Travailleurs indépendants : savoir se surpasser, savoir se préserver pour réussir, à l'image des coureurs de fond.

Travailleurs indépendants : savoir se surpasser, savoir se préserver pour réussir, à l’image des coureurs de fond.

Caroline Diard, Professeur Associé au département Management des Ressources Humaines et Droit des Affaires TBS Education,
et Patrice Terramorsi, Maître de Conférences HDR en sciences de gestion et du management Università di Corsica Pasquale Paoli

Cet article vise à offrir des repères et des outils aux travailleurs indépendants afin de leur permettre d’allier dépassement de soi et bien-être. Il questionne pour cela la manière avec laquelle les coureurs de fond se préparent à l’inconnu, gèrent le stress et adaptent leur investissement.

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Dans une publicité restée célèbre, des collaborateurs à bout de force renonçaient, les uns après les autres, à suivre le rythme effréné imposé par un wonder boy, à l’énergie inépuisable. La bande-son laissait alors entendre une incessante question : « qu’est ce qui fait marcher Tapie » [1] ?

40 ans après, cette mise en scène apparait quelque peu surannée. Pourtant, le mythe l’entrepreneur « super-héros » persiste. Ses nouvelles figures sont désormais des « startuppers », des « créateurs iconoclastes », des « disrupteurs de génie », qui seraient capables, grâce à des capacités surhumaines, de changer la face du monde.

Cette mythologie entrepreneuriale n’est pourtant pas dénuée de risques [2].

Adhérer à celle-ci revient à faire peser sur un dirigeant idéalisé l’entière responsabilité du succès et bien souvent de l’échec d’une action. Or, si son rôle est primordial, celui-ci ne peut être considéré comme l’origine de toutes choses. En effet, l’activité de près de deux millions travailleurs indépendants, si elle se caractérise par un exercice autonome, elle n’en demeure pas moins soumise à des contraintes qui ne sauraient être totalement maitrisables. Ces derniers, loin d’imposer leur volonté au monde, sont ainsi en permanence engagés dans une réflexion afin d’identifier, d’apprécier et d’arbitrer entre ce « qu’il conviendrait de faire », « ce qu’ils pourraient faire » et ce « qu’ils voudraient faire ». L’isolement apparent, quoique parfois bien réel, est ainsi indissociable d’un intense conversation entre soi (ses ressources, ses objectifs, ses envies) et la réalité.

Quel autre modèle pourrait alors éclairer l’action des indépendants ?

Plutôt que des « super héros », pourquoi ne pas s’inspirer de ces héros du quotidien, parfois héros du dimanche matin, certes plus modestes, mais plus ancrés dans le réel, que sont les coureurs de fond. Comme les travailleurs indépendants, ils doivent conjuguer atteintes d’objectifs, prise en compte des autres, de l’environnement et de soi. Le rapprochement entre ces deux mondes, pas si éloignés, peut ainsi être source d’enseignements.

1. Se préparer à l’inconnu, sans dépasser ses limites.

Avant de s’engager dans une épreuve, il est indispensable de définir ses objectifs. Il s’agit de déterminer en amont le temps à atteindre sur la course et de se fixer un « tempo » en fonction des efforts que l’on est capable de mobiliser notamment dans la phase de préparation. Or, ces repères n’existent que par rapport à des expériences comparables que celles-ci soient issues de sa propre pratique ou de celle des autres.

Savoir se situer pour définir ses objectifs et son plan de progression représente ainsi une compétence fondamentale tant pour le coureur de fond que pour le travailleur indépendant. Pour cela échanger au sein d’une communauté, que celle-ci soit physique ou virtuelle, constitue un atout majeur. En effet, l’isolement associé au désir de (trop) bien faire conduit souvent à une situation de surentrainement [3] source d’épuisement physique et psychologique.

