Bail commercial : clause réputée non-écrite, action imprescriptible et absence de responsabilité notariale.

Par Mathilde Block, Avocate.

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Explorer : # bail commercial # clause réputée non-écrite # imprescriptibilité # responsabilité notariale

La clause de renonciation à l’indemnité d’éviction, anciennement susceptible de tomber sous le coup de la nullité, devient réputée non-écrite lorsque le bail commercial est en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi Pinel n°2014-626 du 18 juin 2014.

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L’action visant à réputer une telle clause non-écrite est imprescriptible.

Par ailleurs, le notaire ayant instrumenté l’acte authentique de vente du bien n’est pas tenu d’alerter les acheteurs sur le défaut de la clause du bail commercial qu’il n’a pas rédigé (Cass, Civ. 3ème, 16 novembre 2023, pourvoi n°22-14.091).

I) Le contexte.

Au cours de l’année 2002, deux époux sont démarchés par un promoteur immobilier (société Lama). Ils régularisent un contrat de réservation d’une villa à construire dans une résidence de tourisme avec, pour objectif, de mettre le bien en location commerciale à l’achèvement de la construction.

Le 31 octobre 2003, le notaire reçoit l’acte authentique de vente en l’état futur d’achèvement.

A l’achèvement de l’immeuble, les bailleurs consentent le bail commercial prévu au contrat de réservation à une société exploitante ("la société 5") pour une durée de 9 années.

Le bail commercial, rédigé sous seing privé par un agent immobilier, contenait une clause de renonciation à l’indemnité d’éviction.

NB : Sous l’empire du droit antérieur à la loi Pinel n°2014-626 du 18 juin 2014, cette clause était sanctionnée par la nullité, soumise à la prescription biennale de l’article L145-60 du Code de commerce. La loi Pinel a modifié le régime applicable à cette clause : elle est désormais réputée non-écrite et cette sanction n’est pas soumise à prescription.

Revenons-en aux faits : le bail commercial en cours arrive à expiration et se prolonge tacitement pendant la promulgation de la loi Pinel n°2014-626 du 18 juin 2014.

Le 23 septembre 2014, les bailleurs délivrent un congé avec refus de renouvellement sans indemnité d’éviction à la société locataire, à effet au 31 mars 2015.

Le 7 décembre 2015, la société locataire assigne les bailleurs en annulation du congé, en indemnisation du préjudice de dépossession des lieux et en paiement d’une indemnité d’éviction.

Le 3 octobre 2016, les bailleurs assignent le promoteur immobilier et le notaire en garantie.

II) Sur la sanction applicable à la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction.

La loi Pinel n°2014-626 du 18 juin 2014 est classiquement applicable aux baux conclus ou renouvelés à compter de son entrée en vigueur.

Néanmoins, dans un arrêt de principe rendu le 19 novembre 2020 par la troisième chambre civile (pourvoi n°19-20.405), la Cour de cassation a précisé que l’article L145-15 du Code de commerce, modifié par la loi Pinel, était applicable aux baux en cours.

Ainsi, les clauses du bail en cours précédemment sanctionnées par l’action en nullité biennale deviennent soumises au "réputé non-écrit" à l’entrée en vigueur de la loi (notamment la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction) et cette sanction est imprescriptible !

En l’espèce, la cour retient que le bail commercial contenant une clause de renonciation à l’indemnité d’éviction s’est tacitement prolongé et était encore en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi Pinel n°2014-626 du 18 juin 2014.

Le congé délivré le 23 septembre 2014 n’a mis fin au bail que le 31 mars 2015.

Dans ces conditions, la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction est passée du régime de la nullité (soumise à prescription biennale) au régime de la réputation non-écrite imprescriptible avant l’expiration du contrat.

La société locataire était donc légitime à se prévaloir de cette sanction à l’encontre des bailleurs, et l’arrêt d’appel est confirmé sur ce point.

III) Sur l’absence de responsabilité du notaire instrumentaire.

L’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 25 janvier 2022 est néanmoins infirmé sur d’autres points, notamment celui par lequel la responsabilité du notaire est retenue pour avoir omis d’informer les propriétaires de la nullité pouvant affecter la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction contenue dans le bail commercial.

La cour d’appel condamne le notaire in solidum avec le promoteur immobilier à garantir et relever les bailleurs de leurs condamnations à indemniser la société locataire évincée.

La Cour de cassation censure la cour d’appel en rappelant que le notaire n’était pas tenu d’une obligation de conseil concernant l’opportunité économique d’un bail commercial conclu par les acquéreurs sans son concours, ni de les mettre en garde sur le risque d’annulation d’une clause de ce bail, sans incidence sur la validité et l’efficacité de l’acte de vente instrumenté.

La responsabilité du notaire est écartée par la Cour de cassation et l’arrêt d’appel est infirmé sur ce point.

IV) Conclusion.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 novembre 2023 est l’occasion, pour la Haute Juridiction, de procéder à trois rappels utiles :

  • La Cour de cassation cite et confirme l’arrêt rendu par la 3ᵉ Chambre Civile le 19 novembre 2020, selon lequel l’article L145-15 du Code de commerce réputant non-écrites certaines clauses du bail commercial est applicable aux baux en cours à l’entrée en vigueur de la loi Pinel n°2014-626 du 18 juin 2014
  • La Cour de cassation saisit également l’occasion de rappeler que l’action visant à faire application de cet article et à réputer une clause non-écrite est imprescriptible (avis aux bailleurs comme aux locataires !)
  • Enfin, la Cour de cassation rappelle qu’en matière de baux commerciaux conclus sous seing privé parallèlement à un acte authentique de vente, le devoir d’information et de conseil du notaire se limite aux actes qu’il reçoit et pour lequel il est garant de l’efficacité. Cette jurisprudence de la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité de son arrêt rendu le 28 juin 2023 par la 1ʳᵉ chambre civile (pourvoi n°21-21.181).

Mathilde BLOCK - Avocate
Cabinet BLOCK AVOCAT
Barreau de la Rochelle-Rochefort
Droit des affaires - Baux commerciaux - Immobilier
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