[Chronique] Avocates et élues, inspirez-nous ! Entretien avec Elisabeth Deflers (1).

[Chronique] Avocates et élues, inspirez-nous ! Entretien avec Elisabeth Deflers (1).

Propos recueillis par :
Christine Méjean et Isabelle-Eva Ternik, Avocates.

Dans le cadre de la chronique « Avocates, inspirez-nous ! », Christine Mejean et Isabelle-Eva Ternik s’entretiennent également avec des avocates qui sont d’anciennes élues, enthousiastes à l’idée de partager leur vision de la profession. Le Village de la Justice a souhaité vous faire part de la richesse et de la diversité de leurs propos.

Avec cet esprit collaboratif qui la caractérise, Elisabeth Deflers, ancien membre du Conseil de l’ordre, avocate en droit de la publicité et de la famille, partage ici ses cinquante années d’avocature et son implication pour la profession.

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"Avocates, inspirez-nous" : les origines du projet.

La loi du 1er décembre 1900 a permis aux femmes d’exercer la profession d’avocat. Olga Balachowsky-Petit a été la première femme à prêter serment le 6 décembre 1900 et Jeanne Chauvin a été la première femme à plaider dans une affaire de contrefaçon de corsets en 1907.
118 ans plus tard, en 2018, les avocates sont plus de 36.000 en France et représentent plus de 55% de la profession d’avocat [1]. Cependant, seules 24,5% d’entre elles sont associées dans les 100 plus grands cabinets d’affaires et leurs revenus moyens sur l’ensemble de leur carrière sont inférieurs de plus de 50% à ceux des hommes [2].
Apprenons à les connaître ! Comment les avocates appréhendent-elles leur métier ? Quelles sont leurs clefs de succès ? Quelle(s) transformation(s) apportent-elles au sein de la profession ?


Elisabeth Deflers, avocate depuis 50 ans, ancien membre du Conseil de l’ordre et fondatrice de l’Institut en droit de la famille.

(Crédit photo : Isabelle-Eva Ternik)

Ses attentes du métier d’avocat :

« Après avoir fait une école d’interprète, je voulais travailler dans une instance européenne à Bruxelles. On m’a dit qu’il fallait être titulaire d’une licence en droit. De fil en aiguille, j’ai décroché le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat sans avoir d’attente particulières vis-à-vis du métier d’avocat. »

Le sens qu’elle donne à son métier aujourd’hui :

"Je suis avant tout intéressée par la relation client"

« A mes débuts comme aujourd’hui, je suis avant tout intéressée par la relation client : il est primordial pour moi de trouver une solution concrète pour mes clients. En fonction du domaine d’activité, le rythme est différent. En droit de la publicité, qui a été mon coeur de métier pendant 40 ans, si vous recevez une question à 9h et que vous n’avez pas répondu à 11h, l’agence vous appelle pour savoir si vous êtes malade ! Le flux de travail est tendu. A 60 ans, j’ai voulu ralentir la cadence donc j’ai arrêté les dossiers en droit de la publicité où tout est à faire en urgence et je me suis focalisée sur le droit de la famille où il est important de prendre le temps d’écouter le client et d’apaiser le conflit avec son partenaire, afin d’aboutir à un accord amiable. »

Son expérience d’élue :

"Tous les membres du Conseil devraient avoir vocation à œuvrer ensemble pour faire évoluer la profession."

« A 38 ans, j’ai été la douzième femme élue dans l’histoire des élus du Barreau et j’ai été la première femme Secrétaire du Conseil, soit le plus proche collaborateur du Bâtonnier. Guy Danet m’a appris deux choses essentielles pour la suite de ma carrière : accorder sa confiance et savoir déléguer.
Depuis quelques années, le bâtonnat est désacralisé. Il arrive que certains membres du Conseil de l’Ordre ne soutiennent pas le Bâtonnier et soient même en opposition permanente. Il est regrettable que des clans s’y affrontent. A mon avis, cela est gravement préjudiciable à l’institution. Une fois élus, tous les membres du Conseil devraient avoir vocation à œuvrer ensemble pour faire évoluer la profession. »

Sa philosophie de vie professionnelle :

« Mon cabinet constitue une communauté au sein de laquelle ses membres ont tissé des liens forts. Le respect est une valeur cardinale pour avoir des relations apaisées que ce soit avec les confrères ou avec les clients : être ponctuel et ne pas élever la voix sont des principes auxquels je n’ai jamais dérogé. Le plus gros boulot du patron à la tête d’un cabinet d’une vingtaine d’avocats est l’organisation du travail et la pacification des relations. »

Son association :

" L’association, au-delà de l’opportunité économique, doit être agréable à vivre."

