La contestation de la remise d’un bien à l’AGRASC aux fins d’aliénation.

Par Matthieu Hy, Avocat.

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Explorer : # remise de bien # contestation # aliénation # procédure pénale

Si la remise d’un bien meuble à l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués (AGRASC) aux fins d’aliénation est susceptible d’intervenir au stade du jugement (C.pr.pén., art.373-1 al. 2 et 484-1 al. 2), l’enquête et l’information judiciaire constituent les phases procédurales privilégiées de recours à une telle mesure.

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Les conditions de la remise à l’AGRASC pour aliénation.

D’une part, le procureur de la République pendant l’enquête [1] ou le juge d’instruction pendant l’information judiciaire [2] peut remettre à l’AGRASC pour aliénation un bien meuble placé sous main de justice dont la restitution s’avère impossible et qui n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité.

L’impossibilité de restituer le bien résulte soit de l’impossibilité d’identifier son propriétaire, soit de l’absence de réclamation du propriétaire dans un délai d’un mois à compter d’une mise en demeure adressée à son domicile [3]. La réserve des droits des tiers est explicitement prévue par les textes.

D’autre part, le procureur de la République [4] et le juge d’instruction [5] peuvent, par décision motivée [6], remettre des biens meubles à l’AGRASC aux fins d’aliénation lorsque trois conditions cumulatives sont remplies.

En premier lieu, il faut que la conservation du bien ne soit plus nécessaire à la manifestation de la vérité. Cette notion ne se réduit pas à la caractérisation des infractions poursuivies. Elle s’étend aux circonstances de la commission de celles-ci susceptibles d’avoir une influence sur l’appréciation de la gravité des faits [7].

En deuxième lieu, la confiscation du bien doit être prévue par la loi. La condition classique de confiscabilité doit donc être remplie [8].

En troisième lieu, le maintien de la saisie doit être de nature à diminuer la valeur du bien. Les juridictions ont tendance à se prévaloir de leur propre incapacité à conserver le bien dans de bonnes conditions, notamment au service des scellés, pour estimer cette exigence remplie.

Le recours contre la décision de remise à l’AGRASC.

Lorsque la décision est prise par le Procureur de la République, elle est notifiée « par tout moyen aux personnes ayant des droits sur le bien, si celles-ci sont connues, et aux personnes mises en cause » [9]. Elle peut être contestée dans les cinq jours suivant sa notification par déclaration au greffe du tribunal ou à l’autorité qui a procédé à la notification [10]. Le recours est porté devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel [11].

S’agissant d’une ordonnance du juge d’instruction, prise d’office ou sur réquisitions du ministère public, celle-ci est notifiée « notifiée au ministère public, aux parties intéressées et, s’ils sont connus, au propriétaire ainsi qu’aux tiers ayant des droits sur le bien » [12].

Elle peut être déférée à la chambre de l’instruction de la cour d’appel dans les dix jours suivant sa notification sur simple requête déposée au greffe du tribunal [13].

Sont notamment considérées comme des parties intéressées dont l’appel est recevable la personne à qui est imputé la libre disposition du bien remis [14] ou l’associé de la personne morale propriétaire du bien [15]. La chambre de l’instruction statue nécessairement de manière collégiale, le Président n’ayant pas compétence pour se prononcer seul [16].

Les délais et l’exercice des voies de recours contre la décision de remise à l’AGRASC sont suspensifs [17].

La contestation portera sur la réunion des conditions cumulatives autorisant la remise à l’AGRASC aux fins d’aliénation, et notamment la condition de confiscabilité, que l’appelant soit mis en cause dans l’enquête ou l’information judiciaire ou tiers à la procédure. Si la chambre criminelle de la Cour de cassation a exclu tout contrôle de proportionnalité au regard du droit de propriété en matière de contentieux de remise à l’AGRASC [18], un tel contrôle peut être réalisé sur invocation au regard du droit au respect à la vie privée et familiale [19].

L’arrêt de la chambre de l’instruction et ses suites.

Lorsque le recours prospère, la chambre de l’instruction de la cour d’appel infirme la décision, ce qui conduit à ne pas remettre le bien à l’AGRASC pour aliénation mais n’entraîne pas pour autant la restitution du bien. La restitution peut être demandée dans le cadre de la contestation d’une décision de remise prise par le procureur de la République [20]. Elle peut être refusée lorsque le bien est susceptible de confiscation ou que la restitution pourrait faire obstacle à la manifestation de la vérité [21].

