Aux termes des dispositions de l’article 57 (4.i) de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, les pouvoirs adjudicateurs ont la possibilité d’exclure un opérateur économique de la participation à la procédure de passation de marché, dans le cas où ce dernier 1) a tenté d’influencer indûment le processus décisionnel, 2) a cherché à obtenir des informations confidentielles pour un avantage injuste, 3) ou a fourni par négligence des informations trompeuses ayant un impact déterminant sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution.
Concernant l’exclusion facultative, nous constatons que l’article 48 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics a transposé ces dispositions en droit national, lesquelles ont finalement été codifiées à l’article L2141-8 du Code de la commande publique. En outre, il convient de rappeler que l’article 42 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession a transposé l’article 38 (7.h) de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014, précisant la même possibilité pour les autorités concédantes. Ces dispositions ont été codifiées à l’article L3123-8 du Code de la commande publique.
Il est essentiel de rappeler que l’acheteur (Art. L2141-11 du Code de la commande publique.) ou l’autorité concédante (Art. L3123-11 du Code de la commande publique) envisageant l’exclusion d’une personne sont tenus de lui permettre de justifier sa fiabilité et, le cas échéant, d’assurer que sa participation à ladite procédure ne porte pas atteinte à l’égalité de traitement des candidats. Cette dernière doit apporter des preuves de mesures correctives, telles que le paiement d’indemnités, une clarification complète des faits et des circonstances en collaboration avec les autorités chargées, ainsi que des démarches concrètes pour régulariser sa situation.
Ainsi, s’agissant d’une tentative d’influer indûment la procédure de passation du marché public, par une décision du 24 juin 2019 (CE, 24 juin 2019, n° 428866), publié au recueil Lebon, la Haute juridiction administrative considère que les acheteurs sont autorisés à exclure d’une procédure de passation d’un marché public toute personne susceptible, sur la base d’éléments précis et circonstanciés, d’avoir tenté d’influencer la prise de décision de l’acheteur, que ce soit dans le cadre de la procédure en question ou au cours d’autres récentes procédures de la commande publique.
Dans cette affaire, le département des Bouches-du-Rhône a lancé un appel d’offres pour un marché de travaux. La société EGBTI a soumis une offre, mais le département a envisagé son exclusion en raison des éléments selon lesquelles une personne proche de la société et considérée comme son dirigeant de fait avait tenté d’influencer indûment les processus décisionnels lors de précédents marchés passés entre 2013 et 2016. En dépit des explications fournies par EGBTI, le département l’a exclue étant donné que cette dernière n’avait pas fourni d’informations concernant d’éventuelles mesures correctives mises en place.
En revanche, le juge des référés du Tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision, arguant que les dispositions relatives à l’influence sur le processus décisionnel ne s’appliquent pas aux agissements constatés lors de précédentes procédures de passation, en se référant à des événements survenus lors de la passation d’autres marchés publics que celui actuellement en cours.
C’est ainsi que le Conseil d’Etat a annulé cette ordonnance en considérant que cette exclusion demeure en tant que ladite personne n’a pas démontré que son professionnalisme et sa fiabilité ne pourraient plus être remis en cause, et que sa participation à la procédure ne compromettait pas l’égalité de traitement entre les candidats.
Dans le prolongement dudit arrêt, le Conseil d’Etat par un autre arrêt du 24 mars 2022 (CE, 24 mars 2022, n° 457733), se prononce sur l’exclusion d’un candidat étant donné sa dénomination sociale, laquelle a été considérée comme une information trompeuse.
Dans cette affaire, la commune de Ramatuelle a lancé un appel d’offres pour la sous-concession de la plage. La société EPI plage de Pampelonne a été informée par la commune que la sous-concession avait été attribuée à la société EPI. C’est dans ce contexte qu’à la suite de la demande de la société EPI plage de Pampelonne, le juge des référés a annulé ladite procédure d’attribution.
