos en invoquant le nécessaire passage à l’offensive. Au lieu d’envoyer le SAMU social aux avocats en difficulté , n’est-il pas temps de leur envoyer le SAMU marketing ? La profession fait depuis trop longtemps l’inventaire de ses faiblesses, le constat de ses carences. L’heure n’est plus aux bilans mais aux solutions. La réactivité doit laisser place à la proactivité.
Les experts-comptables et les notaires ont défini voilà dix ans le plan stratégique de leur profession pour se préparer à une course de fond. Les avocats, réagissent par à coups et font des petits sprints qui s’apparentent aux courses d’échauffements de ces remplaçants sur le bord des terrains de football pendant que les titulaires jouent le match. Combien de temps les avocats vont-ils s’échauffer sur le bord de la pelouse ? Le passage du 21ème siècle doit être l’élément déclencheur d’une réflexion de fond sur l’avenir de la profession.
LE DROIT DOIT SE REAPPROPRIER SA PLACE
En se concentrant sur le monopole de la plaidoirie les avocats négligèrent longtemps le public des entreprises qui privilégiaient, à la justice traditionnelle, de nouveaux modes de gestion des conflits comme l’arbitrage ou la médiation qui sauvegardent la relation commerciale. Le développement des juristes internes diminua sensiblement le recours à des consultations externes par les entreprises. Pour un temps seulement, car les entreprises sont les premiers utilisateurs de la justice et des consommateurs boulimiques de droit. Le juriste d’entreprise est devenu le partenaire de l’avocat.
Le droit se réapproprie peu à peu sa place dans la société en cessant d’être un simple référent. Mais avant de permettre au droit de se réapproprier sa place dans la société, il faudra que les avocats puissent eux-mêmes s’approprier le droit. La question du "knowledge management", de la gestion des connaissances et de l’acquisition de l’information constitue un défi majeur. Il faut tenir compte du paradoxe européen qui veut que l’avocat de demain puisse gérer une connaissance globale à l’échelon européen tout en ne négligeant pas les particularismes nationaux voire régionaux. L’Europe, c’est ce double tourbillon. Intégrateur au niveau de l’Union, désintégrateur au niveau des régions.
DU BARREAU GENDARME AU BARREAU ACCOMPAGNATEUR DE PROJET
Les autorités ordinales ont bien identifiés certaines problématiques comme la publicité, la spécialisation, la formation et l’aide judiciaire. Il faut encore évoquer l’accès à l’information juridique, le commerce électronique de services juridiques, la cyberjustice, la multidisciplinarité, la gestion entrepreneuriale des structures, les nouvelles techniques de facturation, les normes de qualité de services reconnues, les nouvelles pratiques professionnelles, la collaboration avec les juristes d’entreprise, la création d’une véritable "culture d’entreprise" pour les avocats. Voilà autant de débats qui doivent recevoir toutes l’attention des dirigeants de la profession en Italie.
Le Barreau est souvent déconsidéré par ses membres qui ne voient en lui qu’un gendarme dont l’unique action est la répression et la production de normes liées à l’exercice de la profession. Si, certes, le rôle de contrôle du Barreau est incontestable, peut-être est-il important que l’Ordre ou les Ordres se transforment aussi en accompagnateurs de projets.
LA CRISE DES PROFESSIONS LIBERALES
En France, on continue de raisonner dans le schéma qui a justifié, au début du siècle, la théorie de la profession libérale par opposition aux professions commerciales. Pris dans une tourmente inévitable et face à une machine européenne comme la Commission de Bruxelles dont la raison d’être est l’élimination des monopoles pour favoriser la libre concurrence, les professions libérales basées sur l’exercice d’un monopole vont dans les prochaines années conna”tre une crise d’identité. Le Barreau doit en être conscient et ne pas se réfugier dans une position frileuse.
Les crises ne se règlent pas par des solutions de crises. Une grande majorité des avocats ne sont peut-être pas encore conscients que leurs représentants ont un rôle historique à jouer et que celui-ci passe par l’établissement d’un nouveau cadre pour la profession sur le long terme voire peut-être par la création d’une nouvelle profession.
