Sanctions disciplinaires des militaires et arrêts de travail : attention à la privation de votre rémunération !

Par Tiffen Marcel, Avocate.

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Explorer : # sanctions disciplinaires # congé maladie # rémunération # militaires

La circonstance qu’un militaire ou un gendarme soit placé en congé maladie n’empêche pas l’institution d’engager une procédure disciplinaire à son encontre. Cependant, le juge administratif a eu à se poser la question de savoir si l’éventuelle sanction disciplinaire pouvait être exécutée avant l’expiration de l’arrêt de travail du militaire ou du gendarme concerné. Par un arrêt du 3 juillet 2023 (CE, 3 juillet 2023, req. n°459472), le Conseil d’Etat a répondu par l’affirmative en précisant, en outre, que dans l’hypothèse où la sanction disciplinaire a pour conséquence de priver l’agent concerné de son droit à rémunération, son placement en congé maladie ne peut avoir pour effet de le faire bénéficier d’un droit à rémunération supérieur à celui dont il aurait bénéficié s’il n’avait pas été placé en arrêt de travail.

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Depuis longtemps, le Conseil d’Etat estime que les procédures disciplinaires et les procédures de placement en congés maladie sont des procédures autonomes.

Ainsi, une procédure disciplinaire peut valablement être engagée à l’encontre d’un militaire ou d’un gendarme placé en arrêt maladie (CE, 13 mai 1992, req. n°106098).

A cette époque, l’administration considérait toutefois que la sanction disciplinaire prononcée contre un militaire ou un gendarme en congé maladie ne pouvait entrer en vigueur avant l’expiration de celui-ci :

« (…) Cependant, les sanctions disciplinaires ou pénales dont il fait l’objet n’ont pas de conséquence sur sa situation de bénéficiaire d’un congé de maladie, aussi longtemps que la condition d’inaptitude physique est remplie. Elles seront donc exécutées postérieurement à l’expiration du congé de maladie dont l’agent bénéficie(…) » [1].

Par une décision du 12 avril 2017, la Cour administrative d’appel de Nantes avait confirmé cette circonstance en soulignant que le placement arrêt de travail d’un militaire ou d’un gendarme faisait obstacle à l’entrée en vigueur d’une sanction disciplinaire prise à son encontre, jusqu’à sa reprise de service effectifs (CAA Nantes, 12 avril 2017, req. 16NT01078).

Dans cet arrêt, la Cour administrative d’appel de Nantes mentionnait néanmoins une exception s’agissant de la radiation des cadres ou des contrôles, estimant que, dès lors que celle-ci faisait perdre au militaire concerné, son statut, elle pouvait s’exécuter avant le terme de son congé maladie :

« 2. Considérant qu’aux termes de l’article L4137-2 du Code de la défense, applicable à la date de la décision contestée : « Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : 1° Les sanctions du premier groupe sont : a) L’avertissement ; b) La consigne ; c) La réprimande ; d) Le blâme ; e) Les arrêts ; f) Le blâme du ministre ; 2° Les sanctions du deuxième groupe sont : a) L’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de cinq jours privative de toute rémunération ; b) L’abaissement temporaire d’échelon ; c) La radiation du tableau d’avancement ; 3° Les sanctions du troisième groupe sont : a) Le retrait d’emploi, défini par les dispositions de l’article L4138-15 ; b) La radiation des cadres ou la résiliation du contrat (...) » ; que si une sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions ne peut avoir de conséquences sur la situation d’un bénéficiaire d’un congé de maladie aussi longtemps que la condition d’inaptitude physique est remplie et ne peut dès lors être légalement exécutée que postérieurement à l’expiration du congé de maladie dont l’agent bénéficie, il n’en va pas de même pour une sanction de radiation des cadres, qui rompt le lien de l’agent avec le service de façon définitive et entraîne la perte de la qualité de militaire ;
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’arrêté du 3 juillet 2015 prononçant la radiation des cadres de M. B...a été notifié à l’intéressé le 16 juillet 2015 ; que si celui-ci fait valoir qu’à cette date il était placé en congé de longue durée pour maladie depuis le 20 août 2014, pour une période expirant le 19 août 2015, une telle circonstance ne faisait pas obstacle à ce que la sanction disciplinaire de radiation des cadres de l’armée, qui entraîne la perte de la qualité de militaire, puisse être légalement mise à exécution durant le congé de maladie dont bénéficiait l’intéressé ; qu’ainsi, c’est à tort que le Tribunal administratif de Rennes s’est fondé sur ce motif pour annuler la décision contestée
 » (CAA Nantes, 12 avril 2017, req. 16NT01078).

Jusqu’à cette date, on pouvait légitimement penser qu’une sanction disciplinaire prononcée à l’encontre d’un militaire ou d’un gendarme en arrêt de travail pour maladie, ne pouvait prendre effet qu’après l’expiration dudit arrêt de travail, sauf à ce que la sanction concernée vise à prononcer sa radiation des cadres ou des contrôles.

