Ce document, d’une portée juridique importante, permet de clore l’exécution juridique et financière du marché public.
La question principale de cette affaire était l’existence ou non d’un décompte général et définitif (DGD) tacite au profit de la société titulaire du marché.
- Concernant la procédure.
Soutenant l’existence d’un DGD tacite au profit de la société titulaire, son Conseil a initié une procédure de référé provision devant le tribunal administratif de Nice.
Pour rappel, aux termes des dispositions de l’article R541-1 du Code de justice administrative :« Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie ».
Plus spécifiquement, la procédure de référé provision est désormais ouverte pour l’existence d’un décompte général et définitif, même tacite dans le cadre d’un marché public.
En effet, le Conseil d’Etat admettait déjà la recevabilité du référé provision pour obtenir le règlement financier du décompte général et définitif pour un décompte général et définitif express.
La jurisprudence administrative admet désormais que l’existence d’un décompte général définitif tacite peut fonder l’introduction d’un référé provision à l’encontre de l’acheteur public, reconnaissant que cela constitue une créance non sérieusement contestable [1].
Le Conseil d’Etat a jugé, encore en 2020, que l’obligation dont se prévaut la société titulaire du marché doit être regardée comme non sérieusement contestable en présence d’un décompte général et définitif tacite de son marché :
« Il résulte de l’instruction que la société Dodin Guadeloupe, mandataire, a adressé le projet de décompte final du groupement le 23 avril 2018 au représentant du pouvoir adjudicateur et à la maîtrise d’œuvre, lesquels l’ont reçu le 26 avril 2018. Cette transmission, intervenue après la réception des travaux du 21 décembre 2017, alors même qu’elle avait été prononcée avec des réserves, a fait courir, en application de l’article 13.4.4, les délais prévus à l’article 13.4.2. Par un courrier du 1ᵉʳ juin 2018, dont elle soutient sans être contredite qu’il a été reçu le même jour, cette société a adressé au représentant du pouvoir adjudicateur un projet de décompte général. Faute pour le maître d’ouvrage d’avoir notifié le décompte général dans un délai de dix jours, le projet de décompte général transmis par la société Dodin Guadeloupe est devenu le décompte général et définitif du marché. Ce décompte général et définitif fait apparaître, s’agissant de la société Sogetra, un solde à régler de 107 504,93 euros. Dans ces conditions, l’obligation dont se prévaut la société Sogetra doit être regardée comme non sérieusement contestable. Il suit de là que la société Sogetra est fondée à demander la réformation de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe en tant qu’elle n’a pas fait droit à ses conclusions tendant à l’octroi d’une provision au-delà de la somme de 47 882,10 euros » [2].
En l’espèce, le juge des référés a répondu par la positive. La communauté de communes a alors formé appel de cette ordonnance devant la Cour administrative d’appel de Marseille.
Le juge des référés a estimé que le dossier présentait une difficulté juridique particulière nécessitant le renvoi en formation collégiale.
Par un arrêt du 21 mai dernier, la Cour administrative d’appel de Marseille a eu l’occasion de rappeler les différentes étapes de la procédure d’établissement d’un décompte général et définitif tacite.
- Concernant le fond de l’affaire.
Pour rappel, à l’issue de l’exécution d’un marché public de travaux, la société titulaire du marché doit respecter scrupuleusement la procédure d’établissement de son décompte général pour le règlement financier de son contrat.
S’agissant du décompte général et définitif, la jurisprudence administrative est constante en la matière, il est défini comme :
« l’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution d’un marché public est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l’établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. Toutes les conséquences financières de l’exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu’elles ne correspondent pas aux prévisions initiales » [3]
L’article R2192-16 du Code de la commande publique précise que :
« Pour le paiement du solde des marchés de travaux ou de maîtrise d’œuvre conclus par l’Etat, ses établissements publics ayant un caractère autre qu’industriel et commercial, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, le délai de paiement court à compter de la date de réception par le maître de l’ouvrage du décompte général et définitif établi dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux et aux marchés de maîtrise d’œuvre ».
