[République de Guinée] Contexte du projet de changement constitutionnel de 2020.

Par Abdoul Bah, Juriste.

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Explorer : # référendum # démocratie # changement constitutionnel # intérêts égoïstes

Au terme de son second et dernier mandat, le président Guinéen, Alpha Condé, avait initié un projet de changement de constitution au mépris d’inlassables mises en garde de toute nature, un entêtement qui a sonné le glas de son règne grâce à un putsch intervenu en 2021.
A l’époque, s’affrontaient notamment sur le terrain des idées partisans et opposants dudit projet, le présent article prenant parti à l’occasion de ce duel historique.

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« En démocratie, nul ne doit empêcher que le peuple soit consulté… Seul le peuple a le dernier mot… S’ils sont démocrates, qu’ils n’aient pas peur qu’on consulte le peuple… Le référendum est l’expression la plus aboutie de la démocratie, et qu’en priver le peuple est une façon de trahir la démocratie… Les Etats unis ont changé plus d’une vingtaine de fois leur Constitution ».

C’était l’un des discours que tenaient les partisans du projet au point de « rouler par terre » par excès de confiance, sur le bienfondé de ce dernier.

A en croire naïvement à leur argumentation, au nom de la démocratie, le projet était structurellement et incontestablement fondé.

Or, on n’était pas loin de penser, raison gardée, que le chaos qui nous guettait se cachait derrière l’institution « la démocratie » qu’ils instrumentalisaient à des fins personnelles, comme l’avertissait déjà Guizot, en analysant la perception de la démocratie [1].

Le contexte était-il favorable au changement constitutionnel, à admettre que le projet serait légalement justifié ?

L’idée d’un projet de changement constitutionnel dans le contexte était susceptible de desservir « démocratie guinéenne ».

En démocratie, la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce directement (par referendum) ou indirectement (par représentation), principe ne souffrant pas d’objection généralement.

Cette affirmation brille de par sa beauté mais ne trouve sens que de par l’effectivité de sa mise en œuvre, afin que concrètement, les résultats d’une consultation par ex. reflètent les suffrages réellement exprimés ; dans le cas contraire, la démocratie est vidée de son sens et privée ainsi de ses finalités.

C’est bien beau ainsi de comparer la Guinée à d’autres Etats, modèles de réussite démocratique, qui ont changé moult fois leurs Constitutions. Toutefois, la cohérence et l’honnêteté intellectuelle exigeraient que leurs paradigmes respectifs soient comparables à celui de notre Etat : l’égalité de traitement suppose des cas placés sous la même situation.

Il est admis qu’il existe à travers les systèmes d’organisation et de fonctionnement politiques des Etats, non pas une démocratie mais des démocraties et, toutes, prétendent œuvrer pour le bien-être de leurs sociétés respectives.

En termes simples, toute démocratie vise entre autres comme finalité le bien-être de la cité sur le plan social, économique et politique notamment.

Dès lors, si « un dégainage d’armes démocratiques » (référendum par ex.) est susceptible de causer plus de désordre (mal) que d’ordre (bien) dans la cité, il perd sa raison d’être mis en œuvre.

Dit autrement, même si par extraordinaire le fameux projet était un exercice légal d’un droit, sa mise en œuvre, risquant d’attenter hautement à la stabilité et au bien-être assez fragilisés déjà, l’abstention aurait eu plus de mérite car renoncer à un droit est tout sauf anti-démocratique, au contraire ça serait l’expression d’une démocratie « intelligente » (par opposition à la démocratie « mécanique ou aveugle »).

Pour rappel d’ailleurs, des élections locales aussi importantes qu’elles soient, censées se tenir depuis plus d’un an alors n’avaient pas encore eu lieu en raison de calculs politique-politiciens, situation qui aurait dû indigner plus les partisans du projet (il est questions d’élections obligatoires) que l’opposition à une consultation facultative (référendum constitutionnel) dans un contexte socio-politique particulier.

Le référendum a beau être un outil d’expression démocratique original, mais reste une consultation facultative : l’obligatoire prime donc sur le facultatif.

Ainsi, en temps normal (en dehors de toute rupture institutionnelle), donner priorité à un combat afin que se tiennent des élections obligatoires manquées est la meilleure façon de servir la démocratie.

La préservation à tout prix d’intérêts égoïstes comme finalité du projet constitutionnel.

Pour rappel, il convient de souligner qu’une pléthore de démonstrations juridiques a été mise en évidence qui a permis de conclure sans risque de se tromper que le projet souffrait d’illégalité et d’inopportunité manifestes.

La Constitution alors offrait en effet suffisamment de moyens permettant d’envisager u changement constitutionnel si nécessaire, et ce dans les limites de protection par elle prévues contre tout abus, toute autre manœuvre pouvant être considérée comme une fraude à la Constitution.

Mieux, même si par extraordinaire le projet était légalement fondé, les douloureuses expériences ayant résulté des cas similaires en Afrique de manière générale auraient suffi comme force de dissuasion pour toute âme sensible.

Mieux encore, il est une évidence pour tous que le peu d’échéances électorales ont toujours été des meilleures occasions pour fragiliser davantage le tissu social, outre les atteintes à l’intégrité physique et aux biens (des morts, handicapés à vie et dégâts matériels…).

Ne serait-il pas plus sage et utile dans ces conditions de se limiter à la tenue d’élections obligatoirement prévues, d’autant que le référendum n’était aucunement une urgence impérieuse ? Il me semble qu’une réponse par la négative s’imposait sans appel, lucidité obligeant.

Donc, l’usage de cette manœuvre sous prétexte de défendre la démocratie à des fins autres que l’intérêt général, est constitutif de « crime » contre la démocratie déjà en état embryonnaire.

Et le modus operandi des promoteurs du projet constitutionnel étant tellement expérimenté à tort en Afrique, il n’était un secret pour personne qu’il s’agissait sans le moindre doute d’une instrumentalisation de la démocratie, au risque d’une mise à mort de celle-ci, à des fins personnelles de manière lâche.

Abdoul Bah
Juriste

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Notes de l'article:

[1« Le chaos se cache aujourd’hui sous un mot : Démocratie. C’est le mot souverain, universel. Tous les partis l’invoquent et veulent se l’approprier comme un talisman » (François Guizot, De la démocratie en France, Paris, Victor Masson, 1849, p 9. Citation suivante : ibid., p 12.).

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