Coupe ratée, teinture loupée, cheveux brûlés, réaction allergique : quelle responsabilité pour le coiffeur ?

Par Sylvie Personnic, Avocat.

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Explorer : # responsabilité contractuelle # obligation de sécurité # devoir d'information # indemnisation des préjudices

Les raisons d’en vouloir à son coiffeur ne manquent pas. Pourtant, toutes n’engagent pas sa responsabilité mais celui-ci pourra être tenu d’indemniser le préjudice subi par son client en cas d’atteinte à son intégrité physique.

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I- La réglementation nationale et européenne.

Avant le décret du 23 juin 2000, l’article R5221 du Code de la santé publique prévoyait qu’il était interdit aux coiffeurs d’appliquer, sans avoir procédé au préalable à la touche d’essai, les produits définis dans une liste fixée par arrêté du ministre chargé de la santé après avis du Conseil supérieur d’hygiène publique de France.

Ce texte a cependant été abrogé et il n’est donc plus obligatoire de tester le produit utilisé sur une partie des cheveux.

Le coiffeur est juste tenu d’informer ses clients et de les mettre en garde sur l’utilisation des produits utilisés et les risques d’effets secondaires, conformément aux dispositions de l’article L111-1 du Code de la consommation.

La directive européenne relative aux produits cosmétiques (76/768/CEE) n’impose pas non plus la touche d’essai. En 2009, la Commission européenne, s’appuyant sur le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs a cependant décidé, pour réduire le risque d’allergies cutanées en réaction à des teintures capillaires, d’en diminuer les concentrations autorisées en PPD (p-phénylènediamide) et PTD (diaminotoluène-2,5), réservés à l’utilisation par des professionnels. Il a également été interdit d’utiliser l’hydroquinone dans les colorants d’oxydation capillaire.

II- La responsabilité contractuelle du coiffeur.

1. Un devoir d’information et de conseil.

L’article L111-1 du Code de la consommation définit l’étendue des obligations du professionnel sur l’information que le professionnel doit fournir au consommateur : il s’agit notamment des caractéristiques essentielles du bien ou du service, du prix, … et l’identification du professionnel.

L’article L111-2 du Code de la consommation prévoit que

« Tout professionnel prestataire de services doit avant la conclusion du contrat et, en tout état de cause, lorsqu’il n’y pas de contrat écrit, avant l’exécution de la prestation de services, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du service ».

Ainsi, tout coiffeur a un devoir d’information et de conseil envers sa clientèle et doit, avant toute application de produits capillaires, prévenir son client des éventuels risques et effets secondaires possibles. Un diagnostic préalable du cheveu doit lui permettre de l’alerter son client contre l’usage de certains soins ou substances qui seraient inadaptées ou susceptibles d’abîmer son cuir chevelu ou son cheveu. Il en est de même pour les défrisages, les permanentes et autres services délicats pour lesquels le coiffeur, en sa qualité de professionnel, est tenu de donner toutes les informations nécessaires sur les effets et risques de ces techniques.

Mieux vaut pour le coiffeur refuser une prestation sur une chevelure trop abîmée ou trop fine plutôt que de risquer de porter préjudice à un client. En cas de litige, il appartient au professionnel de prouver qu’il avait informé préalablement son client des risques.

2. Une obligation de moyen.

L’article 1231-1 du Code civil dispose que :

« Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ».

L’inexécution du contrat donne donc lieu au paiement de dommages-intérêts. Encore faut-il définir l’étendue de l’obligation à laquelle est tenu le coiffeur.

Il convient d’ores et déjà d’exclure les situations où la prestation réalisée ne convient pas au client.

En effet, dans ce cas, le coiffeur n’est tenu qu’à une obligation de moyen et non de résultat, ce qui signifie qu’il doit tout mettre en œuvre pour satisfaire les besoins de son client, mais qu’il n’engage pas sa responsabilité si la prestation demandée (coupe, coloration, balayage, lissage, permanente …), ne convient pas une fois effectuée. Dans ce cas, la prestation est due, doit être réglée.

Le coiffeur n’engagera sa responsabilité que si ce dernier a commis une faute dans l’exécution de sa prestation, en refusant volontairement d’effectuer la prestation effectuée, par exemple un brushing au lieu d’une coupe puisqu’il n’a pas tout mis en œuvre pour exécuter son obligation principale.

Il pourrait être également tenu pour responsable si la prestation a été réalisée par un apprenti, sans surveillance, ce qui constituerait alors une faute professionnelle à l’égard du client.

3. Une obligation de sécurité.

Dans le cadre de l’exécution de sa prestation, le coiffeur qui utilise des produits de teinture ou de lissage est tenu d’assurer la sécurité corporelle du créancier de l’obligation.