Attention L’arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux dans sa version actualisée de 2014 s’appliquait au cas d’espèce.
L’article 13.4.4 du CCAG Travaux, dans sa version applicable au litige, prévoit l’établissement d’un décompte général et définitif tacite :
« 13.4.4. Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l’article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d’œuvre, un projet de décompte général signé, composé :
du projet de décompte final tel que transmis en application de l’article 13.3.1 ;
du projet d’état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l’article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ;
du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive.
Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l’article 13.4.3.
Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n’a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. Le délai de paiement du solde, hors révisions de prix définitives, court à compter du lendemain de l’expiration de ce délai.
Le décompte général et définitif lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde. Le cas échéant, les révisions de prix sont calculées dans les conditions prévues à l’article 13.4.2 ».
Le décompte général et définitif lie définitivement les parties entre elles, peu importe qu’il soit express ou tacite.
Dans la procédure d’établissement du décompte général, chaque étape doit être respectée scrupuleusement :
1) La notification du projet de décompte final : le titulaire doit notifier dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la décision de réception des travaux son projet de décompte final au maître d’ouvrage et maître d’œuvre (conformément à l’article 13.3.2 du CCAG Travaux dans sa version de 2009).
S’agissant du point de départ de ce délai de 30 jours, le Conseil d’Etat a précisé que ce dernier n’est pas identique selon qu’une décision de réception sous réserves ou avec réserves ait été prononcée.
En effet, une décision de réception sous réserves ne fait pas courir le délai de 30 jours imparti au titulaire du marché pour notifier son projet de décompte final. Ce délai ne commence à courir qu’à compter de la date de levée des réserves prévues par l’article 41-5 de ce CCAG (CE, 8 décembre 2020, n°437983).
A l’inverse d’une réception sous réserves, une décision de réception avec réserves fait courir le délai de transmission du projet de décompte final (CE, 8 décembre 2020, n°437983).
Ce projet de décompte final doit également être simultanément adressé au maître d’œuvre et au maître d’ouvrage « par tout moyen permettant de donner une date certaine ».
2) Le maître d’œuvre accepte ou rectifie le projet de décompte final établi par le titulaire. Le projet accepté ou rectifié devient alors le décompte final (conformément à l’article 13.3.3 du CCAG Travaux 2009).
3) Or, en cas de carence du maître d’œuvre dans la transmission du décompte final et si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l’article 13.4.2,le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d’œuvre, un projet de décompte général signé (conformément à l’article 13.4.4 du CCAG Travaux 2009).
La notification de ce projet de décompte général signé par le titulaire du marché doit être précise et non équivoque. Il doit être notifié au maître d’ouvrage ET au maître d’œuvre.
Le maître de l’ouvrage a ensuite dix jours à compter de la réception du projet de décompte général pour notifier le décompte général au titulaire.
Si dans ce délai, aucun décompte général n’a été notifié, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. On parle également de décompte général et définitif tacite.
En l’espèce, l’inaction du maître d’ouvrage face aux manquements du maître d’œuvre avait obligé la société titulaire du contrat à transmettre, après la décision de réception des travaux avec réserves, un projet de décompte final en novembre 2021.
Contrairement à ce que soutenait la communauté de communes, la société titulaire a transmis un projet de décompte final en novembre 2022, après la réception du lot n°5 conformément aux dispositions de l’article 13.3.2 du CCAG Travaux, comme l’avait d’ailleurs constaté le juge de première instance.
La Cour administrative d’appel de Marseille a précisé dans son arrêt que le point de départ du délai de transmission du projet de décompte final était la décision de réception avec réserves pour en conclure que la notification en l’espèce n’était pas prématurée :
« Il résulte de l’instruction que le lot attribué à la société (…) a été réceptionné le 12 novembre 2021. La décision de réception a été prononcée non pas sous réserve de l’exécution de prestations manquantes, mais avec réserve de la reprise de malfaçons et imperfections. Par suite, en l’état de l’instruction, la contestation de la communauté de communes étant fondée sur le caractère prématuré du projet de décompte final, intitulé « projet de décompte général définitif », établi le 19 novembre 2021 par la société, alors que ce décompte n’était pas prématuré, n’apparaît pas sérieuse » (Extrait de l’arrêt).
