La dérogation au repos dominical accordée aux commerces de l’ameublement viole-t-elle le droit positif ?

Dominique Antoine CASANOVA
AVOCAT
Email : casanova.dominique chez orange.fr

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Explorer : # repos dominical # commerce de détail # droit du travail

Les démêlés judiciaires des enseignes bravant l’interdiction d’employer leurs salariés le dimanche ont remis à l’ordre du jour la question de l’ouverture dominicale des commerces de détail.
L’alternance politique intervenue au printemps 2012 empêche cependant que se réalise la promesse faite par le précédent gouvernement d’étendre, voire de généraliser, les dérogations au principe, toujours en vigueur, du repos dominical, alors même que, selon les divers sondages réalisés depuis un an, une majorité constante de Français se déclare favorable à une ouverture des magasins le dimanche.

La question se pose donc aujourd’hui aux acteurs économiques, autres que ceux bénéficiant déjà de dérogations, de savoir s’il ne leur serait pas possible d’obtenir par la voie contentieuse ce qui n’a pu être obtenu par la voie parlementaire.

-

I. État du droit relatif au repos dominical :

Plus qu’aucun autre jour de la semaine, le dimanche a une origine religieuse et, plus particulièrement, chrétienne. Son nom même l’indique puisque le mot « dimanche » a pour étymologie dies dominicus, c’est à dire «  jour du seigneur  », celui où les croyants sont invités à délaisser le travail pour la prière.

Depuis son institution, au troisième siècle de notre ère, par l’Empereur Constantin qui venait d’ériger le christianisme en religion d’Etat jusqu’à son abrogation parlementaire en 1880, le repos dominical et l’interdiction corrélative de faire travailler des salariés ont donc constitué, du moins en théorie, une obligation légale.

Cette obligation avait certes, depuis déjà plusieurs décennies, été sérieusement mise à mal par les excès de la révolution industrielle qui devaient d‘ailleurs, on le sait, donner naissance aux idées d’un certain Karl Marx, quand elle fut abrogée par une loi de 1880 ayant pour objectif de lutter contre la réaction monarchiste qui menaçait la toute jeune Troisième République.

L’obligation légale du repos dominical a été finalement réintroduite dans le droit positif par la loi du 13 juillet 1906.

Toujours en vigueur, cette disposition de la loi du 13 juillet 1906 constitue actuellement l’article L. 3132-3 du code du travail qui dispose de manière particulièrement concise : «  Dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche ».

Comme le souligne une circulaire du 24 mai 1994, d’une manière qui se révèle, en l’espèce, prémonitoire, « le respect de cette réglementation constitue à la fois une règle protectrice des salariés et une condition de maintien de l’égalité entre commerçants » (c’est justement à cette égalité que porte atteinte la dérogation accordée aux seuls commerces de détail de l’ameublement).
C’est pourquoi les dérogations à cette règle posée actuellement par l’article L. 3132-3 (anciennement L. 221-9) du code du travail demeurent-elles strictement encadrées tant par le législateur et le pouvoir réglementaire que par la Cour de cassation.

Aussi bien, si l’ancien article L. 221-9 du code du travail, celui-là même qui a été modifié par l’article 11 de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite loi Chatel, donnait à certaines catégories d’établissements, commerciaux ou non, le droit de donner son repos hebdomadaire à leur personnel par roulement et ainsi la possibilité d’ouvrir le dimanche, dressait-il en même temps une liste limitative de ces établissements.

Dans sa rédaction antérieure à l’article 11 de la loi Chatel, l’article L. 221-9 du code du travail disposait en effet :
« Sont admis de droit à donner le repos hebdomadaire par roulement les établissements appartenant aux catégories suivantes :
1. Fabrication de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate ;
2. Hôtels ;
3. Débits de tabac ;
4. Magasins de fleurs naturelles ;
5. Hôpitaux, hospices, asiles, hôpitaux psychiatriques, maisons de retraite, dispensaires, maisons de santé, pharmacies ;
6. Etablissements de bains ;
7. Entreprises de journaux et d’information ;
8. Entreprises de spectacles ;
9. Musées et expositions ;
10. Entreprises de location de chaises, de moyens de locomotion ;
11. Entreprise d’éclairage et de distribution d’eau et de force motrice ;
12. Entreprises de transport par terre autres que les chemins de fer ; entreprises de transport et de travail aériens ;
13. Entreprises d’émission et de réception de télégraphie sans fil ;
14. Espaces de présentation et d’exposition permanente dont l’activité est exclusive de toute vente au public, réservés aux producteurs, revendeurs ou prestataires de services ».

