La copropriété confrontée à l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Par Charles Dulac, Avocat.

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Explorer : # expropriation # indemnités # copropriété # droit public

Loin de chercher une confrontation, les juges tentent au contraire de concilier les intérêts de l’Administration, en matière d’expropriation, et ceux des copropriétaires, régis par le droit de la copropriété.

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Si par fantaisie il fallait imaginer un combat entre le droit public de l’expropriation et le droit de la copropriété, il serait inégal tant le premier triomphe de sa supériorité sur le second. Loin de dire que le droit de la copropriété constitue un droit mineur mais plutôt d’affirmer le caractère exorbitant du droit administratif.
Effectivement, en matière d’expropriation d’utilité publique, une collectivité peut, certes sous conditions, s’arroger la propriété privée pour les besoins de l’intérêt général. De ce fait, même le droit de la propriété, pourtant érigé en droit fondamental, devient dès lors inefficient au regard de la puissance du droit public. Alors que dire pour le droit de la copropriété…et bien, c’est sûr cette problématique que la Cour de cassation a été amenée à raisonner récemment [1].

Liminairement, si l’expropriation par l’administration est fondée sur une notion d’utilité publique, le sentiment d’injustice qu’elle peut provoquer a évidemment conduit le législateur à l’encadrer très fortement. Ce droit a même fait l’objet d’une codification spécifique au sein d’un recueil dénommé très originalement « Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ». Il convient surtout de comprendre qu’il s’agit d’un mécanisme complexe pouvant faire l’objet de nombreux recours par le futur exproprié, à divers stades et autant devant les juridictions de l’ordre administratif (tribunal administratif, cour administrative d’appel et conseil d’Etat) que devant celles de l’ordre judiciaire (tribunal judiciaire, cour d’appel et Cour de cassation).

En détail, l’expropriation est contestable en deux phases. Tout d’abord, une phase administrative. Comme pour le dépôt d’un permis de construire, l’expropriation débute par l’instruction du dossier par l’administration, et ce, avant même d’envisager un quelconque délogement. Durant cette période préalable, le Préfet en charge de l’expropriation doit procéder à une Déclaration d’utilité publique (DUP) et à divers enquêtes sur l’opportunité de cette action. A l’issue de ce processus est rendu un arrêté de cessibilité qui est soumis au juge de l’expropriation, lequel devra ensuite se prononcer et rendre, le cas échéant, une ordonnance d’expropriation. Hormis l’ordonnance d’expropriation, dont le recours relève de la Cour de cassation, la contestation des actes d’instruction se fait devant les juridictions administratives.

Intervient ensuite la seconde phase, cette fois-ci judiciaire. En application des articles L321-1 et L321-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le juge de l’expropriation a pour mission de fixer les indemnités qui peuvent être allouées à la personne expropriée. Or, sur cet aspect, nombre de contentieux existent. C’est par ailleurs ce qui a été excipé dans le cadre de l’arrêt de la Cour de cassation susmentionné en supra [2].

Dans les fait, une société d’Autoroute du sud de la France a obtenu l’expropriation de parties communes d’un immeuble soumis au statut de la copropriété, consistant environ à un tiers des places de stationnement collectif. Le juge de l’expropriation a accordé une indemnité de dépossession au syndicat des copropriétaires mais également une indemnité de dépréciation aux copropriétaires, considérant la perte de valeur marchande significative des logements du bâtiment à hauteur de 20%. La société d’Autoroute a contesté cette décision et la Cour de cassation lui a donné raison.

En tout état de cause, il est certain que le raisonnement des magistrats n’a pas consisté à prôner une quelconque supériorité du droit administratif mais bien de concilier ce droit avec les règles techniques du droit de la copropriété. Tentons donc de comprendre leur motivation et de quelle manière ces derniers ont pioché dans chacun des domaines juridiques.

I. La nature des indemnités accordées à l’exproprié relève du droit de l’expropriation pour cause d’utilité public.

Pour mémoire, l’article L321-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose des indemnités allouées en la matière qui « couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation ».

L’article L321-3 alinéa 1 précise quant à lui la nature des indemnisations :

« Le jugement distingue, notamment, dans la somme allouée à chaque intéressé, l’indemnité principale et, le cas échéant, les indemnités accessoires en précisant les bases sur lesquelles ces diverses indemnités sont allouées ».

