Complexité du code du travail ? Ce qu'en pensent les avocats.

Complexité du code du travail ? Ce qu’en pensent les avocats.

Propos recueillis par Marie
Rédaction du Village de la Justice.

6258 lectures 1re Parution: Modifié: 2 commentaires 4.99  /5

Explorer : # complexité du droit # simplification législative # négociation collective # protection des salariés

En France, depuis quelques années, le Code du travail est sujet à une polémique en raison de sa taille, toujours plus croissante, et de son inadéquation par rapport au marché de l’emploi. Cette polémique a enflé à l’automne 2015 au point que différentes personnes (professionnels du droit, économistes, politiques, think-tank) se sont emparées du problème afin d’ouvrir la réflexion et de trouver des solutions à cette problématique.
Mais qu’en est-il réellement ? Le droit social est-il "l’homme malade des disciplines juridiques" [1] ? La complexité du Code du travail a t-elle un rôle concret sur le "chômage" comme on peut le lire parfois ? Cette complexité est-elle dûe à la structure du Code, à son contenu ?
Le Village de la Justice s’est entretenu avec trois avocats en droit du travail et vous fait part de leurs réflexions à ce sujet.

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Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat spécialiste en droit du travail au barreau des Hauts-de-Seine ; Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris et Stéphane Béal, Avocat associé (barreau de Paris), directeur du département Droit social de FIDAL ont accepté de répondre à nos questions.

En préambule, comme le suggère Thierry Vallat, « pour comprendre l’actuelle polémique autour d’un Code du travail qui serait « illisible » et trop complexe, il faut revenir aux fondamentaux du droit social : la relation de subordination entre le salarié et son employeur engendre un déséquilibre qui doit être compensé par une réglementation adaptée. D’où la nécessité d’un Code qui harmonise les relations du travail collectives et individuelles. »

Que pensez-vous de cette volonté de simplification du Code du travail ?

"Le droit social n’est pas l’homme malade des disciplines juridiques, je dirai plutôt qu’il est mal nourri." (M-P Richard-Decamps)


Marie-Paule Richard-Descamps : "Le Code du travail me semble être un bouc émissaire un peu facile. Le droit social n’est pas l’homme malade des disciplines juridiques, je dirai plutôt qu’il est mal nourri. Il contient beaucoup trop de textes."

Stéphane Béal.

Stéphane Béal : "Si le droit du travail ne peut pas être plus simple du fait de la place donnée aux négociations, le Code du travail peut quant à lui être simplifié. Et pour cela je partage les propositions faites dans le rapport Combrexelle pour le rendre plus lisible, notamment, en définissant les règles générales et en le divisant en 3 grandes parties :
- une première partie reprenant les règles impératives d’ordre public,
- une deuxième concernant le champ ouvert à la négociation de branche et d’entreprise,
- une dernière sur les dispositions supplétives, celles qui s’appliqueront lorsqu’il n’y a, par exemple, ni accords de branches, ni accords d’entreprises...

Mais un Code du travail plus simple ne signifie pas un droit du travail plus simple..."

"Ce n’est pas tant une question de simplification, mais d’unification et donc d’acceptation des règles par l’ensemble des partenaires sociaux."(T. Vallat)

Thierry Vallat : "Le problème majeur que rencontre notre droit du travail et donc notre Code du travail aujourd’hui résiderait plutôt dans l’inflation des textes qui se sont superposés souvent sans grande cohérence depuis trop d’années et dont le flot continu submerge même les praticiens.
Mais c’est un phénomène récurrent que l’on rencontre dans d’autres secteurs du droit et pas seulement en droit social : toutefois, on s’en offusque moins, alors qu’il y a un fort ressenti contre la complexité du droit du travail dans une période où le dialogue social s’est enrayé.
La première des grandes idées reçues consiste à stigmatiser le nombre croissant de pages des codes : c’est une hérésie ! Ce n’est pas le nombre de pages qui compte ou le nombre d’articles qui y figure. Ce n’est pas tant une question de simplification, mais d’unification et donc d’acceptation des règles par l’ensemble des partenaires sociaux.
La seconde de ces idées reçues est que ce serait plus simple ailleurs en Europe : Allemagne et Royaume-Uni n’ont pas de code spécifique par exemple. Mais je crains que leur droit social soit tout aussi incompréhensible aux profanes si l’on superpose toutes les règlementations existantes ; seulement leur taux de chômage est inférieur au notre, en partie grâce à l’introduction de règles plus souples et de flexibilité pour les embauches et les licenciements."