Dans ce dernier cas, puisque la sanction faisait perdre définitivement au militaire concerné son lien juridique avec l’institution militaire, la radiation pouvait être exécutée avant la fin du congé maladie du militaire ou du gendarme en cause.

Toutefois, par une décision du 21 novembre 2021, la Cour administrative d’appel de Douai avait jugé à l’inverse en considérant, s’agissant d’un agent public civil, qu’une sanction disciplinaire pouvait et, quelle qu’elle soit, entrer en vigueur avant l’expiration du congé maladie de l’agent concerné :

« 3. Par ailleurs, la circonstance qu’un agent soit placé en congé pour maladie ne fait pas obstacle à l’exercice de l’action disciplinaire à son égard ni, le cas échéant, à l’entrée en vigueur d’une sanction disciplinaire » (CAA Douai, 25 novembre 2021, req. n° 20DA01958).

La question s’est donc posée de savoir si cette jurisprudence trouvait à s’appliquer également aux militaires et aux gendarmes.

Par une ordonnance du 6 décembre 2022 (CE, ord., 6 décembre 2022, req. n°465627), le Conseil d’Etat a semblé vouloir appliquer cette jurisprudence aux militaires en jugeant que l’exécution d’une sanction disciplinaire prononcée contre un militaire était légale, y compris avant l’expiration de son congé maladie :

« 3. La circonstance qu’un agent soit placé en congé pour maladie ne fait obstacle ni à l’exercice de l’action disciplinaire à son égard ni à l’entrée en vigueur d’une décision de sanction impliquant la radiation des cadres. Par suite, en jugeant, pour ordonner la suspension de l’exécution de la décision de radiation des cadres prononcée à l’encontre de M. B... en tant qu’elle prenait effet avant la fin de son congé de longue durée pour maladie, que la circonstance que l’intéressé se trouvait en congé de longue durée y faisait obstacle, le juge des référés du Tribunal administratif de Toulouse a commis une erreur de droit. Le ministre des armées est, dès lors, fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée en tant qu’elle a suspendu l’exécution immédiate de la décision litigieuse ».

Par cette ordonnance, le Conseil d’Etat a donc appliquéaux militaires et aux gendarmes, la jurisprudence de principe développée jusque-là pour les agents publics « civils ».

Récemment, dans sa décision, rendue sur conclusions contraires du rapporteur public, le Conseil d’Etat a confirmé cette position, s’agissant d’un agent public civil, en jugeant que la circonstance qu’un agent soit placé en congé de maladie ne fait pas obstacle à l’exercice de l’action disciplinaire à son égard ni, le cas échéant, à l’entrée en vigueur d’une décision de sanction :

« 6. Il résulte de ce qui précède que c’est sans erreur de droit que la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé que la circonstance que M. A... était en congé de maladie ne faisait pas obstacle à l’entrée en vigueur, le 17 février 2018, de la décision du 13 février 2018 par laquelle la rectrice de l’académie de Lyon lui a infligé la sanction disciplinaire d’exclusion de ses fonctions pour une durée de deux ans, et qu’elle en a déduit qu’il n’était pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté du 1er juin 2018 par lequel la même autorité a suspendu sa rémunération à compter du 17 février 2018 » (CE, 3 juillet 2023, req. n°459472).

Par cette décision, le Conseil d’Etat a ajouté une précision importante s’agissant des conséquences de l’exécution d’une sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions , en indiquant que, dans ce cas, le fonctionnaire concerné ne pouvait, durant la période de suspension de fonctions, bénéficier du maintien de sa rémunération à raison de son placement en congé maladie :

« 5. D’autre part, les dispositions de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 selon lesquelles le fonctionnaire conserve, selon la durée du congé, l’intégralité ou la moitié de son traitement, ont pour seul objet de compenser la perte de rémunération due à la maladie en apportant une dérogation au principe posé par l’article 20 de la loi du 13 juillet 1983 subordonnant le droit au traitement au service fait. Elles ne peuvent avoir pour effet d’accorder à un fonctionnaire bénéficiant d’un congé de maladie des droits à rémunération supérieurs à ceux qu’il aurait eus s’il n’en avait pas bénéficié. Un agent faisant l’objet d’une exclusion temporaire de fonctions étant privé de rémunération pendant la durée de cette exclusion, il ne saurait, pendant cette période, bénéficier d’un maintien de sa rémunération à raison de son placement en congé de maladie  ».

La position du Conseil d’Etat est donc claire désormais, s’agissant de tous les agents publics : Une procédure disciplinaire peut être engagée durant leurs arrêts de travail, et la sanction disciplinaire édictée à son issue, exécutée, quelles que soient ses conséquences en termes de rémunération.

En particulier, une sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions aura pour effet de priver le militaire ou le gendarme concerné de son droit à rémunération, y compris lorsque celui-ci résultait de son placement en arrêt de travail.

Tiffen Marcel
Avocate au barreau de Paris
tiffen.marcel chez obsalis.fr
https://www.obsalis.fr/

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Notes de l'article:

[1Réponse ministérielle à la question n° 21086 de Monsieur le Sénateur Jean-Pierre Sueur publiée au J.O. Sénat le 19/12/2005.

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