Les produits utilisés sont en effet susceptibles de porter atteinte à l’intégrité physique du client. Se pose alors la question de savoir si l’obligation du coiffeur ne serait pas dans cette hypothèse une obligation de moyen renforcée ?

Conformément aux règles de la responsabilité contractuelle, est exigée que soit rapportée la preuve d’une faute en relation de causalité avec le préjudice allégué.

Ainsi la Cour d’appel de Paris [1] a pu considérer que le salon de coiffure avait commis une faute engageant sa responsabilité en n’ayant pas suffisamment « pris les précautions normalement attendues d’un professionnel qui doit apprécier la réaction du cheveu au cours de l’application ».

Dans l’affaire ayant donné lieu à sa décision en date du 13 mars 2017, la Cour d’appel de Colmar [2] retient que

« la cliente n’avait jamais auparavant fréquenté ce salon de coiffure ; que le coiffeur devait en conséquence prendre toutes précautions avant de poser un produit présentant des risques pour l’intégrité corporelle de la cliente ; qu’il peut être attendu d’un coiffeur professionnel qu’il sache faire la différence entre un cheveu décoloré et un cheveu coloré, sur une cliente dont les photographies montrent une chevelure d’un blond manifestement artificiellement soutenu ; qu’aucun élément ne permet de plus d’établir que la cliente avait été informée du risque résultant de la pose du produit sur un cheveu décoloré ; qu’il doit être tiré de ces fait que le défaut de sécurité de la chose, cause du dommage, est imputable à une faute de la part du coiffeur professionnel, qui engage de ce fait sa responsabilité contractuelle  ».

L’examen de la jurisprudence plus récente permet cependant de mettre en évidence que la faute du professionnel sera considérée comme suffisamment caractérisée dès que la réalité du dommage est établi et qu’il n’existe aucun doute sur le fait que le dommage est intervenu à l’occasion de la prestation.

Les juges du fonds retiennent alors la responsabilité du coiffeur qui ne justifie d’aucune cause exonératoire [3] ou qui n’est pas en mesure de justifier du respect des consignes d’utilisation des produits [4].

Dans un arrêt en date du 29 septembre 2022, la Cour d’appel de Nîmes [5] a rappelé que le professionnel était tenu à une obligation de sécurité et de justifier du respect des consignes d’utilisation des produits.

Dans cette affaire soumise à la cour, il s’agissait d’une cliente qui, de retour chez elle après une décoloration/coloration des cheveux effectuée au sein d’un salon de coiffure, avait ressenti de violentes démangeaisons du cuir chevelu. Les juges d’appel retiennent que la responsabilité contractuelle du salon est engagée et constatent notamment que les lésions de types brûlures au niveau du cuir chevelu sont apparues dans les 24 heures de la prestation réalisée par le coiffeur ce qui est suffisant pour démontrer le lien causal entre la survenance des blessures et la décoloration /coloration effectuée par le professionnel. La responsabilité du salon s’est donc trouvée engagée, ce dernier n’ayant pas été en mesure de rapporter la preuve qu’il avait respecter les consignes d’utilisation des produits utilisés.

Sans évoquer l’obligation de sécurité du coiffeur, la Cour d’appel de Grenoble [6] a également jugé que

« contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, la concordance temporelle entre l’intervention du coiffeur et la manifestation des blessures de Madame B, ainsi que la parfaite compatibilité entre le prix de 116,13 euros correspondant à la prestation de coloration et l’usage de produits chimiques relevant de ce type d’intervention de nature à occasionner des brulures et, enfin, la correspondance entre le siège de la brûlure et la prestation du coiffeur sont de nature à établir sans discussion un lien de causalité entre la prestation fautive du coiffeur et le dommage subi par l’appelante  ».

Pour Madame Lambert-Faivre, l’obligation de sécurité est fondée sur l’obligation naturelle de ne pas porter atteinte à l’intégrité physique de la personne humaine.

L’obligation de sécurité est celle qui impose au débiteur de veiller sur la sécurité d’autrui et de le préserver d’éventuels dommages. Il doit ainsi veiller à ce que l’exécution du contrat ne soit pas l’occasion de causer une atteinte dommageable ; il s’agit d’une obligation accessoire à l’obligation principale [7] : « l’objectif est le même : favoriser la réparation des dommages en dispensant la victime de la charge de la preuve d’une faute », sur la base du seul constat de l’atteinte à son intégrité corporelle.

La conséquence de l’existence de cette obligation de sécurité est que la survenance du dommage engage la responsabilité du professionnel, par un allègement significatif voire même une disparition de l’obligation, pour le requérant à l’indemnisation, de rapporter la preuve d’une faute du professionnel, à l’origine de son préjudice.

III- Les postes de préjudices indemnisables.