La simple lecture de cette liste d’établissements autorisés à ouvrir le dimanche permet immédiatement de constater que la plupart de ces quatorze catégories, telles que les établissements nécessaires à la santé publique, les entreprises d’éclairage et de distribution d’eau et de force motrice ou encore les entreprises de transport, étaient et restent soumises à la nécessité technique d’un fonctionnement continu, incluant donc le dimanche.

Et lorsque ce n’est pas rigoureusement le cas, comme dans celui des restaurants, des débits de boissons, des débits de tabac, des magasins de fleurs naturelles, des entreprises de spectacles ou encore des musées et expositions, la dérogation à l’obligation du repos dominical est alors justifiée par l’intérêt qui s’attache à ce que toute vie sociale ne s’arrête pas complètement le dimanche.

Le respect du caractère limitatif de ces quatorze dérogations était au demeurant et reste strictement contrôlé par la Cour de cassation.

Tel était donc l’état du droit, quasiment invariable depuis plus d’un siècle, lorsqu’a été votée la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite loi Chatel, dont l’article 11 dispose : « Après le 14° de l’article L. 221-9 du code du travail, il est inséré un 15° ainsi rédigé : 15° Etablissements de commerce de détail d’ameublement ».
Point n’est besoin de souligner qu’à la différence de celle exercée par les quatorze catégories d’établissements depuis longtemps autorisés à ouvrir le dimanche, l’activité exercée par les commerces de détail d’ameublement n’est soumise à aucune obligation technique de continuité et ne joue pas davantage de rôle spécifique dans l’animation sociale du dimanche.

Au rebours de cette dernière pétition, on peut certes considérer que l’ouverture des magasins le dimanche était, et reste, un facteur d’animation sociale non négligeable mais force eut alors été de constater que c’était le cas de tous les commerces de détail et qu’il convenait ainsi d’abroger purement et simplement l’article L. 22I-5 du code du travail.

Tel n’a cependant pas été le choix du législateur, lequel a préféré allonger de manière discriminatoire, au profit des seuls commerces de détail d’ameublement, la liste des dérogations à cette règle du repos dominical.

Depuis la loi Chatel, dont l’article 11 a donc étendu le droit d’ouverture dominicale aux commerces d’ameublement de détail dans les conditions que l’on vient d’indiquer, sont intervenus :
-  d’une part, l’entrée en vigueur, le 1er mai 2008, du nouveau code du travail,
-  ainsi, d’autre part, que le vote et la promulgation de la loi n° 2009-974 du 10 août 2009, dite loi Maillié.

La loi Maillié a, tout d’abord, légalisé les ouvertures dominicales jusqu’alors pratiquées illégalement dans une quinzaine de zones commerciales autour de Paris, Lille et Marseille (notamment à Plan-de-Campagne, à côté d’Aix-en-Provence) en créant des « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » (PUCE).

Mais la loi Maillié a aussi élargi les possibilités de dérogation au repos dominical :
-  d’une part, à l’intérieur des « communes d’intérêt touristique ou thermales »,
-  d’autre part, aux « zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente ».

***

Le contexte juridique général étant posé, revenons à la question précise de la dérogation permanente au repos dominical accordée aux établissements de commerce de détail d’ameublement, et aux jardineries, ainsi qu’à la question qu’elle pose : est-il possible aux commerces concurrents ne bénéficiant pas de cette dérogation de la remettre en cause sur un plan contentieux et, par là même, de manière plus politique, de souligner les incohérences du contexte juridique actuelle ?