LE CABINET D’AVOCATS EST UNE ENTREPRISE
Pour le juriste qui n’en aurait pas encore été conscient, les événements prouvent que le cabinet d’avocats est bien une entreprise. Un des ateliers du congrès de l’ACE que j’ai eu le plaisir d’animer portait l’intitulé " Avocats d’entreprises ö Entreprises d’avocats ". Que le cabinet soit une entreprise est incontestable en droit, cela l’est moins dans les faits.
Les institutions européennes assimilent de manière extensive les avocats et d’autres professions libérales à des entreprises. Si les cabinets d’avocats sont des entreprises en droit, elles devraient aussi l’être dans les faits. Certaines structures sont gérées sur le mode de l’entreprise et de nombreux avocats exercent aujourd’hui leur profession au sein d’entreprises sans porter atteinte à la spécificité de leur métier. La gestion entrepreneuriale du cabinet n’est plus une exclusive des grands cabinets d’affaires. Les cabinets de proximité qui ont été confrontés aux impératifs de la vie économique moderne doivent mettre en place des procédures pour se gérer efficacement. La certification aux normes techniques ISO 9000 et le contrôle de gestion externe constituent le moyen de s’observer ou de se laisser observer objectivement, sans miroir déformant.
L’arrivée des cabinets anglo-saxons dans le giron français a sans doute été un facteur de professionnalisation de la gestion des cabinets locaux. Un des apports les plus importants de ces cabinets étrangers reste sans doute la politique de marque, complètement ignorée en Italie, mis à part quelques exceptions. Il est vrai qu’a contrario de cabinets anglais qui se targuent parfois d’une existence centenaire, les cabinets italiens avaient jusqu’à récemment l’âge de leur associé principal. Au-delà des contraintes juridiques, on note aussi qu’un égocentrisme exacerbé et un individualisme tout latin n’ont pas favorisé une culture de la marque et de " l’entreprise juridique ".
INTéGRER LE MARKETING DANS LA DéONTOLOGIE
Si les avocats ont fait des progrès dans la science de la gestion entrepreneuriale ; il ne faut cependant pas se leurrer. La plupart des cabinets demeure, à la lumière de l’économie appliquée, dans le domaine de la pseudo-entreprise. L’intuitif prend souvent le pas sur des techniques de gestion objectives qui ont fait leurs preuves dans d’autres domaines d’activités. La formation sera un des grands enjeux de ce 21ème siècle et il faudra " apprendre à apprendre " dans des domaines qui ne sont pas exclusivement techniques. L’avocat se formera de plus en plus en droit mais aussi dans des matières périphériques au droit.
La carence principale du cabinet d’avocats qui l’empêche de se comparer à une véritable entreprise reste néanmoins la faiblesse ou l’inexistence de la fonction marketing. Nous évoquons ici une véritable fonction marketing, répondant à la définition économique de cette science et pas à un panel de techniques intuitives et anarchiques de communication dont le résultat ne peut être mesuré.
Les avocats qui se débrouillent le mieux dans ce domaine sont sans doute ceux qui ont intégré les techniques modernes de marketing éprouvées depuis des années dans le monde de l’entreprise. Ceux-là n’ont pas confondu le marketing avec la publicité, concept polluant qui n’est qu’un minime instrument opérationnel de la politique de communication. Le combat et le débat sur la publicité a causé beaucoup de torts aux avocats. La publicité de l’avocat a été et est un faux débat au niveau économique. La publicité de type commercial, exercée par des avocats, ne rapporte rien et peut, le cas échéant, se transformer en mécanisme contre-productif. Quelle entreprise sérieuse sélectionnerait son avocat d’après une annonce publicitaire ?