« A mes yeux, une association est réussie lorsque les associés ont de l’affection les uns pour les autres. Il ne faut pas s’associer avec un avocat exclusivement pour sa compétence mais avant toute chose pour son tempérament. L’association, au-delà de l’opportunité économique, doit être agréable à vivre. »

Ses caracteristiques d’exercice :

« Comme les agences de publicité nous sollicitaient toujours dans l’urgence, j’ai fixé comme règle au cabinet un délai de réponse sous 48h (sauf question complexe). A l’époque, c’était une révolution ! Cette réactivité a contribué à l’essor du cabinet. Il faut garder à l’esprit que les clients sont dans l’angoisse quand ils sollicitent un avocat : notre devoir est de la faire disparaître au plus vite. »

Sa création de l’institut en droit de la famille :

« Lorsque j’ai débuté en droit de la famille dans les années 2000, les avocats d’affaires en avaient une piètre estime. Beaucoup pensaient : « C’est un domaine réservé aux bonnes femmes qui s’ennuient ! ». Par conséquent, je me suis dit qu’il était indispensable de valoriser les compétences dans ce domaine. Comme la « Collaborative Law » remportait un vif succès aux Etats-Unis, j’ai eu envie d’organiser un colloque à Paris sur ce sujet dont on a francisé l’appellation en « Processus collaboratif ». Dans ce contexte, j’ai créé l’Institut du Droit de la Famille, un lieu de réflexion et de formation sur toutes les questions qui se rattachent au droit de la famille et du patrimoine. »

Ses trucs et astuces pour réalimenter le moteur au quotidien :

« Quand le matin, je sais que j’ai un dossier difficile à traiter, ma motivation vient du plaisir de retrouver au cabinet des personnes que j’apprécie et sur lesquelles je peux compter. »

Equilibre vie pro – vie perso :

« Par rapport à de nombreux avocats, j’ai eu un bon équilibre vie professionnelle – vie personnelle. J’arrivais à 8h30 au bureau et je repartais à 19h30 voire 20h30 au plus tard. Des amies se plaignaient de devoir rédiger des conclusions jusqu’à minuit. Cela ne m’est jamais arrivé. Le soir, je sortais au restaurant, au théâtre et à l’opéra. Régulièrement je partais en vacances. Même lorsqu’on aime son travail, il faut savoir prendre l’air quelques jours, on revient reposé et performant. A aucun moment, je n’ai sacrifié ma vie personnelle à ma vie professionnelle ! »

A votre avis, être une femme est-il un atout dans l’avocature ?

« Je n’ai pas cette impression, cependant les choses évoluent. »

Avez-vous deja ete temoin d’attitudes sexistes ?

« Lorsque j’ai prêté serment en 1968, j’étais la seule femme de ma promotion. Il m’est arrivé que certains clients ou confrères aient une attitude protectrice à mon égard. Je me souviens que, jeune collaboratrice, des avoués me soufflaient des répliques en audience. C’était rassurant de savoir que je pouvais compter sur eux. Au cours de ma carrière, je n’ai pas été confrontée à des comportements misogynes. Certaines consœurs m’ont dit : « C’est normal, toi tu es grande… tu impressionnes les hommes ! ». Je crois plutôt que j’ai eu de la chance ! »

Ses conseils aux étudiants :

« Le métier d’avocat ne convient pas aux « doux rêveurs » qui papillonnent. Pour s’épanouir en tant qu’avocat, il faut être d’un tempérament « gros bosseur », qui sait optimiser son temps, écarter le superflu, aller droit au but et trancher dans le vif. »

Ses conseils aux jeunes avocats :

"Osez quitter le cabinet qui vous empêche de développer votre clientèle personnelle !"

« Il est essentiel pour tout jeune collaborateur de développer sa clientèle personnelle en vue de préparer la suite de sa carrière : l’installation ou l’association. Voici ce que je conseillerais aux jeunes confrères : "Osez quitter le cabinet qui vous empêche de développer votre clientèle personnelle !" »

Sa vision de l’avenir du métier :

« Dans les années 1960 à 2000, un jeune avocat débutait dans la profession comme généraliste, ce qui lui permettait de traiter des problématiques variées et par la suite de se spécialiser dans un domaine. La variété était le sel de notre métier. Dans ma carrière, j’ai ainsi exercé dans plusieurs domaines : droit pénal, droit de l’immobilier, droit de la communication, droit de la propriété intellectuelle et droit de la famille.

"La course à la spécialisation rend l’installation d’avocat plus difficile."

Aujourd’hui, il y a une course à la spécialisation dès l’Ecole d’Avocat. Or, cela rend l’installation plus difficile. En effet, un collaborateur ultra spécialisé dans une niche ne pourra pas s’installer, car les grandes sociétés ne prendront pas le risque de suivre un avocat individuel. Tant les chefs d’entreprise que les directeurs juridiques recherchent une grande structure, afin de se prévaloir de sa renommée et afin d’engager sa responsabilité en cas de problème. Il est important que les jeunes avocats se projettent à long terme, afin de construire étape après étape la carrière qui leur correspond en petite ou en grande structure. »

Propos recueillis par :
Christine Méjean et Isabelle-Eva Ternik, Avocates.

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Notes de l'article:

[1Source : www.justice.gouv.fr

[2Source : Rapport Haeri 2017.

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Discussion en cours :

  • par Florence , Le 17 novembre 2019 à 16:37

    Merci pour ce formidable témoignage qui redonne la pêche !
    On se sent moins seul(e) à penser et vivre certaines valeurs humaines et professionnelles (l’un ne va pas sans l’autre) qui à mon sens se perdent de plus en plus se transforment pour devenir vide de sens.
    A quand la prochaine interview ? :)

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