Le bouclier fiscal, par Françoise Cavallé, Avocat

Le bouclier fiscal, par Françoise Cavallé, Avocat

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Explorer : # bouclier fiscal # plafonnement des impôts # Évasion fiscale # théorie économique

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En France, selon la définition donnée par l’État, le bouclier fiscal est un dispositif de plafonnement des impôts directs qui bénéficient aux particuliers. Le principe de ce dispositif est défini à l’article 1 du code général des impôts qui dispose que les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus.

S’agissant d’impôts directs, les impôts concernés par le plafonnement sont :

- L’impôt sur l’impôt sur le revenu,

- Les contributions des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine, d’activité et de remplacement ou sur les produits de placement (CSG, CRDS)

- L’impôt de solidarité sur la fortune,

- La taxe d’habitation et la taxe foncière sur le bâti et non bâti concernant la résidence principale.

En France, le plafonnement doit être demandé par le contribuable au service des impôts. Si des prélèvements ont été effectués à raison de plus 50 % de ses revenus, dépassant ainsi le seuil maximal d’imposition, il existe un droit à restitution au bénéfice du foyer fiscal concerné. La demande de restitution s’effectue du 1er janvier au 31 décembre de l’année N +2.

Les contribuables ont jusqu’au 31 décembre 2010 pour faire une demande de restitution portant sur les revenus 2008 et les impôts payés en 2008 et 2009 sur les revenus.

Cette mesure est sensée s’appliquer à tous les contribuables français.

Cette disposition fiscale a un sens dans les pays ou un problème naît de la superposition de plusieurs impôts, des impôts sur le revenu du travail, des impôts sur le revenu du capital et des impôts sur le patrimoine.

La France n’est pas le seul pays d’Europe à pratiquer le plafonnement des impôts. On trouve des mesures similaires en Finlande, en Suisse, au Danemark, et, dans ces pays, le plafonnement se situe à environ 60 % des revenus.

Cette idée de plafonnement de l’impôt est une mesure dérivée des théories économiques d’Arthur LAFFER, économiste américain et père de la formule « trop d’impôt tue l’impôt » et de la courbe de LAFFER.

C’est une courbe en forme de dôme ou la pointe est censée symboliser le meilleur rapport taux de fiscalité sur rentabilité de l’impôt.

La phase ascendante représente le taux d’imposition acceptable et la phase descendante, le taux d’imposition dissuasif.

Se fondant sur cette courbe, Arthur LAFFER est un ardent défenseur d’une politique de réduction des impôts. Son influence est importante au cours des années 1980. Il influence notamment la politique fiscale de Ronald Reagan en impulsant des réductions d’impôts massives.

Cette influence ne se limite pas aux seuls États-Unis puisque de telles politiques de réduction des impôts voient le jour en Europe. C’est le cas en Grande-Bretagne à partir de 1979 sous le gouvernement de Margareth Thatcher et jusqu’en 1997 sous le gouvernement de John Major.

En France, depuis 1982, une partie des gouvernements qui se succèdent mettent en place de telles politiques.

Par exemple, l’impôt sur les sociétés passe de 50 % à 33,33 % en 1997. Le taux de l’impôt sur le revenu des personnes physiques diminue lui aussi avec certaines réformes fiscales dont la dernière en date, le bouclier fiscal qui limite la pression fiscale à 50 % des revenus d’un individu.

Déjà d’autres économistes avant LAFFER, comme Jean-Baptiste SAY, disaient qu’un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte. En effet face à une augmentation des prélèvements obligatoires les investisseurs renoncent à investir car les gains procurés sont en grande partie amputés par l’impôt.

L’activité s’en trouve ralentie de même que les affaires (moins de travail égal moins de revenus), de sorte que l’État rentre moins d’impôts et a plus de difficultés à assurer le service public à moins d’augmenter encore le déficit public.

Une baisse des impôts au contraire, doit encourager les plus dynamiques et les plus entreprenants à investir pour gagner de l’argent, les gains étant alors moins touchés par l’impôt.