Il existe pléthore de techniques de marketing adaptables au marché des services juridiques et conciliables avec les prérogatives d’un cabinet d’avocats. L’avocat nouveau devra pouvoir les utiliser et se poser la question de savoir s’il n’est pas plus pertinent d’inscrire le marketing dans la déontologie de l’avocat plutôt que la publicité. Le marketing est la science qui permet de satisfaire les besoins du consommateur, et donc du justiciable, en lui offrant le service le plus adéquat. Voilà une tâche bien noble que des années de dénigrement du marketing n’ont pas effacées. Cette loi économique n’est d’ailleurs pas que noble, elle est efficace et rentable. Un bon marketing permet de ne pas faire de publicité !
LA GéNéRALISATION DU CYBERAVOCAT ET DE LA CYBERJUSTICE
Il para”t certain que ces avant-gardistes qui osèrent mélanger, tels des apprentis sorciers, le droit et internet à la fin du XXème siècle recevront la reconnaissance de leurs pairs au siècle suivant. Il est indéniable que les nouvelles technologies vont révolutionner le métier qui est en grande partie un métier d’information. Celui qui ne pourra réaliser sa "révolution technologique" souffrira d’un handicap considérable. L’avocat ne devra plus avoir peur du cyberavocat.
L’avocatn’évoluera pas vers les technologies par simple volonté de gadgétisation ou de modernisme. L’environnement de sa pratique imposera ces mutations avec l’émergence de ce que l’on appelle la "Cybérie" qu’épousera aussi la justice du 21ème siècle.
REFLECHIR EST-IL UNE PROVOCATION ?
Comme le disait un de nos grands auteurs français, il n’y a aucune élégance à gifler les cadavres. Par contre la gifle a parfois ce caractère médicinal qui permet de ramener un être inconscient à la vie. L’objectif de l’ouvrage n’est pas de tirer délibérément sur l’ambulance mais d’éviter que l’ambulance se transforme en corbillard.
Est-il si utopique de prédire la mort d’une profession dont un éminent membre du Barreau me disait avec ironie qu’il s’agissait du plus vieux métier du monde ?
Dans certains pays européens, des députés déposent des propositions de loi visant à supprimer purement et simplement la profession de notaire. Dans les années soixante-dix, la profession d’ " avoué " fut supprimée de l’échiquier judiciaire belge, elle se maintient encore en France. Pour combien de temps ? C’est paradoxal à un moment où certains avocats se voient remettre par des conseils juridiques des dossiers déjà ficelés qu’ils n’ont plus qu’à plaider. Des dossiers dont la substantielle moelle a été retirée préalablement par d’autres, des affaires dont la valeur ajoutée a été perçue en amont du travail d’un avocat exerçant un monopole titubant.
Un projet de fonctionnarisation de l’avocat, notamment en ce qui concerne les matières liées à l’assistance judiciaire, est sorti par le passé des cartons du monde politique dans certains pays voisins. Le métier a sous l’effet du législateur national connu certains rebondissements et chocs structurels. La fusion des avocats et des conseils juridiques en France, l’entrée dans les palais de justice des juristes d’entreprise néerlandais, pour ne citer que quelques évolutions.
Est-ce hypocrite que de s’inscrire dans une réflexion historique ? La ligne du temps de l’avocat est-elle éternelle ? L’accélération extraordinaire que conna”t la profession n’est plus contestable. Le Bâtonnier de Paris évoquait lors d’un récent colloque que "les avocats vont changer le monde". Si l’on veut se donner les moyens de son ambition, il faut avoir l’humilité d’accepter le constat que le monde a changé l’avocat. Le monde change l’avocat. La société ne s’adaptera pas à l’avocature. Il reste à l’avocature à s’adapter à son environnement. Cela n’empêche nullement le Barreau de maintenir et de consolider des valeurs fondatrices et fondamentales. Il s’agit simplement de s’assurer que ces valeurs ne se transforment en mythes.
(*) Laurent Marlière est économiste. Journaliste économique à Paris et Bruxelles, il est un des experts européens du marketing appliqué aux avocats. Il a notamment publié "Le Marketing du Cabinet d’avocats et Quel avocat pour le 21è siècle ?".