Covid 19 et paiement des loyers commerciaux : premières décisions de justice.

Par Caroline Tomasi-Serre, Avocat.

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Explorer : # loyers commerciaux # covid-19 # force majeure # bonne foi

Les mesures de fermetures administratives adoptées par les pouvoirs publics dans le cadre du premier confinement ont provoqué de nombreux impayés de loyers commerciaux.
En réponse à cette situation inédite, plusieurs moyens de défense sont invoqués par les preneurs : force majeure, perte partielle de la chose louée ou encore manquement du bailleur à son obligation de délivrance, lequel justifierait la mise en œuvre de l’exception d’inexécution par le preneur et la suspension du paiement des loyers.
Analyse des décisions de justice relatives à l’exigibilité des loyers commerciaux afférents au deuxième trimestre 2020.

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L’analyse des décisions de justice relatives à l’exigibilité des loyers commerciaux afférents au deuxième trimestre 2020 récemment rendues permet d’apporter quelques éléments d’appréciation concernant la réception de ces arguments par les juges.

1. Le 10 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Paris rend un jugement sur le fond.

TJ Paris, 10 juillet 2020, n°20/04516.

Dans cette décision, le tribunal rappelle que l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 n’a pas pour effet de suspendre le paiement des loyers et que le contrat de bail doit être exécuté de bonne foi par les parties.

En l’espèce, le preneur avait fondé sa défense sur le report de l’exigibilité des loyers de la période dite juridiquement protégée qu’il déduisait de l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, sans avancer de moyen de défense tiré de la force majeure ni d’un quelconque manquement du bailleur à ses obligations.

Le Tribunal judiciaire rappelle ainsi que l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 n’a pas pour effet de suspendre l’exigibilité des loyers échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 qui est dû par le preneur.

Le tribunal précise cependant que :

« les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce dont il résulte que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives ».

En l’occurrence, le tribunal relève que :
- le bailleur n’a pas exigé le paiement immédiat du loyer et des charges dans les conditions prévues au contrat mais a proposé un aménagement ;
- le preneur n’a jamais formulé de demande claire de remise totale ou partielle des loyers et/ou charges dus, ni sollicité d’aménagement de ses obligations sur une période bien déterminée.

En considération de ces éléments, le tribunal judiciaire de Paris considère que le bailleur a exécuté ses obligations de bonne foi compte tenu des circonstances et fait droit à sa demande de paiement.

2. Le 26 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Paris rend deux ordonnances de référés.

TJ Paris, 26 octobre 2020, n°20/55901 et 20/53713.

Dans ces ordonnances, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris :
- reprend la motivation du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 10 juillet 2020 concernant l’absence de suspension des loyers et l’exécution du bail de bonne foi ;
- ajoute que le moyen tiré de la force majeure est inopérant car il s’agit d’une obligation de somme d’argent ;
- précise que le contexte sanitaire ne saurait générer en lui-même un manquement à l’obligation de délivrance du bailleur.

Cependant, le juge considère que le moyen tiré de l’exception d’inexécution

« doit être étudié à la lumière de l’obligation pour les parties de négocier de bonne foi ».

Sur ce point, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris relève que, dans les deux cas d’espèce :
- le secteur d’activité du preneur a été fortement perturbé économiquement par le confinement décidé par les pouvoirs publics et les restrictions des déplacements de sa clientèle ;
- le preneur justifie par des échanges de courriers s’être rapproché de son bailleur pour tenter de trouver une solution amiable.

Compte tenu de ces éléments, le juge considère que la demande en paiement des loyers afférents au deuxième trimestre 2020 est sérieusement contestable et dit n’y avoir lieu à référé sur celle-ci.

Il conviendra donc pour le bailleur de formuler sa demande au fond.

3. Le 4 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer rend une ordonnance de référé.

TJ Boulogne-sur-Mer, 4 novembre 2020, n°20/00205.

Dans cette ordonnance, le juge des référés du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer :
- relève que les moyens tirés de la force majeure, du manquement du bailleur à son obligation de délivrance et de l’exception d’inexécution font actuellement l’objet d’analyses juridiques divergentes ;
- ajoute que la réponse à ces questions ne relève pas de l’évidence et ne peut être tranchée que par le juge du fond ;
- considère que l’obligation du preneur d’acquitter les loyers et charges contractuellement dus entre le 15 mars 2020 et le 10 mai 2020 se heurte donc à une contestation sérieuse mais que le surplus de la dette est incontestable.

Le bailleur devra donc formuler sa demande devant le juge du fond.

4. L’arrêt rendu sur le fond par la cour d’appel de Grenoble.

CA Grenoble, 5 novembre 2020, n° 16/0453.

Dans cet arrêt rendu sur le fond, la cour d’appel de Grenoble rejette les moyens tirés de l’exception d’exécution et de la force majeure et fait droit à la demande de paiement formulée par le bailleur.