Ce surcroît d’activité va créer des richesses dont vont bénéficier tous ceux qui directement ou indirectement, y ont participé (salariés, prêteurs, actionnaires, entreprises, administrations).

La croissance sera ainsi relancée. Avec l’augmentation des dépenses et celle des revenus, l’État pourrait toucher globalement un montant plus élevé de recettes fiscales qu’avant la baisse des impôts.

Raisonnement cohérent et réaliste, vraisemblable mais pas certain car, si personne n’aime payer des impôts, surtout lorsque ceux-ci sont perçus comme étant trop élevés, il serait vain de croire que le niveau d’activité et le dynamisme d’une société dépend principalement de la charge fiscale.

D’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte, la confiance dans l’avenir, le contexte économique général, la prise de risque des investisseurs. L’économie n’est pas une science exacte et rien n’est aussi simple.

Ce raisonnement peut également être remis en cause par un défaut de logique. En effet, les adhérents de cette thèse ne prennent en compte que l’effet de substitution dans le raisonnement. D’après LAFFER, à partir du seuil où la pression fiscale devient dissuasive, les gens préféreront le loisir au travail car son coût sera moindre.

Raisonnement un peu simple qui néglige l’effet revenu. En réalité, les gens n’ont pas le choix et ont besoin de travailler pour survivre, en conséquence, les recettes fiscales continueront d’augmenter.

Cette théorie a néanmoins dû influencer Nicolas Sarkozy puisque le bouclier fiscal a été un point fort de sa campagne.

Néanmoins, il n’est pas le créateur du bouclier fiscal en France.

La première forme de bouclier fiscal est apparue sous le gouvernement de Michel Rocard, en 1988 avec le plafonnement de l’impôt sur les grandes fortunes. Le poids de cet impôt, couplé à l’impôt sur le revenu ne devait pas dépasser 70 %, puis 85 %.

La mesure a été abandonnée sous Alain Juppé.

Par la suite le bouclier fiscal a été mis en place sous la présidence de Jacques Chirac par la loi de finances de 2006.

À l’époque le taux de plafonnement est de 60 % et fonctionne par le remboursement par la direction des impôts de l’excèdent d’impôts payés par le contribuable.

Le bouclier fiscal sous sa forme actuelle est mis en place après l’élection de Nicolas Sarkozy par la loi dite TEPA, loi sur le Travail, l’Emploi et le Pouvoir d’Achat le 1er août 2007.

En 2009, un nouveau mode de fonctionnement est organisé, les contribuables peuvent désormais déduire directement les sommes dépassant 50 % de leurs revenus, sans avoir besoin d’en demander le remboursement. Cette déduction se fait néanmoins à leur risque et péril.

Le bouclier fiscal est une mesure destinée à avoir un impact sur l’évasion fiscale, en tentant de retenir les contribuables fortunés.

Pourtant même après la mise en place du bouclier fiscal, le nombre d’expatriations de contribuables payants ISF n’a cessé d’augmenter.

En 2008, malgré le bouclier fiscal, ce sont 821 redevables de l’ISF qui ont quitté la France contre 719 en 2007.

En 2009, 18764 contribuables se sont partagé 679 millions d’euros. L’application du plafonnement a coûté 220 millions d’euros de plus qu’en 2008.

Toutefois force est de constater qu’il existe un déséquilibre important entre les plus « pauvres » et les plus « riches » des bénéficiaires.

En bas de l’échelle 9789 foyers fiscaux se sont vus rembourser 559 euros chacun.
Les contribuables disposant des plus gros revenus ont reçu 623 millions d’euros.
Parmi les mieux lotis 1.200 contribuables se sont partagé 423 millions d’euros.
Ils ont reçu en moyenne un chèque du trésor public de plus de 362 000 euros par foyer.

Les adversaires du bouclier fiscal considèrent que sa rentabilité serait discutable notamment au regard des retours des contribuables exilés qu’il engendrerait.