II. Quels recours exercer à l’encontre de la dérogation accordée aux seuls commerces d’ameublement ?

II-1. La saisine du juge d’une question prioritaire de constitutionnalité de l’article L. 3132-12 du code du travail ou d’une exception d’illégalité de l’article R. 3132-5 du même code :

Depuis le vote en janvier 2008 de la loi Chatel, est intervenue une réforme du contrôle de constitutionnalité des lois. Votée par le Congrès le 23 juillet 2008, cette réforme constitutionnelle a ajouté au texte de la Constitution un article 61-1 qui prévoit une saisine populaire du Conseil constitutionnel, dénommée "question prioritaire de constitutionnalité".

Cet article 61-1 de la Constitution est ainsi libellé : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article ».

Cette réforme constitutionnelle, qui est entrée en vigueur le 1er mars 2010, permet ainsi l’abrogation, à l’initiative de tout justiciable et postérieurement à sa promulgation, de toute disposition législative jugée anticonstitutionnelle.
On soulignera d’abord, en tant que de besoin, que ni la formulation d’une question prioritaire de constitutionnalité de l’article L. 3132-12 du code du travail ni l’articulation d’une exception d’illégalité de l’article R. 3132-5 du même code ( ) ne seraient recevables devant le juge pénal éventuellement saisi d’une ouverture dominicale illégale, puisque la poursuite ne serait probablement pas fondée sur ces dispositions législatives et réglementaires mais sur la violation des dispositions précitées de l’article L. 3132-3 du même code aux termes : « Dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche ».

Or ce texte, contrairement à l’exception bénéficiant aux commerces de détail de l’ameublement, ne semble pas directement affecté par l’illégalité ou l’inconstitutionnalité précédemment évoquées.

II-2. Demander au Premier ministre de rapporter les dispositions de l’article R.3132-5 du code du travail ?

Il serait, en revanche, possible de demander au Premier ministre de rapporter les dispositions de l’article R.3132-5 du code du travail sur le fondement de son obligation d’abrogation d’un règlement illégal.

On sait en effet qu’aux termes de l’article 16-1 de la loi n° 200-321 du 12 avril 2000 modifiée relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : « L’autorité administrative est tenue, d’office ou à la demande d’une personne intéressée, d’abroger expressément tout règlement illégal ou sans objet, que cette situation existe depuis la publication du règlement ou qu’elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. »

Il y aurait donc lieu, dans un premier temps, d’adresser au Premier ministre une demande visant à l’abrogation de la dérogation litigieuse, puis, dans le cas très probable d’un refus, de déférer ce refus au juge de l’excès de pouvoir compétent, à savoir le Conseil d’État.


II-3 Le recours devant le Conseil d’Etat contre le probable refus d’abrogation du Premier ministre.

II-3-1. La question prioritaire de constitutionnalité de l’article L. 3132-12 du code du travail.

A l‘occasion de l’instance visant à faire sanctionner le refus d’abrogation de l’article R. 3132-5 du code du travail qui autorise les commerces d’ameublement à employer leurs salariés le dimanche, pourrait être soulevée la question de la constitutionnalité de l’article L.3132-12 du code du travail auquel renvoie explicitement l’article R.3132-5.

Elle pourrait être posée devant le Conseil d’Etat en articulant notamment deux griefs tirés :

1. d’abord, du principe d’égalité face à la loi : le Conseil constitutionnel considère selon une jurisprudence bien établie « que [ce] principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (C.C., 2010-1 QPC, 28 mai 2010). Or, en l’espèce, on voit mal en quoi les commerces d’ameublement seraient dans une situation différente des autres commerces de détail. On ne voit pas non plus en quoi la dérogation qui leur est accordée correspondrait à un quelconque intérêt général…

2. ensuite, de l’incompétence négative du législateur. En effet, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de rappeler l’obligation pour le législateur d’épuiser sa compétence en relevant : « d’une part, qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu’il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi » (C.C., 2008-564 DC, 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés).