A cet égard, le juge des référés a indiqué que la dénomination sociale de la société EPI présentait un « grave risque de confusion » avec la société EPI Plage, titulaire de la marque EPI Plage et actionnaire unique de la société EPI Plage de Pampelonne, l’autre société candidate. Ainsi, le juge des référés a estimé que l’autorité concédante aurait dû exclure la société EPI de la procédure d’attribution.
Toutefois, les juges du Palais-Royal, rappelant tout d’abord l’arrêt de principe de 2019, précisent ensuite qu’alors même que cette dénomination risque de créer une confusion avec une autre société également candidate, le choix de la dénomination sociale par un candidat ne saurait constituer une justification, à lui seul, pour son exclusion.
Il résulte de tout ce qui précède qu’aux termes des dispositions de l’article L3123-8 du Code de la commande publique portant sur la concession, une simple dénomination sociale similaire à celle d’une autre société ne saurait être considéré comme une influence indue sur la procédure de passation ou la fourniture d’informations trompeuses pouvant impacter la décision de l’autorité concédante.
Effectivement, comme l’a souligné Mme Mireille Le Corre dans ses conclusions, la société n’a en aucun cas dissimulé sa véritable identité et chaque candidature est accompagnée en outre d’une description détaillée de l’actionnariat et des aspects liés à la structure juridique de l’entité, prévenant ainsi tout risque de confusion, y compris avec des noms proches.
Et ainsi nous revenons au sujet principal. En ce qui concerne la durée de l’exclusion et en l’absence de certains détails nécessaires, le Conseil d’Etat par un arrêt récent du 16 février 2024 (CE, 16 février 2024, n° 488524) vient compléter la transposition de la directive 2014 en droit national.
En l’espèce, une société a soumis une offre dans le cadre d’un marché public du département des Bouches-du-Rhône, alors que la présidente du conseil départemental l’a exclue, se basant sur la condamnation de l’associé de la société en raison des faits commis à l’occasion de procédures passées, par un jugement correctionnel du 2 décembre 2022, et conformément aux dispositions du 1° de l’article L2141-8 du Code de la commande publique.
Néanmoins, cette décision a été annulée, le 7 septembre 2023, par le juge des référés. Le juge indique que les procédures en question se sont déroulées au cours des années 2012 à 2016 et n’ont pas de caractère « récent ». Ainsi, ni la société ni son associé majoritaire ne peuvent être considérés comme ayant cherché à influencer la décision de l’acheteur, que ce soit dans le contexte de la procédure de passation en question ou dans d’autres procédures récentes de la commande publique.
Il convient de rappeler qu’aux termes du paragraphe 7 de l’article 57 de ladite directive de 2014, les États membres définissent la durée maximale de la période d’exclusion en l’absence de mesures démontrant la fiabilité d’un candidat. Si la durée n’est pas fixée par un jugement définitif, elle ne peut dépasser cinq ans à compter du jugement définitif dans les cas du paragraphe 1, et « trois ans » à compter de l’événement dans les cas du paragraphe 4 qui concerne l’affaire en question.
Eu égard au principe retenu par l’arrêt du 24 juin 2019 permettent aux acheteurs d’exclure une personne de la procédure de passation, il s’avère qu’aux termes dudit article 57 de la directive, la période d’exclusion d’un opérateur économique a été limité à trois ans, et que l’acheteur ne saurait l’exclure pour des faits commis depuis plus de trois ans.
Néanmoins, le Conseil d’Etat apporte une interprétation sur ce point et juge qu’en cas de condamnation non définitive liée à ces faits, la période de trois ans court à compter de cette condamnation. Par voie de conséquence, la Haute juridiction censure le raisonnement du juge des référés, en précisant que pour apprécier la durée de l’exclusion, c’était la date de la condamnation, même non définitive, qui devait être prise en compte et non pas celle des tentatives d’influence.