La gauche notamment perçoit le bouclier fiscal comme un manque à gagner pour l’État. Considéré comme une diminution de l’impôt des plus riches, il est ainsi ressenti comme largement injuste par ses opposants.

Pour certains économistes, le bouclier fiscal est à l’inverse des mesures nécessaires en termes d’imposition. Il faudrait au contraire revenir à des taux d’imposition très élevés pour les très hauts revenus. On parle même de taux marginaux d’imposition confiscatoire.

D’autres veulent retirer certains impôts du calcul du bouclier fiscal, tels que la CSG et la CRDS.

Enfin les critiques portent surtout sur la complexité du système et le manque d’information des contribuables.

De plus, le bouclier fiscal a un caractère éphémère par nature, puisque n’étant pas inscrit dans la constitution, il est susceptible d’être révoqué par tout gouvernement, ce qui ne peut que décourager certains expatriés envisageant le retour en France grâce à cette mesure fiscale.

En 2009, les remboursements au titre du bouclier fiscal (679 millions d’euros) viennent amputer le budget de l’État, alors que tous les contribuables sont mis à contribution pour équilibrer les finances publiques.

Par ailleurs, contrairement aux idées de LAFFER, le bouclier fiscal ne permet pas aux ménages les plus riches de consommer plus.

En effet dans le cas des ménages ayant des patrimoines considérables, les restitutions se sont faites pour un montant moyen de plus d’un million d’euros. À ce niveau, la restitution vient alimenter l’épargne et non pas la consommation.

Toutefois, selon les défenseurs du bouclier fiscal, celui-ci aurait un véritable impact sur l’évasion fiscale des personnes physiques.

Le bouclier fiscal vient également mettre fin à des situations grotesques ou certains contribuables, avant sa création, auraient acquitté jusqu’à 130 % de leurs revenus au titre de l’ISF.

Enfin, selon Christine Lagarde, une nouvelle révision du système fiscal, favoriserait l’instabilité. Or, l’instabilité fiscale est un désavantage majeur pour attirer les investissements.

Aujourd’hui, le bouclier fiscal est devenu un symbole d’injustice et de plus en plus de voix, toutes tendances confondues, et même au sein du gouvernement, s’entendent pour proposer la suppression du bouclier fiscal.

La crise économique et la cure d’austérité imposée par le gouvernement ont contribué à ce que son impopularité ne fasse que croître, y compris dans la majorité, les bénéficiaires les plus riches échappant à tout effort supplémentaire en matière de prélèvements obligatoires.

Nicolas Sarkozy a d’ailleurs dû se résoudre à l’écorner dans le cadre de sa réforme des retraites, en augmentant de 1 % la dernière tranche de l’impôt sur le revenu et en relevant de 1 % la fiscalité patrimoniale immobilière, hors effet bouclier fiscal.

Le chef de l’État qui a longtemps exclu de toucher au bouclier fiscal a entrepris une réflexion sur une réforme globale de la fiscalité du patrimoine.

Toutefois, qui dit ISF dit corrélativement bouclier fiscal.

La suppression de l’ISF est une mesure inenvisageable alors que s’ouvre la perspective de la campagne électorale.

Le bouclier fiscal souffre surtout d’un manque de communication des services fiscaux car il peut trouver à s’appliquer effectivement aux plus riches mais également aux plus pauvres.

En effet si l’on imagine un commerçant ou un artisan ayant réalisé en 2008 des déficits, ayant payé par ailleurs une taxe foncière et une taxe d’habitation, il pourrait en demander le remboursement dans le cadre de ce bouclier fiscal.

L’absence de communication de Bercy, le lobbying des partis de gauche et le mutisme de la droite ont conforté dans l’esprit des contribuables l’idée que ce plafonnement des impôts ne pouvait bénéficier qu’aux plus riches.

C’est une erreur mais les contribuables ne disposent pas de beaucoup de temps pour s’interroger car la disparition du bouclier fiscal est programmée.

Françoise Cavallé

Avocat Fiscaliste

Cabinet ASTRAIA CONSEIL

conseil chez astraia.fr

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