Le contentieux douanier et les pratiques de l’administration des douanes ivoiriennes.

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Explorer : # contentieux douanier # procédure douanière # infraction douanière # administration des douanes

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Introduction

A la faveur du récent litige qui a opposé l’Administration des Douanes ivoiriennes à la Société GITMA, lequel a fait d’ailleurs le choux gras des journaux ivoiriens, nombreux sont les lecteurs qui ont suivi avec beaucoup d’attention les développements de ce litige.

L’intérêt qu’a porté la population ivoirienne audit litige s’explique par le fait que la Douane est aujourd’hui la plus grande pourvoyeuse de devise à notre économie, ce qui lui a valu des félicitations de la part des institutions de Bretton Woods.

Cependant, le droit douanier étant très peu connu du public, même de la grande majorité de ceux qui le pratiquent, diverses questions récurrentes n’ont pas manqué de surgir.

Le public ivoirien s’est interrogé notamment sur le contenu du contentieux douanier et si les règles de procédure douanière ont été particulièrement respectées dans le litige qui a opposé la Douane à la Société GITMA.

La présente étude tachera d’apporter des réponses aux préoccupations légitimes des lecteurs ivoiriens.

Mais auparavant, il convient de rappeler les faits de ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire GITMA contre Douanes.

Dans le courant des mois de juillet à octobre 2002, la Société GITMA a pour le compte des armements PIL et MESSINA procédé au débarquement de 44 conteneurs disant contenir des articles de ménage et du matériel électroménager.

Ces conteneurs sont restés sur son aire de dédouanement jusqu’au mois de janvier 2003 sans que les destinataires ne se présentent pour accomplir les formalités de déclaration en douane.

La Douane les a alors réquisitionnés aux fins de mise en dépôt douane.

Déférant à l’injonction de la douane, la Société GITMA a transféré lesdits conteneurs au dépôt n°1 de la Douane.
Au dépotage, la douane a constaté que les conteneurs disant contenir des articles de ménages contiennent des seaux tandis que ceux qui disaient contenir du matériel électronique contiennent des pièces de ventilateurs.

La douane faisait alors dépoter, le 13 mars 2003, 13 conteneurs qui venaient d’être débarqués par la Société GITMA de deux navires de l’armement PIL, dans lesquels elle a constaté la présence de téléviseurs, divers matériels électroménagers et des ventilateurs.

Suite à ce constat, la Douane estimant que les 44 conteneurs devaient également contenir du matériel électroménager a fait établir un procès verbal de saisie aux termes duquel elle inflige à la Société GITMA, pour délit de contrebande, le paiement des sommes de 11.946.318.156 F CFA à titre d’amende et 950.737.999 F CFA à titre de droits et taxes compromis.

Avant d’aborder la problématique du sujet, celui de savoir si la Douane ivoirienne a été respectueuse de la procédure douanière dans le litige précité, il convient au préalable de définir le contentieux douanier et identifier ses faits générateurs.

I/ Définition et faits générateurs du contentieux douanier

Le contentieux douanier peut être défini en effet, comme l’ensemble des règles relatives à la naissance, au déroulement et la conclusion des litiges ayant pour objet l’interprétation et l’application du droit douanier.

Il reste attendu que cette définition est prise dans son sens le plus strict écartant tous les contentieux dans lesquels l’Administration des douanes peut se retrouver sans qu’il soit question d’application d’une disposition douanière.

Le contentieux douanier naît généralement de deux manières, à l’occasion soit du recouvrement d’une créance de la Douane soit de la constatation de la commission d’une infraction.

Pour les besoins de la présente étude, nous intéresserons uniquement au second fait générateur du contentieux douanier, à savoir la constatation de la commission d’une infraction douanière.

La constatation des infractions douanières appartient aux termes du décret n°68-410 du 3 septembre 1968 relatif à la constatation des infractions aux lois et règlements des douanes, en principal à l’Administration des Douanes.

Cependant les autres Administrations peuvent constater les infractions douanières, dans les rayons des frontières de terre et de mer, à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, lorsqu’il n’est pas possible d’aviser utilement le bureau, le poste ou la brigade le plus proche.

La constatation des infractions douanières est consignée soit dans un procès verbal de constat, soit dans un procès verbal de saisie, lorsqu’il est possible d’appréhender les marchandises frauduleuses ou les moyens de transport.

La rédaction des procès verbaux obéissent à un formalisme dont le non respect ouvre droit à une action en nullité, aux termes de l’article 213 du code des douanes.

Ainsi aux termes des articles 201, 203 et 209 du code des douanes, les procès verbaux doivent mentionner la date, la cause de la saisie, la déclaration qui a été faite au prévenu, les noms, qualités, demeures des saisissants et de la personne chargée des poursuites, la présence du prévenu à leur description ou la sommation qui a été faite d’y assister, que lecture a été faite au prévenu s’il est présent et qu’il a été interpellé de le signer.

En cas de saisie, le procès verbal précise le nom, la qualité du gardien, le lieu de la rédaction, l’heure de la clôture et que copie a été remise sur le champ au prévenu s’il est présent.