En l’espèce, aucun décompte général n’avait été notifié à la société dans un délai de trente jours prévu à l’article 13.4.2 du CCAG travaux.
La société requérante avait alors adressé, conformément aux dispositions de l’article 13.4.4 un projet de décompte général signé le 29 novembre 2022 à la communauté de communes et l’avait mise en demeure de lui retourner le décompte général et définitif signé.
Ce décompte général signé avait été retiré à la poste par la communauté de communes le 2 décembre 2022.
La société requérante avait rappelé au maître d’ouvrage qu’à défaut de notification dudit décompte dans un délai de 10 jours, ce projet de décompte général deviendrait le décompte général et définitif tacite.
Dix jours plus tard, aucun décompte général n’avait été notifié par la communauté de communes à la société de sorte que cette dernière bénéficiait donc d’un décompte général et définitif tacite depuis le 12 décembre 2022.
A court d’arguments, la communauté de communes a tenté de convaincre la juridiction que la société n’apportait pas la preuve des notifications des projets de décomptes et que les accusés de réception produits ne correspondraient pas aux courriers de notifications.
La communauté de communes est même allée jusqu’à soutenir que les enveloppes contenant les courriers de notification n’étaient pas accompagnés des projets de décompte.
La société titulaire du marché a été contrainte de rapporter la preuve de la notification régulière des projets de décompte par plusieurs moyens :
- Les accusés de réception ;
- Les preuves de dépôt sur le site de La Poste ;
- Les factures sur le site de La Poste démontrant le prix et surtout le poids des recommandés (correspondant au nombre de page des courriers) ;
- Les courriels (chaque envoi postal avait été doublé d’un courriel).
Dans son arrêt du 21 mai 2024, la Cour administrative d’appel de Marseille a confirmé l’ordonnance du tribunal administratif de Nice en estimant que :
« La société fournit des documents de nature à attester la notification de ce projet le 29 novembre 2021, et notamment le courriel adressé au maître d’œuvre et à la communauté de communes, et daté du 29 novembre 2021, indiquant « Vous trouverez d’ores et déjà ci-joint notre projet de DGD », sans que la communauté de communes n’apporte d’élément de nature à contester l’existence de ce courriel ni le contenu de la pièce jointe. La société produit par ailleurs l’avis de réception d’une lettre recommandée distribuée le 24 novembre 2021 au maître d’œuvre. Dans ces conditions, cette seconde contestation opposée par la communauté de communes, et tirée de l’absence de preuve de la notification du projet de décompte final au maître d’œuvre, n’apparaît pas sérieuse en l’état de l’instruction.
(…)
La société produit une facture délivrée par les services postaux, qui fait état, le même jour, de deux envois adressés respectivement au maître de l’ouvrage et au maître d’œuvre et comportant chacun treize feuilles. Or, contrairement à ce que soutient la communauté de communes, ce nombre de pages correspond précisément au nombre de pages d’un document rassemblant la page unique du courrier d’accompagnement, tel qu’il est produit en pièce n° 10 jointe au mémoire en défense de la société, les deux pages du projet de décompte général, tel qu’il est produit en pièce n° 7 jointe à la requête d’appel, et aux dix pages du mémoire de réclamation de la société ainsi que de l’expertise qui y était jointe, tous deux produits en pièce n° 4 jointe à la requête d’appel. Compte tenu de ces éléments concordants, cette troisième contestation de la communauté de communes ne peut être regardée comme sérieuse en l’état de l’instruction ».
Pour conclure, la société cliente a pu obtenir les sommes dues au titre de son décompte général et définitif tacite ainsi que le remboursement de ses frais de justice.
Cet arrêt est l’occasion de rappeler aux sociétés titulaires de marchés publics mais également aux représentants des pouvoirs adjudicateurs que la procédure d’établissement du décompte général d’un marché doit être scrupuleusement respectée.