La chronique des risques psychosociaux chez les juristes (4).

Juriste et coach
Sur Viadeo
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Explorer : # risques psychosociaux # conflits éthiques # souffrance au travail

Ma précédente chronique vous a présenté un très court et ponctuel « récit de vie  » : celui d’Alissa, dont les insomnies peuvent avoir des causes d’origines diverses.
Peut-être notre amie souffre-t-elle de ce qu’on appelle un conflit de valeurs. Il s’agit d’une situation dans laquelle le salarié (ou l’indépendant en l’occurrence) est obligé d’assurer un travail qui heurte ses propres valeurs, c’est-à-dire ses croyances éthiques les plus fondamentales. Ces valeurs peuvent se décliner de multiples façons : il peut s’agir d’une vision politique de la société, d’un jugement moral des pratiques de l’employeur, d’une empathie avec des clients ou des tiers, d’une considération des partenaires...

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Les exemples ne manquent pas et on peut se demander si tout travailleur, quel qu’il soit, salarié ou non, n’est pas susceptible, à un moment ou à un autre de sa vie professionnelle, de se poser des questions sur les situations où ce qu’il est obligé d’accomplir le heurte plus ou moins.
Certains secteurs économiques ou certaines professions semblent y être particulièrement exposés. Ainsi à titre d’exemple les entreprises de fabrication d’armements, les sociétés de recouvrement, les téléopérateurs, voire les conseillers financiers des banques ou les agents des préfectures chargés de l’attribution de titres de séjour, et qui ne partagent pas les options gouvernementales en la matière.

Les conflits de valeur font partie des risques psychosociaux identifiés par le Collège d’expertise, dont le rapport d’Avril 2011 "Mesurer les facteurs psychosociaux au travail pour les maîtriser", intègre dans la rubrique « Conflit de valeurs » les conflits éthiques (activité en conflit avec ses principes et valeurs), la qualité empêchée (conflit avec l’idée du « travail bien fait », de la conscience professionnelle) ou le travail inutile.

Il y est notamment relevé (voir ici) :

« Le travail occupe une place importante dans la façon dont les gens donnent un sens à leur existence, en particulier en France. Il en résulte une vulnérabilité quand le travail ne permet plus de construire ce sens (parce que son contenu, son évaluation ou ses conditions ont changé par exemple). Se sentir écœuré parce qu’on bâcle le travail ou terrassé par la honte d’avoir accepté de nuire à autrui sont des formes de « souffrance éthique. ».

« Les conflits de valeur au travail incluent tous les conflits portant sur des choses auxquelles les travailleurs attribuent de la valeur : conflits éthiques, qualité empêchée, sentiment d’inutilité du travail, atteinte à l’image du métier. »

« Le travail que l’on fait peut entrer en contradiction avec ses convictions personnelles. Ces conflits éthiques sont mal vécus car ils mettent en tension la définition même du travail portée par le salarié. Gaignard analyse les figures psychopathologiques de ce qu’elle nomme « la culpabilité objective », c’est-à-dire la situation dans laquelle on se trouve quand on se compromet, sans en avoir initialement conscience, dans un système qu’on réprouve. Les conflits éthiques décrits dans la littérature concernent souvent des personnes qui, à un titre ou à un autre, doivent incarner une institution : encadrants représentant l’entreprise pour leurs subordonnés, vendeurs pour les clients, fonctionnaires représentant l’État pour les administrés, prestataires agissant pour le compte d’une entreprise ou d’un particulier, etc. »

« Selon les cas, le conflit éthique peut être présent d’emblée suite à un changement dans la situation de travail, ou n’apparaître qu’à la suite d’une prise de conscience sur la nature ou les conséquences des actes commis… Des conflits éthiques apparaissent assez fréquemment lorsqu’une organisation adopte brutalement des pratiques, des valeurs, des critères d’évaluation qui lui étaient jusque-là étrangers, en général en les empruntant à une autre sphère. De tels conflits ont notamment été décrits dans des administrations ou d’autres organisations publiques qui se réorientent vers une gestion plus marchande. »

La façon dont les personnes réagissent à ces conflits est variable.

« Les personnes souffrantes peuvent adopter différentes stratégies défensives, tels l’hyperactivité ou le cynisme, stratégies qui peuvent avoir par ailleurs des effets néfastes sur le climat de travail et la qualité des services. Les conflits de valeurs peuvent, dans les cas extrêmes, amener au suicide, en particulier dans des situations d’isolement. »

« Ces situations peuvent être compensées par des stratégies collectives ou individuelles de défense. Pour se défendre, les travailleurs peuvent notamment se représenter et se présenter comme victimes de harcèlement … Lorsque la situation s’installe et que le travailleur n’est pas protégé par des stratégies de défense, il peut décompenser sur le mode du délire ou sur le mode anxieux avec répercussions somatiques. »

Les voies pour résoudre ces conflits, les atténuer ou les supprimer ne sont pas faciles à trouver et à suivre. Changer d’employeur est une initiative risquée, spécialement actuellement. Changer de poste est parfois possible car les DRH peuvent connaître les postes où les fonctions concernées, mais pas toujours. Pour les indépendants, surtout ceux qui n’ont qu’un seul ou que quelques clients contractuels, changer de client est parfois, comme pour Alissa, quasiment impossible, ou nécessite un investissement en recherche coûteux en énergie et en temps.

Or les indépendants ne sont pas exempts de stress et des risques associés, loin de là, et très peu d’études ont examiné leurs situations et leurs particularités.

Je reviendrai dans une prochaine chronique sur les quelques éléments disponibles sur ce sujet.

N’oubliez pas de répondre à l’enquête sur les risques psychosociaux des juristes, qui pourra éclairer précisément certains aspects de l’exercice du métier de professionnel du droit indépendant.

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