Relativement à la signature qui doit être apposée par le prévenu sur les procès verbaux, il y a lieu d’indiquer que tant la lettre que l’esprit des textes ci-dessus visés, permettent de s’assurer qu’il s’agit d’une signature ayant pour intérêt de revêtir les procès verbaux d’un caractère contradictoire.

Par conséquent, le prévenu qui ne reconnaît pas les faits allégués dans les procès verbaux, doit avoir la latitude de prendre des réserves marquant formellement sa protestation.

La liberté de prendre des réserves est d’autant plus importante que les articles 211 et 212 du code des douanes disposent que les procès verbaux font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent.

La réserve constitue par conséquent un commencement de preuve de l’altération des faits matériels relatés dans les procès verbaux.

Par contre, une signature sans réserve emporte reconnaissance du prévenu des faits qui lui sont reprochés.

Or force est de constater que la Douane ivoirienne exige souvent des prévenus qu’ils signent ses procès verbaux nette de réserve.

En cas de refus, la Douane use de la contrainte pour vaincre la résistance du prévenu.

Mieux, dans le litige GITMA contre Douane, l’Adminstration des Douanes a exigé de la GITMA qu’elle appose sa signature suivie la mention « Nous acceptons la reconnaissance du service et les suites contentieuses éventuelles »

Au delà de la question de la régularité de la mesure de contrainte qui sera débattue par ailleurs, il y a lieu d’indiquer que cette pratique de la Douane ivoirienne est illégale et est constitutive d’un abus de pouvoir.

Après la constatation de l’infraction douanière au travers des procès verbaux dont la rédaction a été analysée ci haut, des poursuites doivent être exercées pour réprimer les auteurs et les bénéficiaires de la fraude douanière.

II/ L’exercice des poursuites douanières

Deux types d’action peuvent être exercées indifféremment, l’action publique et l’action fiscale.

L’action publique en vue de l’application des peines pénales est exercée, aux termes de l’article 218 du code des Douanes, par le Procureur de la République qui use des voies ordinaires de mise en mouvement de l’action publique, à savoir la citation directe et le réquisitoire introductif.

L’action fiscale pour l’application des sanctions pécuniaires est exercée par l’Administration des Douanes.

Cependant le Ministère public peut l’exercer accessoirement à l’action publique, aux termes de l’alinéa 3ème de l’article 218 précité.

En pratique, le Ministère public n’exerce les deux actions que lorsque l’Administration des Douanes a négligé d’exercer l’action fiscale.

A l’effet de permettre au Procureur de la République d’exercer les poursuites nécessaires pour découvrir et sanctionner les fraudeurs, l’article 208 du code des Douanes fait obligation à l’Administration des Douanes de transmettre au Parquet du Tribunal, les procès verbaux de saisie constatant les délits, les contraventions douanières n’étant pas passibles de privation de liberté contrairement en matière pénale.

Or dans le cas du litige GITMA contre Douane, le Procureur de la république n’a pas reçu transmission du procès de saisie dressé le 12 mars 2003, alors qu’il constatait un délit de contrebande prévu et puni par les dispositions des articles 287, 290 et suivants du code des Douanes, celui-ci n’ayant été saisi que suite à une plainte déposée par la Société GITMA contre X.

Ce faisant, la Douane n’a pas mis le Procureur de la République en mesure d’exercer les attributions qui lui sont dévolues par la loi.

Cette attitude de la Douane ivoirienne peut être interprétée de deux manières ; soit elle est l’expression de la méfiance traditionnelle qu’éprouve la Douane à l’égard des autorités judiciaires qu’elle taxe abusivement de corrompus, soit elle a eu pour dessein de protéger les véritables auteurs de la fraude ainsi que leurs bénéficiaires en les soustrayant des poursuites pénales susceptibles d’être engagées à leur encontre.

Si tel était le dernier cas, on serait tenté d’affirmer que l’Administration des Douanes s’est rendue complice de la fraude commise au préjudice de l’Etat de Côte d’Ivoire.

L’Administration des Douanes, à qui est dévolue l’action fiscale, est juge de l’opportunité des poursuites, elle peut donc ignorer l’infraction qui est commise ou négliger de la poursuivre.

Dans le cas où elle décide de poursuivre l’infraction douanière, elle s’oblige à saisir deux juridictions suivant la nature de cette infraction.

Elle saisit le tribunal civil dans le ressort duquel est situé le bureau ou le poste de Douane le plus proche du lieu de constatation de l’infraction, en cas de contravention et ce, par voie d’assignation délivrée au prévenu à sa requête.

Dans ce cas, le ministère public intervient en application des dispositions de l’article 106 du code de procédure civile aux termes desquelles « sont obligatoirement communicables au ministère public, trois jours avant l’ordonnance de clôture ou avant l’audience, suivant les distinctions prévues à l’article 47, les causes suivantes :
-  Celles dans lesquelles, l’ordre public, l’Etat ou les collectivités publiques sont intéressés »

En effet, toute infraction douanière intéresse l’ordre public économique et l’Etat.