Ce syndrome, d’épuisement est connu dans le monde professionnel sous le nom de burnout. Il se caractérise par trois aspects fondamentaux qui doivent alerter : 1) Un sentiment d’être vidé de ses ressources physiques et émotionnelles ; 2° Une insensibilité vis-à-vis de l’environnement, une déshumanisation de la relation à l’autre ; 3) Un sentiment de non accomplissement personnel (dépréciation de ses résultats, sentiment de gâchis). Face à cela, le test dit Maslach Burn out Inventory (MBI) [4] peut permettre d’anticiper des situations potentiellement problématiques.

2. Accepter l’incertitude en gérant le stress.

Quand le temps de l’épreuve arrive, malgré toute la minutie portée à la préparation, l’incertitude est nécessairement au rendez-vous. Il est en effet, impossible de prédire avec une précision absolue l’ensemble des événements et leur enchaînement. Il s’agit alors moins de dérouler un récital que d’être en mesure de s’adapter à l’inconnu. Or, l’incertitude génère du stress. Si le stress dit aigu, ponctuel, est parfois considéré comme du « bon stress » conduisant notre organisme à être plus réactif face à une menace notamment (augmentation de la fréquence, cardiaque, de la température, de glucocorticoïdes). L’inscription de cet état de stress dans la durée est une cause avérée d’atteinte à la santé physique et psychologique (troubles du sommeil, trouble de la concentration, troubles musculaires, maladies cardiovasculaires, dépression, notamment) [5]. Il est alors être essentiel pour le coureur, comme pour le travailleur indépendant d’apprécier son état de stress. L’échelle développée par Cohen, S., Kamarck, T. & Mermelstein, R. (1983) [6] peut pour cela s’avérer très utile. Pour réduire ce stress, la diminution de l’incertitude apparait une voie privilégiée. Celle-ci peut passer par la fixation d’objectifs plus adaptés grâce à une juste appréciation de ses capacités sur la base des réalisations déjà effectuées. Ainsi, loin de résider au fond de soi-même, la réponse est souvent à rechercher avec les autres.

3. Tirer profit de l’incertitude en s’adaptant en permanence.

Dans une organisation ou lors d’une course, la maitrise d’une information donnera "une longueur d’avance". Elle permettra de réaliser des choix plus adaptés à la réalité rencontrée choix de l’allure, choix du ravitaillement, pour le coureur ; choix des collaborateurs, de clients, de chantiers, etc. pour l’indépendant. Ces choix présentent une particularité souvent laissée dans l’ombre de la plupart des programmes et des manuels : ils sont toujours provisoires. Certes une stratégie, ou une intention stratégique peut être élaborée, mais celle-ci sera questionnée sans cesse au cours des 42km, comme tout au long de l’activité de l’indépendant. Les repères sont en permanence validés, questionnés, reconstruits. La capacité à développer un regard réflexif revêt alors une compétence essentielle [7]. Le temps de la course est une forme de parenthèse pendant laquelle l’esprit vagabonde. C’est parfois un temps d’introspection mais surtout un temps de solitude avec soi-même. Une confrontation avec ses forces et ses faiblesses. C’est aussi un moment suspendu de prise de recul.

En marge du monde, le coureur, comme l’indépendant se remet en question à chaque pas.

4. Savoir quand et comment poursuivre ou s’arrêter.

Période souvent ignorée des ouvrages spécialisés, la gestion psychologique de « l’après course » est pourtant essentielle. Si courir un marathon est déjà un accomplissement important, enchainer les marathons durant plusieurs années, à l’instar de la vie de nombreux indépendants, est encore un autre exercice.

Inévitablement arriveront, un jour, les questions : « pourquoi continuer à m’infliger cela ? », « Pourquoi tant d’efforts ? », « Est-ce que cela vaut vraiment le coût ? ». Le plaisir s’efface alors parfois et seule reste seule une souffrance dénuée de sens.