Or, en s’abstenant d’indiquer les principes généraux qui permettraient au pouvoir règlementaire de distinguer les commerces de détail dont « l’ouverture [dominicale] est rendu[e] nécessaire par (…) les besoins du public » de ceux dont l’ouverture dominicale n’est en revanche pas indispensable à la satisfaction des besoins du public, alors même que l’article L. 3132-3 du même code réaffirmait simultanément le principe du repos dominical, le législateur n’a pas épuisé la compétence qu’il tient des 5ème et 6ème alinéas du 3ème paragraphe de l’article 34 de la Constitution, entachant ainsi l’article L. 3132-12 du code du travail d’une incompétence négative. Le législateur a également confié à tort au Gouvernement le soin de définir de manière discrétionnaire quels sont les établissements dont l’ouverture dominicale serait requise par les besoins du public.

II-3.2. Sur l’illégalité de l’article R. 3132-5 du code du travail :

Rappelons qu’en l’état actuel du droit, la dérogation permanente du repos dominical ne résulte plus de l’article 11 de la loi Chatel, mais de l’article, à caractère réglementaire, R. 3132-5 du nouveau code du travail.
Trois griefs pourraient, notamment, être invoqués à l’encontre de l’article R.3132-5 du code du travail.

1. Le défaut de base légale.

L’article R. 3132-5 du code du travail est, en effet, dépourvu de base légale en tant qu’il accorde une dérogation au repos dominical au profit des commerces de détail d’ameublement et aux jardineries sur le fondement des dispositions de l’article L. 3132-12 du même code dont on vient de voir qu’elles sont anticonstitutionnelles et qu’elles ne peuvent donc fonder la dérogation dont s’agit.

2. L’incompétence :

Appliquant au règlement le grief sus-analysé, tiré par le Conseil constitutionnel de l’incompétence négative du législateur, le Conseil d’État considère que le pouvoir règlementaire ne peut compétemment, comme en l’espèce, empiéter sur les compétences dévolues à ce même législateur par l’article 34 de la Constitution (C.E., Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique CRII GEN, 24 juillet 2009, n° 305315).

Ainsi les dispositions de l’article R. 3132-5 du code du travail sont-elles entachées d’incompétence puisqu’elles instituent de manière discrétionnaire une dérogation permanente au repos dominical au profit des établissements de commerce de détail d’ameublement ainsi, d’ailleurs, qu’au profit des jardineries :

- sans qu’aient été préalablement définis par le législateur les principes permettant de distinguer les établissements dont « l’ouverture [dominicale] est rendu[e] nécessaire par (…) les besoins du public » de ceux dont l’ouverture dominicale n’est en revanche pas indispensable à la satisfaction des besoins du public,
- et sans que soit donc justifié en quoi ces deux catégories de commerces de détail requièrent-elles davantage que tous les autres de rester ouverts le dimanche.

3. La rupture du principe d’égalité :

La jurisprudence du Conseil d’État sur ce point est assez voisine de celle du Conseil constitutionnel puis qu’elle a inspiré cette dernière, le Conseil d’État considérant traditionnellement :

- d’une part, que le principe d’égalité ne s’applique qu’à des situations identiques,
- et, d’autre part, que le principe d’égalité ne s’oppose pas non plus à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire traite de manière différente des situations identiques…si cette différence de traitement est justifiée par l’intérêt général et si elle n’est pas manifestement disproportionnée au regard des objectifs susceptibles de la justifier.

Tel n’est pas le cas de l’espèce puisque :

- d’une part, tous les commerces de détail satisfont les besoins du public et, à cet égard, ils sont donc tous dans une situation identique,
- et que, d’autre part, aucune considération d’intérêt général ne justifie que seuls les graineteries, les fleuristes, les jardineries et les marchands de meubles bénéficient d’une dérogation permanente au repos dominical.

III. Un recours indemnitaire ?

Concomitamment aux recours en annulation du refus du Premier ministre d’abroger l’article R. 3132-5 du code du travail, pourraient également être utilement introduits devant le Conseil d’État des recours contre le probable refus d’indemnisation de l’autorité administrative des préjudices subis par les établissements commerciaux n’ayant pas bénéficié, comme les marchands de meubles et les jardineries, d’une dérogation à l’obligation légale du repos dominical.

Quel pourrait-être le fondement juridique de ces recours ?

