« Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien » [1] . Ce 25 novembre, le point fatidique a-t-il été atteint ? Devant l’Office européen des brevets, s’est tenue l’audience orale demandée par le titulaire d’une demande de brevet qui a indiqué comme inventeur une intelligence artificielle. Cette intelligence artificielle a un nom : DABUS. Comme un brevet délivré par l’Office doit indiquer l’identité de l’inventeur, l’absence de prénom serait-elle la seule cause du rejet de cette demande de brevet ? Remplir deux cases d’un formulaire, et la question serait réglée.
Une demande de brevet n’est pas nécessairement déposée par l’inventeur, le plus souvent c’est un tiers lié par un rapport contractuel avec l’inventeur qui en fait la demande, par exemple la société employeur. D’ailleurs, la demande DABUS étant déposée par une personne physique, M.Thaler [2], cette identification d’un être humain ne devrait pas susciter de difficulté.
Toutefois sa qualité de déposant est indirectement en débat puisque, pour l’Office la désignation de l’inventeur (le système de l’IA) n’étant pas la bonne, le déposant pour indiquer l’identité du bon inventeur devrait obtenir l’accord de l’inventeur faussement désigné initialement. Au débat de l’IA comme inventeur s’ajouterait celui de l’IA comme sujet de droit pour renoncer à cette première désignation à l’égal d’une personne physique.
Face à de tels enjeux qui ne peuvent être traités au minimum qu’à l’échelle européenne, il n’est pas souhaitable que l’Office européen, qui n’est pas une entité de l’Union européenne, tranche cette question ou considère que toutes ces questions relatives à l’IA comme inventeur relèvent de la compétence de chaque Etat, d’autant que le déposant est nord-américain, et qu’il s’est domicilié pour les besoins de cette demande de brevet au Royaume-Uni.
Plusieurs milliers de brevets ont déjà été déposés et qui portent sur des techniques d’intelligence artificielle sans que leurs déposants aient eu besoin de spécifier que l’invention a été générée automatiquement à l’aide de tels algorithmes.
L’invention en cause n’est ni Deep Blue (les échecs) ni Deep Mind (le jeu de go), elle a pour objet une boite pour ranger des aliments ou des liquides. Sa particularité ? Sa forme ne serait ni cylindrique ni cubique, mais ses parois seraient constituées d’éléments fractales, la même alternance répétée de parties convexes et concaves, qui permettraient ainsi d’augmenter la contenance et les possibilités d’assemblage. La demande de brevet n’indique pas en quoi ce résultat aurait été obtenu par une intelligence artificielle ni a fortiori en quoi le recours à cette intelligence aurait permis de remplir les exigences de la nouveauté et de l’activité inventive avec par avance un degré important de réussite, les deux principaux critères de la brevetabilité. Resterait alors une analyse de la brevetabilité très classique de cette boite pour aliments et liquides au regard de celles existantes et pour laquelle l’homme du métier sera toujours la référence technique pour en apprécier les différentes variantes comme l’y invite d’ailleurs cette demande de brevet.
Peu importe la technique d’intelligence artificielle employée par le déposant (apprentissage supervisé, apprentissage par renforcement), il y a toujours eu des humains pour qualifier les millions de données nécessaires à ces techniques d’apprentissage et pour en choisir les paramètres pertinents. C’est encore un humain qui a choisi de lancer ce programme sur les parois des boîtes et c’est un humain qui a choisi parmi les différentes formes générées la plus opportune à breveter.
Notons enfin que cette intelligence artificielle a manqué de sens commun comme le dirait Yann LeCun. [3] A multiplier les angles et les recoins propices aux développements des pathogènes, rien n’est dit dans la demande de brevet sur l’aptitude à laver cette boite.