Il faut déduire de ce texte que le juge de l’expropriation peut accorder trois types de dommages-intérêts :

  • Une indemnité principale qui est, en générale, celle de dépossession correspondant à la valeur intrinsèque du bien exproprié estimée par la cession d’un bien identique ;
  • Une indemnité de remploi qui équivaut quant à elle à une quote-part de l’indemnité principale afin d’indemniser la réinstallation de l’exproprié ;
  • Une indemnité accessoire qui vise à réparer le reste des préjudices, tels que les frais de déménagement, une perte de matériel… mais également la dépréciation d’un bien.

Au cas particulier, dans son arrêt du 16 mars 2023, la Cour de cassation n’a pas contesté la réalité d’un préjudice direct, matériel et certain pour le syndicat des copropriétaires. A ce titre, un préjudice de dépossession avait été établi et, même, une dépréciation de la valeur des parties communes. En outre, la réalité d’un préjudice subi par les copropriétaires du fait de la perte de valeur de leur bien n’a pas été contesté, alors même que l’expropriation concernait des parties communes.

En réalité, c’est le droit de la copropriété qui est venu contredire l’action du syndicat en faveur des copropriétaires. Pour le comprendre, il faut savoir que « le juge de l’expropriation prononce des indemnités distinctes en faveur des parties qui les demandent à des titres différents » [3].

II. La qualité pour réclamer les indemnités en cas d’expropriation relève du droit de la copropriété.

Comme indiqué précédemment, il n’est pas contesté la réalité d’un préjudice pour un copropriétaire dont la valeur marchande de son logement serait dépréciée du fait de l’expropriation des parties communes de son immeuble. Le droit de la copropriété a depuis longtemps consacré le caractère indissociable entre les parties privatives et la quote-part de partie commune y étant attachée [4].

De même, la jurisprudence a consacré a plusieurs reprises le caractère direct et certain du préjudice subi par le copropriétaire considérant

« alors que l’indemnisation du syndicat des copropriétaires pour l’expropriation de parties communes n’exclut pas nécessairement celle de chaque copropriétaire pour la dévalorisation de la partie privative de son lot » [5].

En revanche, la qualité à agir ne dépend aucunement des règles de l’expropriation. Pour les magistrats, il suffit simplement d’appliquer le droit de la copropriété :

  • L’indemnité concerne la dépossession des parties communes ou leur moins-value : dans ce cas, le syndicat des copropriétaires est compétent pour mener l’action. S’il n’est pas à proprement dit propriétaire des parties communes, il est le gardien et l’indemnité sera répartie sur l’ensemble des copropriétaires au prorata de leurs tantièmes ;
  • L’indemnité concerne la dépréciation des logements privatifs : il importe peu que cette dernière ait été générée du fait de l’expropriation des parties communes. Le droit de la copropriété ne confère aucune qualité au syndicat des copropriétaires pour agir en revendication de droits privatifs. Il reviendra donc à chaque copropriétaire d’ester en justice pour solliciter des dommages-intérêts. Une action collective peut évidement être envisagée dès lors qu’elle n’est pas faite au nom du syndicat des copropriétaires.

En conclusion, en matière d’expropriation d’une partie commune, les magistrats concilient les impératifs du droit public, relativement à la nature des indemnités pouvant être accordées, et les règles du droit de la copropriété, notamment sur la qualité du requérant qui revendique une indemnité. Il n’est dès lors nulle confrontation entre les règles de l’expropriation pour cause d’utilité publique et le droit de la copropriété. En revanche, les décisions judiciaires reflètent la complexité de ces deux droits et une technicité qui imposent, dans ces situations, de recourir à un conseil juridique.

Charles Dulac
Avocat au Barreau de Paris
contact chez dulac-avocat.com

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Notes de l'article:

[1Cass., Civ.3ème, 16 mars 2023, n°22-11.429.

[2Cass., Civ.3ème, 16 mars 2023, n°22-11.429.

[3Article L321-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

[4Article 1, I, alinéa 2 de la Loi du 10 juillet 1965.

[5Cass. Civ. 3ème, 11 octobre 2006, n°05-16.037.

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