L’indemnisation du préjudice doit être intégrale et pour ce faire, le client victime d’une atteinte à son intégrité corporelle pourra solliciter la réparation de tous ses préjudices, à condition de pouvoir en justifier auprès des tribunaux.

Il pourra être nécessaire parfois d’avoir recours à une mesure d’expertise mais celle-ci n’est pas nécessaire si les éléments transmis sont suffisants pour permettre aux juges de se prononcer sur l’évaluation des préjudices. Seuls les cas les plus graves, en présence notamment de séquelles, pourront justifier le recours à une expertise médicale.

Le plus souvent il s’agira donc d’indemniser des postes de préjudices temporaires comme les dépenses de santé restées à charge, le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances physiques et morales endurées, le préjudice esthétique. Il peut cependant arriver que des séquelles subsistent justifiant ainsi l’indemnisation d’un déficit fonctionnel permanent ainsi qu’un préjudice esthétique permanent.

D’autres frais pourront également être discutés au titre des frais divers comme le recours à des extensions de cheveux ou à l’achat d’une perruque, dont le remboursement peut être tout à fait justifié au regard de l’importance des lésions occasionnées à la chevelure.

L’examen de la jurisprudence permet de mieux appréhender les indemnités mises à la charge des salons de coiffure :

Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision de la Cour d’appel de Paris le 26 septembre1997, la cliente avait constaté, quelques jours après l’application du traitement capillaire, une perte de cheveux qui s’était accentuée de manière importante.

La cour lui a alloué la somme globale de 30.000 francs soit l’équivalent d’une somme de 4.573 euros.

Dans son arrêt du 13 mars 2017, la Cour d’appel de Colmar, a alloué à la requérante qui avait dû se faire poser des extensions suite à la prestation qui avait entraîné un effilochage de ses cheveux, les sommes suivantes :
- 700 euros au titre du préjudice moral
- 318 euros à titre de remboursement des extensions de cheveux.

Avec cette précision que la requérante ne sollicitait pas d’indemnisation au titre du déficit fonctionnel temporaire ni au titre du préjudice esthétique, ce que la cour ne pouvait donc pas lui allouer.

Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision de la Cour d’appel de Grenoble le 11 janvier 2022, la cliente avait présentée des brûlures sur le sommet du crâne sur une surface de 10 cm de diamètre, des plaies suintantes pendant plusieurs semaines et une zone cicatrisée sans repousse de cheveux.

La cour lui a alloué les sommes suivantes :
- 5 000 euros au titre des souffrances endurées
- 2 000 euros au titre du préjudice esthétique.

Dans le cas d’espèce ayant été jugé par la Cour d’appel de Nîmes le 29 septembre 2022, une expertise médicale avait permis de déterminer l’étendue des préjudices subis par la cliente du salon, laquelle avait présenté de violentes démangeaisons à la suite de la décoloration de ses cheveux.

La cour lui a alloué les sommes suivantes :
- 6,90 euros au titre des dépenses de santé non remboursées
- 1 265 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire
- 1 200 euros au titre du préjudice esthétique temporaire
- 2 200 euros au titre des souffrances endurées.

Les tribunaux ont donc régulièrement à connaître de procédure engagée à l’encontre des salons de coiffure dont la responsabilité peut être engagée en cas d’atteinte à l’intégrité corporelle du client.

Les victimes peuvent au préalable tenter d’obtenir une indemnisation amiable de leur préjudice mais se voient souvent opposer par le professionnel une fin de non-recevoir au motif qu’il ne serait pas responsable de la fragilité du cheveu ou d’une éventuelle allergie.

Dans ce cas, une procédure judiciaire peut tout à fait être envisagée dès lors que la victime n’a de son côté commis aucune faute de nature à concourir à son dommage ou qu’aucun fait exonératoire viendrait exclure la responsabilité du professionnel.

Sylvie Personnic, Avocat
Barreau du Val de Marne
http://www.sylvie-personnic-avocat.com/

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Notes de l'article:

[1CA Paris, 25ème chambre Section B, 26 septembre 1997, n° 95/23425.

[2CA Colmar, 3ème ch. Civ., Sect. A, 13 mars 2017, n° 15/05739.

[3CA Montpellier 1ère chambre section B 13 janvier 2016 n° 13/07060.

[4CA Nîmes, 1ère ch. 29 septembre 2022, n° 21/00320 Juris Data 2022-016960.

[5CA Nîmes, 1ère ch. 29 septembre 2022, n° 21/00320 Juris Data 2022-016960.

[6CA Grenoble 1ère chambre civile, 11 janvier 2022 n° 21/00579.

[7Le fabuleux destin de l’obligation de sécurité - Sophie Hocquet-Berg, professeur à l’université de Lorraine.

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