I. Coureur ou start-upper, même combat !
L’activité du « start-upper » est une forme d’amalgame entre la liberté et la soumission. Il en va de même pour le coureur de fond.
Liberté d’entreprendre et d’agir pour le premier mais soumission aux investisseurs et au marché.
Liberté de courir pour le second, peu importe la distance, peu importe l’endroit mais la soumission au chronomètre est toujours présente.
Et pourtant, ni pour l’un ni pour l’autre, il n’y a de lien de subordination avec quiconque.
Le start-upper agit en tant que chef d’entreprise, investi d’un pouvoir de direction tandis que le coureur est le plus souvent un amateur, totalement libre d’organiser ses entrainements et la participation aux compétitions. Seuls les coureurs professionnels, sous contrat de travail subissent un lien de subordination. Il existe en effet un dispositif méconnu qui permet aux sportifs de combiner une pratique sportive de haut niveau et l’acquisition de compétences professionnelles. Il peut s’agir d’un contrat de travail aménagé, conclu avec une entreprise privée, le CIP ou d’une Convention d’Aménagement à l’Emploi, CAE, conclu avec des structures publiques. (Lire : "Ces dispositifs qui permettent aux sportifs de travailler et de s’entrainer. Par Élise Baron, Guillaume Ghestem, Avocats et Victoria Dreze, Juriste.").
Ces cas sont minoritaires, notre propos s’attachera donc plutôt à envisager l’absence de lien de subordination pour établir un parallèle entre le coureur de fond et le start-upper.
II. Une absence de lien de subordination.
Le contrat de travail n’est pas défini par le Code du travail mais par la jurisprudence : pour l’INSEE, un contrat de travail existe dès lors qu’une personne (le salarié) s’engage à travailler, moyennant rémunération, pour le compte et sous les ordres et le contrôle d’une autre personne (l’employeur) dans une entreprise privée. Il s’agit ainsi d’une convention par laquelle, une personne (le salarié) s’engage moyennant une rémunération en argent (le salaire) à exercer une certaine activité (le travail), au profit d’une autre personne (l’employeur) sous l’autorité de laquelle le salarié se place (le lien de subordination). Le lien de subordination est source d’une jurisprudence abondante : c’est ce lien que l’URSSAF ou l’inspection de travail iront chercher pour prouver une situation de travail dissimulé et envisager une requalification en CDI (Jurisprudence Uber, Deliveroo, "Un tournant à la Cour d’appel de Paris : la condamnation de Deliveroo pour travail dissimulé. Par Jonathan Sellam, Doctorant.").
Le coureur comme le start-upper sont des personnes affranchies de lien de subordination... avec tout ce que cela suggère de positif ou négatif !
Bien qu’il n’y ait pas d’impératif officiel, étrangement le coureur et le start-upper se soumettent à leurs propres injonctions : gagner quelques minutes ou secondes pour l’un / lever des fonds et pérenniser l’activité pour l’autre. Il faut apprendre à perdre, à gagner sur les autres et le temps.
Pour établir une comparaison éclairante, nous décrirons les étapes de vie de la start-up en les comparant aux différentes phases de préparation et de course.
III. Un programme d’entrainement intensif.
1. Avant l’épreuve/avant la levée de fonds.
Voici venu le temps de l’entrainement. Avant de démarrer il est indispensable de définir des objectifs. Ces objectifs sont SMART (spécifique, mesurable, atteignable, réaliste et temporellement définis) ou ne sont pas !
Il s’agit de déterminer en amont le temps à atteindre sur la course et de se fixer un « tempo » (temps au kilomètre, qui va varier en fonction du relief).
De la même façon le start-uppeur définit des objectifs à court, moyen et long terme pour son activité. Ces objectifs concernant le CA, l’innovation, le recrutement, la localisation…
2. Pendant l’épreuve/pendant la levée de fonds.
Quand le temps de l’épreuve arrive, le stress et son lot de désagréments est bien présent : peur au ventre, tremblements…
De nombreux risques peuvent être identifiés tant pour le coureur que le start-upper
[1].
Pour le coureur, le risque est de vouloir aller trop vite, trop loin et donc de se blesser. Le risque psychologique d’être confronté à un échec est également présent.
Pour le start-upper, le risque est de ne pas être en mesure d’assurer la pérennité financière de l’entreprise, risque de pertes en capital, la peur d’être contraint de procéder à des licenciements.
Les deux pourront néanmoins compter sur des ressources intrinsèques/extrinsèques.
En effet, lorsqu’on s’est préparé, le risque est connu et peut être évité, mais il reste une part d’inconnu.