Plus précisément, la cour d’appel de Grenoble :
- rejette le moyen tiré de l’exception d’inexécution en précisant que « le bail commercial n’a pas subordonné le paiement des loyers à une occupation particulière des locaux ni à aucun taux de remplissage » ;
- rejette le moyen tiré de la force majeure, au motif que « il n’est pas justifié par l’intimée de difficultés de trésorerie rendant impossible l’exécution de son obligation de payer les loyers. Cette épidémie n’a pas ainsi de conséquences irrésistibles.
En outre, si la résidence dans laquelle se trouvent les lots donnés à bail constitue bien une résidence de tourisme définie par l’article R321-1 du code du tourisme, ainsi que l’a rappelé le bail commercial dans son exposé, l’article 10 du décret du 11 mai 2020 modifié le 20 mai 2020, tout en interdisant l’accueil du public dans les résidences de tourisme, a prévu une dérogation concernant les personnes qui y élisent domicile, de sorte que toute activité n’a pas été interdite à l’intimée, laquelle ne produit aucun élément permettant de constater que l’activité qu’elle exerce ne correspond qu’à la location de locaux d’habitation proposés à une clientèle touristique qui n’y élit pas domicile, pour une occupation à la journée, à la semaine ou au mois, comme prévu à l’article R321-1 précité. Ce moyen ne peut qu’être rejeté.
 »
- la Cour d’appel de Grenoble reste cependant silencieuse sur le moyen tiré de la perte partielle de la chose louée.

Caroline Tomasi-Serre
Avocat au Barreau de Paris
www.cts-avocat.fr

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  • par S.D , Le 30 décembre 2020 à 02:16

    Chère Maître,

    Travail de qualité très instructif, concis, et ludique !

    La solution pour les commerçants, hors avenant, pourrait être le mécanisme de révision triennale des loyers commerciaux à leur valeur locative ? Si la révision, organisée par le C Com, lorsqu’elle est à la hausse a un plafond, elle n’a pas de plancher à la baisse. Ne pourrait-on pas en effet considérer que la Covid, qui a un impact objectivement fort sur le chaland en raison des mesures restrictives de liberté (couvre-feu, confinement), impacte très fortement à la baisse les facteurs locaux de commercialité justifiant ainsi une révision forte à la baisse du loyer pour le fixer à sa valeur réelle ?

    Bien à vous.

  • cher Maître,
    votre recoupement des premières décisions de justice est très intéressant.
    Pour mes clients propriétaires de logements dans des résidences de tourisme, à différents endroits du territoire national, j’avais, à l’époque, procédé aux mêmes analyses et j’étais parvenu aux mêmes conclusions. La période COVID 19 ne relève pas de la force majeure ( il n’y avait pas de décision en ce sens dans la jurisprudence antérieure sur des problématiques identiques) et le bailleur, de son côté, assume son obligation de délivrance sans pouvoir être tenu de l’état d’urgence sanitaire, qui ne figure pas dans les conditions contractuelles qui pourraient justifier d’une suspension de l’exécution de paiement des loyers.
    Pour autant, le bailleur peut accepter, de bonne foi, un aménagement, soit sur le paiement des loyers "retenus" par le preneur, soit négocier un avenant pour maintenir la bonne qualité des rapports contractuels futurs. Mais certaines entreprises de tourisme ont présenté les choses de façon biaisée, laissant penser que les bailleurs devaient supporter leur part du risque, en leur tordant le bras, alors même que, pour l’essentiel, ce ne sont que des investisseurs privés et particuliers.
    La réflexion était aussi de bon sens : quand le preneur réalise une belle année en termes d’occupation et de perception des montants des locations aux clients, il ne propose pas de verser un surloyer à son bailleur !
    Meilleurs sentiments
    Maître Marc DONNEZ

    • par Marcel , Le 24 novembre 2020 à 22:06

      Cher maître
      Je partage entièrement votre commentaire, à la seule différence que le commerçant, en contractant un bail commercial entend faire prospérer ses affaires et donc réaliser des profits. C’est dire donc que ses années commerciales prospères ne sauraient générer des surloyers car cela participe de l’essence même du contrat commercial. Par contre, tout élément négatif (covid 19) qui vient perturbé le cours normal du contrat commercial doit être analysé avec circonspection et faire objet d’avenants dans ce sens.
      Ainsi on ne devrait pas raison en termes de : "" années commerciale prospère pas de surloyers ,donc années de covid-19 pas de révisons"
      Toutefois je partage les autres aspects de votre commentaire.
      Très cordialement

    • par Miramas , Le 23 décembre 2020 à 23:15

      Bonjour Maître

      Dans le jugement en référé rendu le 8 décembre à Toulon le juge c’est déclaré compétent puisqu’il a commandé le locataire à payer le loyer et rejeté la force majeure.
      Bien qu’au départ le locataire n’a jamais refusé de payer les loyers mais demandé un échéancier qui lui a été refusé.
      Le juge a estimé que le locataire aurait dû demander un prêt pour régler son loyer !!!!!!

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