Une telle demande de restitution est en revanche exclue lorsqu’il s’agit de contester une ordonnance rendue par un juge d’instruction [22], ce que la chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l’occasion de justifier sans convaincre [23]. En l’état du droit et de la jurisprudence, une demande de restitution auprès du juge d’instruction devra donc nécessairement suivre un arrêt d’infirmation d’une ordonnance de remise à l’AGRASC lorsque tel est l’objectif final de l’auteur de la contestation, ce qui est en pratique presque toujours le cas.

En cas d’arrêt confirmatif, le bien est remis à l’AGRASC. S’il est procédé à sa vente, réalisée par l’AGRASC ou, à sa demande, par l’administration chargée des domaines [24], le produit de celle-ci sera consigné [25] à la Caisse des dépôts et consignations [26].

Les articles 41-5, alinéa 2, et 99-2, alinéa 2 du Code de procédure pénale combinés disposent que ce produit est restitué au propriétaire du bien aliéné qui en fait la demande en cas de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe, d’acquittement ou lorsque la peine de confiscation n’est pas prononcée. Le propriétaire du bien est informé de son droit à restitution par le procureur de la République dès le classement sans suite ou dès que la décision mettant fin à la procédure devient définitive [27].

Lorsque la remise avait été décidée par le ministère public, le propriétaire dispose de deux mois à compter de la notification de son droit à restitution pour exercer ce droit [28]. Le procureur de la République

« lui délivre alors une attestation au vu de laquelle il peut demander à la Caisse des dépôts et consignations que les sommes déposées lui soient versées sans délai, augmentées, le cas échéant, des intérêts échus » [29].

Lorsque la remise avait été ordonnée par le juge d’instruction, le propriétaire dispose de six mois pour demander la restitution au procureur de la République qui, si les conditions de restitution lui semblent remplies, délivrera l’attestation susmentionnée [30]. Dans le cas contraire, sa décision de refus de délivrer l’attestation pourra être contestée devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel ou son président dans un délai d’un mois suivant la notification [31].

Matthieu Hy
Avocat au Barreau de Paris
Spécialiste en droit pénal et droit des saisies pénales et confiscations
www.matthieuhy.com
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[1C.pr.pén., art.41-5, al.1.

[2C.pr.pén., art.99-2, al.1.

[3C.pr.pén., art.41-5, al.1 et 99-2, al.1.

[4C.pr.pén, art.41-5, al.2.

[5Art.99-2, al.2.

[6C.pr.pén. art.41-5, al.5 et 99-2, al.5.

[7Crim., 15 septembre 2021, n°21-80.814 ; Crim., 23 novembre 2022, n°22-80.950.

[8Pour une illustration : Crim., 14 avril 2015, n°14-80.896.

[9C.pr.pén., art.41-5, al.5.

[10Idem.

[11Idem.

[12C.pr.pén., art.99-2, al.5.

[13C.pr.pén., art.99-2, al.5, 99, al.5 et 186, al.4.

[14Crim., 22 mars 2023, 22-82.943.

[15Crim., 7 septembre 2022, n°22-80.678.

[16Crim., 15 décembre 2021, n°21-80.411.

[17C.pr.pén., art.41-5, al.5 et 99-2, al.5.

[18Crim., 13 juin 2018, n° 17-82.278.

[19Crim., 1er juin 2023, n°22-86.463.

[20C.pr.pén., art.41-5, al.5.

[21Crim., 6 novembre 2019, 18-86.921.

[22L’article 99-2, al.5 du Code de procédure pénale ne donne pas ce pouvoir à la chambre de l’instruction.

[23Crim., 11 mai 2022, n°21-85.420.

[24C.pr.pén., art.R54-9.

[25Contrairement à l’article 41-5, al.2 du Code de procédure pénale, l’article 99-2 du même code fixe une durée de consignation de dix ans.

[26C.pr.pén., art.R15-33-66-2, al.2 et R15-41-2, al.1er.

[27C.pr.pén., art.R15-33-66-3, al.1er et R15-41-3, al.1er.

[28C.pr.pén., art.R15-33-66-3, al.2.

[29Idem.

[30C.pr.pén., art. R15-41-3, al.1er et 2.

[31C.pr.pén., art. R15-41-3, al.2 et 41-4, al.2.

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