Principalement, la responsabilité de l’État du fait des lois.

Ce principe a été véritablement consacré par l’arrêt Ax’ion (C.E., Société coopérative agricole AX’ION, 2 novembre 2005, n° 266564).

L’engagement de cette responsabilité sans faute de l’administration, pour rupture de l’égalité face aux charges publiques, reste néanmoins, malgré l’avancée jurisprudentielle significative qu’a constitué l’arrêt Ax’ion, soumise à ses deux conditions aussi traditionnelles que restrictives : il faut que le préjudice allégué ait revêtu un caractère à la fois anormal et spécial.

Un préjudice est anormal lorsqu’il dépasse les limites des inconvénients normaux de la vie sociale, s’il s’agit d’un simple particulier ou usager de l’administration, ou des risques inhérents aux activités dans le secteur concerné, s’il s’agit d’un opérateur économique.

Un préjudice est spécial lorsqu’il va affecter :
- soit une catégorie particulière de citoyens ou usagers de l’administration d’une façon disproportionnée par rapport aux autres citoyens,
- soit une catégorie d’opérateurs économiques d’une même façon disproportionnée par rapport aux autres opérateurs.

La jurisprudence applicable à cette question de savoir si un préjudice présente à la fois ce caractère anormal et spécial, nécessaire pour qu’il soit indemnisé, se révèle particulièrement « nuancée » , selon l’euphémisme utilisé par la doctrine pour indiquer que le juge tranche au cas par cas et qu’il est par conséquent très difficile sinon impossible de valablement présenter la synthèse d’une telle jurisprudence et donc de savoir de manière certaine si le préjudice qui pourrait être invoqué en l’espèce serait reconnu.

Il appartiendrait donc aux établissements commerciaux requérants d’établir le caractère anormal et spécial des préjudices que leur a causés l’article 11 de la loi Chatel en tant qu’opérateurs économiques.

La réponse à la question relative, au moins au caractère anormal du préjudice dont on pourra utilement rechercher l’indemnisation est de toute évidence largement tributaire du quantum de ce préjudice, quantum qu’il appartiendra à chaque opérateur économique de déterminer pour son propre compte.

Le caractère spécial du préjudice paraît, quant à lui, beaucoup plus facile à établir dans certains cas dès lors, comme c’est le cas, par exemple, pour les grands magasins parisiens ou certaines enseignes nationales de bricolage, puisque ces établissements distribuent également de l’ameublement et de nombreux articles ménagers et de décoration à l’instar de grandes enseignes de meubles comme Ikea ou Conforama.

IV. Conclusion :

Outre une action préalable de sensibilisation des autorités administratives ou politiques compétentes, visant à soumettre à l’attention de celles-ci d’une part, les griefs d’ordre juridique qui viennent d’être analysés à l’encontre des articles L. 3132-12 et R. 3132-5 du code du travail du code du travail et, d’autre part, le préjudice conséquemment subi par établissements de commerce de détail autres que les marchands de meuble et les jardineries, une action contentieuse pourrait être envisagée.

Cette dernière nécessiterait :
-  d’une part une demande visant à l’abrogation de la dérogation litigieuse, puis, dans le cas très probable d’un refus, une saisine juge de l’excès de pouvoir compétent, à savoir le Conseil d’État, en se fondant notamment sur les moyens articulés ci-dessus ;
-  d’autre part, l’envoi préalable, au ministre compétent, de requêtes individuelles dans lesquelles le préjudice doit être quantifié ; par la suite, en cas de réponse négative ou d’absence de réponse du ministre, l’introduction d’une action contentieuse devant le juge administratif.

Quelles que soient les chances de succès d’une telle action, dont on ne saurait dire qu’elle serait dépourvue de fondements juridiques sérieux, elle pourrait avoir le mérite de convaincre le législateur, comme le pouvoir réglementaire, de la nécessité d’adopter un régime juridique des ouvertures dominicales plus cohérent, moins discriminatoire et mieux adapté, tant à la situation économique et sociale de notre temps, qu’à la demande, de moins en moins marginale, des salariés.

Dominique Antoine CASANOVA
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