Le droit social a t-il vocation à être simple ?

Marie-Paule Richard-Descamps.
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Marie-Paule Richard-Descamps : "Bien-sûr, il serait pratique pour les salariés qu’ils aient un accès facile au droit du travail qui leur est applicable, mais le droit n’est pas simple. Les termes juridiques et les principes de notre droit ne sont pas simples. La jurisprudence de la Cour de cassation est foisonnante et les revirements sont nombreux, on a un empilement de normes et de sources du droit. Tout cela est fort complexe et on ne cesse de rajouter des textes encore et encore..."

"Le droit social n’a pas vocation à être simple..."(S. Béal)

Stéphane Béal : "Non, le droit social n’a pas vocation à être simple car il organise l’ensemble des relations de travail entre les personnes et ce dans divers domaines. Cependant, il devrait être intelligible, ne serait-ce qu’au regard de l’adage, « Nul n’est censé ignorer la Loi ». Mais dans la réalité, le droit du travail ne peut pas se départir d’une complexité certaine, car les rapports de travail entre employés et employeurs sont eux-mêmes de plus en plus complexes. Et dans la mesure où il est permis à différents interlocuteurs et niveaux de négocier (accords de branches, accords d’entreprises,) afin de générer de la souplesse pour les entreprises et leurs salariés, se créent une multitude de normes différentes."

La complexité du Code du travail a t-elle un impact réel sur l’emploi ? 

Marie-Paule Richard-Descamps : "Oui en partie s’agissant des TPE et/ ou PME. Toutefois, ce n’est pas tant la complexité du Code du travail qui a un impact sur l’emploi que les mauvaises décisions politiques et économiques de nos dirigeants. Leurs politiques successives en matière d’emploi ont été désastreuses."

"Le Code du travail « joue » clairement un rôle, dans la forme donnée à cette embauche."(S. Béal)

Stéphane Béal : "Certainement, même si cette complexité ne peut pas être la seule cause de la non-employabilité des personnes. Tout d’abord, les entreprises embauchent pour répondre à un besoin... En revanche, là où le code du travail « joue » clairement un rôle, c’est dans la forme donnée à cette embauche et c’est le manque de souplesse des règles qui s’appliqueront au type de contrat choisi (CDI,CDD, Interim...) qui pourront influencer l’embauche."

Thierry Vallat : "C’est plutôt l’inverse : s’il y avait moins de chômage et plus de perspectives sociales, le droit du travail s’en trouverait pacifié et sa complexité ne générait plus personne.
En tout état de cause, aucune étude ne démontre que le chômage résulte du Code du travail."

Le rapport Combrexelle [2] qui a été remis au Gouvernement, apporte-t-il des propositions efficaces et réalistes face à cette volonté de simplification ?

Thierry Vallat.
Profil Membre du Village ici.

Thierry Vallat  : "Si le Code du travail existe c’est qu’il y a un rapport déséquilibré entre l’employeur et le salarié et que le code est là pour rétablir une relation inégalitaire. Mais l’idée qu’il régit tout est fausse.
Partant de ce constat, la principale préconisation de Jean-Denis Combrexelle est cependant d‘ouvrir de nouveaux champs de négociation collective sur quatre piliers : conditions de travail-temps de travail- emploi et salaires et d‘inverser la priorité aux accords de branche afin que la loi ne s’applique plus que par défaut pour quelques règles d’ordre public social. On serait dans un système se rapprochant de ce qui prévaut en Allemagne.
Deux obstacles majeurs paraissent d’ores et déjà exister ; l’absence d’une vraie culture de la négociation en France et l’admission d’un droit qui pourrait ne pas être uniforme.