L’estime de soi que celle-ci ait été confortée ou affectée par la précédente épreuve peut être un moteur, mais risque de biaiser l’appréciation de la situation et de conduire à l’engagement de trop, celui que l’on n’arrive plus à assurer. Avant d’en arriver à cette situation extrême, les recherches de Johannes Siegrist pourraient utilement être mobilisées à la fois par les coureurs et les travailleurs indépendants. Ces travaux démontrent en effet qu’un déséquilibre entre les efforts consentis (ex. contraintes de temps, responsabilités assumés), les récompenses retirées (ex. rémunération, estime de soi, sécurité de l’emploi) associé à un surinvestissement (incapacité à se détendre, à s’éloigner du travail) conduisent à termes à l’émergence de problèmes physiques et psychologiques. Un simple questionnaire permet cependant d’apprécier cette situation d’équilibre ou de déséquilibre [8].

Conclusion.

Pour conclure, plus que des super-héros idéalisés, les travailleurs indépendants développent leurs activités dans le cadre d’un parcours de vie construit engagement personnel et collectif, isolement et dialogue, connu et inconnu, efforts et récompenses. Si le dépassement de soi peut être une source de motivation, le bien-être devrait en être la mesure. Pour cela, il n’est pas inutile, de se poser régulièrement les questions suivantes issues de l’indice de bien-être de l’Organisation mondiale de la Santé :

Au cours des deux dernières semaines :

Je me suis senti(e) bien et de bonne humeur :
(5) Tout le temps ; (4) La plupart du temps ; (3) Plus de la moitié du temps ; (2) Moins de la moitié du temps ; (1) De temps en temps ; (0) Jamais

Je me suis senti(e) calme et tranquille :
(5) Tout le temps ; (4) La plupart du temps ; (3) Plus de la moitié du temps ; (2) Moins de la moitié du temps ; (1) De temps en temps ; (0) Jamais

Je me suis senti(e) plein(e) d’énergie et vigoureux(se) :
(5) Tout le temps ; (4) La plupart du temps ; (3) Plus de la moitié du temps ; (2) Moins de la moitié du temps ; (1) De temps en temps ; (0) Jamais

Je me suis réveillé(e) frais(che) et dispos(se) :
(5) Tout le temps ; (4) La plupart du temps ; (3) Plus de la moitié du temps ; (2) Moins de la moitié du temps ; (1) De temps en temps ; (0) Jamais

Ma vie quotidienne a été intéressante :
(5) Tout le temps ; (4) La plupart du temps ; (3) Plus de la moitié du temps ; (2) Moins de la moitié du temps ; (1) De temps en temps ; (0) Jamais

Pour calculer votre score, ajoutez les chiffres correspondant aux cases que vous avez cochées et multipliez la somme par quatre. Vous obtiendrez alors un score compris entre 0 et 100. Un score inférieur à 50 est souvent utilisé pour identifier une absence de bien-être.

Coureur de fond et travailleurs indépendants doivent ainsi savoir se surpasser mais aussi savoir se préserver car courir c’est aussi une succession d’échecs et de succès…

…Et si la course permettait d’apprendre à échouer pour connaitre le succès entrepreneurial ?

Caroline Diard, Professeur Associé au département Management des Ressources Humaines et Droit des Affaires TBS Education,
et Patrice Terramorsi, Maître de Conférences HDR en sciences de gestion et du management Università di Corsica Pasquale Paoli

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Notes de l'article:

[2Comme le démontrent les travaux de l’observatoire Amarok qui investigue les questions relative à la santé physique et mentale des travailleurs non-salariés (TNS) : http://www.observatoire-amarok.net/sites/wordpress/

[7Fronty J., (2017). « La réflexivité : une soft skill du manager de demain ? » Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, (HS) (Supplement), 73-90. https://doi.org/10.3917/rips1.hs04.0073

[8Niedhammer I, Siegrist J, Landre M et al. (2000) Etude des qualités psychométriques de la version francaise du modèle du deséquilibre efforts/récompenses. Psychometric properties of the French version of the Effort-Reward Imbalance model. Revue d’Epidemiologie et de Santé Publique 48(5), 419-437.

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