En cas de délit, l’Administration des Douanes s’oblige à saisir les juridictions répressives du lieu de constatation de l’infraction douanière, par dépôt de plainte avec constitution de partie civile.

Mais en réalité, cette plainte n’est nécessaire que lorsque les prévenus, les marchandises frauduleuses ou les moyens de transport n’ont pas été appréhendés sur le champ, de sorte que la manifestation de la vérité nécessite l’ouverture d’une information judiciaire.

A contrario, le ministère public qui reçoit la transmission des procès verbaux de saisie, en application des dispositions de l’article 208 précité et qui voit les prévenus déférés par devant lui, met en mouvement la procédure de flagrant délit, s’il estime bien entendu, que toutes les conditions légales sont réunies.

Comme dans tout contentieux, les poursuites douanières s’éteignent par la survenance de certains événements.

III/ L’extinction des poursuites douanières

Tant l’action publique que l’action fiscale s’éteignent par la prescription et par la transaction.

La prescription de l’action en répression des infractions douanières, aux termes de l’article 226 du code des douanes court dans les mêmes délais que l’action publique en matière d’infraction de droit commun, à savoir 3 ans pour les délits et une année pour les contraventions.

La transaction, privilège de l’Administration des Douanes pour régler à l’amiable ses différends avec les personnes poursuivies demeure la voie plus prisée, elle peut intervenir avant ou après jugement définitif.

Dans le dernier cas, la transaction laisse subsister les peines corporelles, à savoir les peines privatives de liberté.

La Douane ivoirienne a toujours privilégié la transaction dans le dessein de se préserver contre les immixtions malveillantes des autorités judiciaires.

Elle n’hésite pas à user de la contrainte pour parvenir à cette fin.

Ainsi, dans l’affaire GITMA contre la Douane, aussitôt après la signature du procès verbal de saisie, la Douane a invité la GITMA à conclure avec elle une transaction.

Devant le peu d’empressement de cette dernière de transiger, la Douane a usé des mesures de blocage de ses activités pour la contraindre à signer un protocole d’accord.

Il se pose alors la question de savoir, si à ce stade de la procédure, la Douane peut employer la contrainte.

La régularité de la contrainte obéit à des conditions de fond et de forme.

En ce qui concerne les conditions de fond, l’article 220 du code des Douanes qui définit les cas d’emploi de la contrainte dispose que « Le Directeur Général des Douanes, le Receveur Principal des Douanes et les Chefs de Bureaux peuvent décerner contrainte pour le recouvrement des droits et taxes de toutes nature que l’Administration des Douanes est chargée de percevoir ou de liquider, pour le paiement des droits, amendes et autres sommes dues en cas d’inexécution des engagements contenus dans les acquits-à-caution et soumissions et, d’une manière générale, dans tous les cas où ils sont en mesure d’établir qu’une somme quelconque est due à l’Administration des Douanes

… »

Il résulte de ce texte que la contrainte est décernée principalement dans deux cas ; lorsque l’Administration des Douanes justifie de l’inexécution des engagements contenus dans les acquits-à-caution et soumissions et lorsqu’elle justifie d’un titre de créance née soit d’une transaction signée librement et sans contrainte, soit des droits et taxes éludés ainsi que des amendes fixés par une décision de justice.

Il s’en infère donc qu’avant la signature d’un protocole d’accord, aucune contrainte ne saurait être décernée par la Douane sans qu’elle ne soit entachée d’irrégularité.

Quant aux conditions de formes, les articles 222 et 223 du code des Douanes en prévoient deux.

Ces articles disposent en effet, que la contrainte doit à la fois comporter copie du titre qui établit la créance et être visée par le juge.

Or dans le cas du litige GITMA contre la Douane, la Douane a procédé au blocage des activités de la Société GITMA par simple courrier ne comportant ni copie d’un prétendu titre de créance ni visa d’un juge.

En agissant de cette manière, la Douane ivoirienne a méconnu les règles du contentieux douanier et s’est rendue coupable d’un abus de pouvoir.

Conclusion

Les nombreuses irrégularités relevées dans le litige GITMA contre Douane, qui a été pris à titre de simple support d’étude, est l’expression patente des fréquentes entorses que commet l’Administration des Douanes, aux règles de procédure douanière, à l’occasion des litiges qui l’opposent aux acteurs des échanges commerciaux.

Certes, cette Administration a le mérite de faire des efforts énormes pour lutter contre la fraude, ce qui fait d’elle un moteur essentiel de l’économie ivoirienne, il reste cependant qu’elle est astreinte à respecter les règles du contentieux douanier.

La soumission de l’Administration des Douanes aux règles du droit douanier constitue un gage de sécurité pour les opérateurs économiques qui ont besoin d’être rassurés sur le fait que le pays dans lequel ils investissent est un Etat de droit respectueux des lois dont il s’est dotées.

L’Administration des douanes ivoiriennes doit donc faire cet effort d’appliquer de manière stricte les règles du contentieux douanier afin de mieux relever les défis financiers qui lui sont assignés.

Monsieur BILE Abia Vincent
DEA en Droit Privé
Doctorant en Droit privé
Collaborateur d’Avocats
v_bile chez yahoo.fr

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