Construction et trouble anormal du voisinage : quel delai d’action pour le tiers voisin ?

Par Maud Avril-Logette, Avocat.

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Explorer : # troubles anormaux de voisinage # prescription # responsabilité civile # construction

Dans un arrêt du 16 janvier 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation opère un rappel utile quant au délai d’action encadrant le recours du tiers voisin contre le maître d’ouvrage et les différents intervenants à la construction (Civ.3, 16 janvier 2020, n°16-24352).

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Les faits sont les suivants :

Une société civile immobilière fait procéder à des travaux de construction de logement après avoir démoli les anciens bâtiments de l’imprimerie nationale. L’opération se déroule sous contrôle d’un maître d’œuvre, en présence d’une société en charge de l’ensemble des travaux et d’un sous-traitant chargé du terrassement et des voiles périmétriques.
Le 9 février 2000, une première expertise en référé préventif est ordonnée. En cours de travaux, des dommages sont occasionnés aux propriété voisines en raison d’une décompression des terrains. Les voisins victimes sollicitent qu’une nouvelle expertise soit ordonnée, et qu’une provision leur soit allouée par assignation du 12 septembre 2008. Leurs demandes sont rejetées par ordonnance du 17 décembre 2008. Les 21 et 26 octobre 2011, ils assignent le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre, la Société en charge de l’ensemble des travaux, le sous-traitant chargé du terrassement et des voiles périmétriques, ainsi que leurs assureurs en indemnisation au fond de leurs préjudices sur le fondement des troubles anormaux du voisinage.

La Cour d’Appel de Paris rejette leurs demandes, les considérant comme prescrites.

Au sein d’un moyen se décomposant en cinq branches, les voisins se pourvoient en cassation et font notamment valoir que :

1°) l’action fondée sur un trouble anormal de voisinage est une action réelle immobilière se prescrivant par trente ans, lorsqu’elle tend à la réparation de désordres affectant la structure d’un bien immobilier, que la nature réelle ou personnelle de l’action se déduit de la nature du trouble invoqué ; qu’en l’espèce, après avoir constaté que les travaux en litige avaient porté atteinte à la structure même des biens immobiliers des consorts X...-Y..., la cour a cependant écarté l’application de la prescription trentenaire, au motif que le trouble émanant du fonds voisin en travaux n’avait pas affecté le fonds dont les consorts X... sont propriétaires, dans ses caractères, dans ses avantages ou utilités, et ne s’était pas traduit par une affectation de leurs prérogatives de propriétaires, dès lors qu’un tel trouble aurait nécessité une réparation en nature, et non une réparation d’ordre pécuniaire, telle que celle réclamée par les consorts X... ; qu’en déniant à l’action fondée sur le trouble anormal de voisinage un caractère réel, au seul motif que la réparation sollicitée n’était pas en nature, mais d’ordre pécuniaire, la cour, qui a fait dépendre la nature de l’action, de la nature de l’indemnité réclamée et non de la nature du trouble, a violé l’article 2227 du code civil ;

4°) les actions exercées par les tiers se prescrivent par 10 ans à compter de la réception des travaux, qu’en énonçant que le point de départ du délai de prescription des travaux ne peut se situer à la date de réception des travaux, ce délai particulier ne s’appliquant pas aux [1], la cour d’appel a violé l’article 1792-3-4 du Code Civil.

La question posée à la Cour de cassation était donc la suivante :

L’action en indemnisation du tiers voisin, fondée sur le trouble anormal du voisinage, est-elle une action réelle ou une action personnelle ? Quel est le délai de prescription applicable au à l’action sur ce fondement ?

La Cour de cassation répond en précisant que l’action en responsabilité fondée sur un trouble anormal du voisinage constitue non une action réelle immobilière mais une action en responsabilité civile extra-contractuelle, personnelle donc, soumise avant la réforme de la prescription civile à un délai de prescription de 10 ans [2] et réduit depuis 2008 à 5 ans [3].

La Cour rappelle, en outre, que l’action de l’article 1792-4-3 du Code Civil [4] n’est pas ouverte aux tiers à l’opération de construction agissant sur le fondement du trouble anormal de voisinage.

Enfin, elle précise que l’interruption de prescription intervenue par assignation était réputée non avenue, en application de l’article 2243 du Code Civil, dès lors que le Tribunal avait définitivement rejeté toutes les demandes du requérant.

Le tiers voisin dispose donc contre les intervenants du chantier situé à proximité de chez lui d’une action personnelle sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage lui permettant d’agir dans un délai de 5 ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer [5].

Maud AVRIL-LOGETTE - Avocat spécialiste en droit immobilier
ARHESTIA AVOCATS

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Notes de l'article:

[1Article 1792-4-3 Code Civil.

[2Article 2270-1 du Code civil ancien.

[3Article 2224 du Code Civil.

[4Action en responsabilité contre les constructeurs désignées aux articles 1792 et 1792-1 du code civil se prescrivant par 10 ans à compter de la réception de travaux.

[5Article 2224 du Code Civil.

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