Ce sera donc un véritable défi pour les partenaires sociaux, surtout dans le délai de 4 ans préconisé par le rapport remis le 9 septembre dernier et avec le principal reproche d’une « course au moins-disant social » déjà mise en avant par les syndicats."

Marie-Paule Richard-Descamps : "Je n’en suis pas convaincue, car il met en avant notamment la négociation d’accords collectifs qui vont poser énormément de problèmes. négocier au niveau "entreprise" c’est négocier à un niveau trop bas par rapport à la branche."

Comment selon vous, le Code du travail peut-il être simplifié ?

Marie-Paule Richard-Descamps : "Assurément et pas seulement dans son architecture comme le suggère M. Combrexelle."

Thierry Vallat : "L’une des pistes est celle préconisée par Robert Badinter et Antoine-Lyon Caen, autour de 50 grandes règles fixées par la loi qui régiraient les petites entreprises, alors que les plus grandes les complèteraient par la négociation collective.« Une loi plus ferme dans ses principes et plus modeste dans ses détails » : les principes fondamentaux comme la durée du travail, la rupture du contrat de travail, seraient applicables à tous, les détails ressortiraient des règlements et des négociations collectives. Avec le risque de toucher à la protection des salariés.
Une autre idée serait de renforcer le caractère protecteur du Code du travail, revenir finalement à son essence : une simplification oui, mais pas pour rabaisser les droits sociaux qui sont par nature fixés par le patronat. Il serait fait une plus large place aux négociations d’entreprises avec un socle commun indispensable (durée légale du travail, salaire minimum…)"

"Pour simplifier le Code du travail il semble impératif de cesser de légiférer sur le même thème à de multiples reprises."(S.Béal)


Stéphane Béal : "Avant tout, pour simplifier le Code du travail il semble impératif de cesser de légiférer sur le même thème à de multiples reprises (parfois plusieurs fois dans la même année) car cela génère un sentiment d’insécurité et d’incompréhension tant pour les employeurs que pour les employés. Ceux-ci n’ont pas le temps de s’approprier le nouveau texte avant qu’un nouveau le remplace, le modifie ou le complète. Avant de créer une nouvelle loi, il est fondamental qu’il y ait un temps de réflexion..
Je prends à ce titre l’exemple du compte épargne temps. Depuis sa création, le compte épargne temps a été modifié, parfois de façon importante, parfois minime, pratiquement tous les 2 ans. Ces modifications ont nui à l’appropriation, à la compréhension de ce mécanisme et de ce qu’il pouvait présenter comme intérêts, ou inconvénients, tant pour les entreprises que pour les salariés. Ce qui explique que peu d’entreprises l’aient mis en place à l’heure actuelle.

Il est donc important de bien penser l’objet de la loi avant que cette dernière ne soit promulguée, afin d’éviter de multiplier les lois sur un même sujet et d’alourdir inutilement notre code du travail."

Force est de constater que le débat sur les causes de la complexité du Code travail et les solutions à apporter est loin d’être tranché. Et qu’au lieu de partir bille en tête vers une réécriture de ce dernier, il semble pertinent d’analyser où en est le droit du travail en France et quelles orientations on souhaite lui donner.
De plus cette complexité n’est pas l’apanage du seul Code du travail. En France toutes les branches du droit peuvent-être taxées de complexités certaines, cependant elles ont un impact moins direct sur le fonctionnement économique de notre pays. Peut-être est-ce la raison pour laquelle on n’en parle pas...?

Propos recueillis par Marie
Rédaction du Village de la Justice.

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Notes de l'article:

[1Ainsi s’exprime Nicolas de Sevin, Président d’AvoSial, lors d’une conférence de presse tenue le 29 septembre 2015 : « le droit du travail est l’homme malade des disciplines juridiques. » (AvoSial : Syndicat des professionnels reconnus du droit social en entreprise).

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