La course peut être comparée à une due diligence [2] qui est une période « incertaine ».
En compétition comme dans les affaires, tout peut arriver… Qui aurait pu prévoir la crise financière de 2008, la disparition du géant Andersen, entreprise phare du secteur mais démantelée à l’issue de l’affaire Enron ? Le confinement de 2020... Personne.
En revanche, bien qu’imprévisibles, ces événements peuvent être anticipés.
L’incertitude, c’est l’impossibilité de prédire les événements avec précision. Et précisément, le start-upper comme le coureur sont soumis à cette incertitude : combien de temps pour achever le parcours ? Combien de temps pour boucler le tour de table du financement ?
L’incertitude peut nécessiter de faire des choix pour réduire les risques : choix de réduire l’allure, choix du ravitaillement, choix des chaussures. Pour le start-upper, choix des collaborateurs, des partenaires, de la stratégie…
Il existe deux causes à l’incertitude : extrinsèque (événement économique, sanitaire (environnement), incidents ou accidents) ou intrinsèque (doutes sur ses capacités, ses compétences). Tout cela rend l’avenir incertain, imprévisible. Il est en de même lors d’une course : blessure, dénivelée, parcours roulant ou non, intempéries, météo…
Crozier et Friedberg, (théorie de l’acteur stratégique) peuvent nous apporter des clés de compréhension : celui qui maîtrise, les incertitudes et notamment l’une d’entre elles, essentielle pour le fonctionnement de l’entreprise, est en quelque sorte irremplaçable. Il réussit alors à créer une dépendance des autres à son égard. Par exemple, garder des informations pour soi permet de créer une zone d’incertitude. Dans une organisation ou lors d’une course, la maitrise d’une information donnera également "une longueur d’avance".
Concrètement, le coureur tout comme le start-upper peuvent compter sur leurs ressources propres inhérentes à leur personnalité, leur éducation, croyances, capacité de résilience. Ils peuvent aussi compter sur les autres et sur leur environnement proche.
Tout comme le champion Kipchoge qui a abandonné la course au 30ᵉ kilomètre lors du marathon des JO de Paris, porté et acclamé par son public, le start-upper est souvent encouragé par ses proches [3].
L’incertitude de la course comme celle de la vie de l’entreprise crée du stress car les individus redoutent des situations anxiogènes.
Les individus ont besoin d’être rassurés et aspirent à davantage de prévisibilité : l’organisation de la charge de travail, des définitions claires des rôles et des missions sont des éléments qui rassurent.
Les conséquences d’un échec sont multiples tant pour le coureur que pour le chef d’entreprise :
- 1. Sentiment d’impuissance ;
- 2. Frustration ;
- 3. Baisse de motivation, parfois pouvant aller jusqu’à la démission, ou à l’apparition de conflits pour le start-upper, l’abandon ou la mauvaise performance à venir pour le coureur.
Les entreprises doivent développer l’anticipation et apprivoiser le changement pour limiter l’incertitude et le stress. Elles doivent faire preuve d’agilité. Il en est de même pour le coureur qui doit visualiser sa course avant le départ. Il faut faire preuve de résilience pour accepter les échecs et en tirer les conclusions salvatrices.
3. Après l’épreuve/la levée de fonds.
C’est là que commence le succès ou l’échec. Si les objectifs ont été atteints ce sera le moment de célébrer la victoire. À l’inverse, si les objectifs n’ont pas été atteints, il faudra envisager une prise de recul, un diagnostic des causes d’échec.
Il s’agit alors d’une période à la fois délicate (porteuse de risques physiques et psychologiques) et essentielle dans une dynamique de progression, d’amélioration continue. L’estime de soi est mise à mal. Il peut y avoir une volonté de "se refaire" et de reprendre trop vite l’entrainement (avec risque de blessure) ou adopter une stratégie de développement risqué pour la start-up.
De nombreuses ressources sont mobilisables pour poursuivre une carrière de sportif de haut niveau ou d’entrepreneur. Il s’agit de l’écosystème proche (partenaires financiers, environnement professionnel, familial, amical).
Conclusion.
Pour conclure, une compétition pour le coureur, une levée de fonds pour le start-upper permettent de tirer des enseignements des épreuves et de s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue.
La résilience dépend de l’âge, d’éléments de contexte également qu’il faudra prendre en compte et de la possibilité d’anticiper les risques.
Une grosse différence à relever en revanche entre le coureur et le start-upper. Le genre est essentiel en matière de course (les contraintes physiques sont différentes) ce qui est discriminant contrairement au monde professionnel où la discrimination est interdite par le Code du travail (Article L1132-1) !