Qu’ils soient de type « trapézoïdal », « dos d’âne », « plateau surélevé », ou « coussin berlinois », les ralentisseurs sont des ouvrages clivants : bien que répondant à des impératifs de sécurité routière, ceux-ci peuvent parfois être vecteurs de nuisances pour les usagers de la voirie (véhicules abimés, risques d’accidents, etc.) ou les riverains (bruits, vibrations endommageant les bâtiments, etc.).
La France compterait près de 450 000 ralentisseurs, ce qui induit mécaniquement un contentieux important dirigé contre les "ralentisseurs illégaux". Dans ce cadre, la question de la différence entre un ralentisseur de type trapézoïdal et un plateau surélevé présente un intérêt particulier.
I. Les règles applicables aux ralentisseurs de type trapézoïdal et dos d’âne.
Les ralentisseurs de type « trapézoïdal » (à la forme de trapèze) et « dos d’âne » (à la forme arrondie) sont des ouvrages régis par les dispositions du décret n°94-447 du 27 mai 1994, lesquelles prévoient les modalités d’implantation et de signalisation de ces équipements.
Par exemple selon ces règles, ces ralentisseurs ne peuvent être implantés :
- en dehors des agglomérations ;
- ailleurs que sur des voies limitées à 30 km/h ;
- sur des voies où le trafic est supérieur à 3 000 véhicules ou 300 poids lourds en moyenne journalière annuelle ;
- sur des voies desservies par des transports publics ; etc.
Ce même décret impose aux constructeurs de ces ouvrages de se conformer aux « normes en vigueur ». En l’occurrence, la norme technique applicable aux ralentisseurs de type dos d’âne et trapézoïdal est la norme technique AFNOR NF P 98-300 du 16 mai 1994 qui en définit les caractéristiques.
Selon cette norme, les dimensions d’un ralentisseur de type trapézoïdal doivent être les suivantes :
- Hauteur : 10 cm (avec une tolérance de 1 cm) ;
- Longueur du plateau : comprise entre 2,50 m et 4 m (avec une tolérance de 5 %) ;
- Pentes des rampants : de 7 % à 10 % ;
- Saillie d’attaque de 5 mm au maximum.
II. Le cas des ralentisseurs de type plateau surélevé.
À l’inverse des précédents ralentisseurs, les plateaux surélevés (ou plateaux traversants) ne font pas l’objet d’une réglementation particulière mais uniquement de recommandations techniques établies par le Centre d’Etudes et d’expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement (dit CEREMA, anciennement CERTU). Celles-ci figurent dans un guide de 2000 réédité en 2010 et intitulé « Coussins et plateaux ».
Le CEREMA décrit ce dispositif de ralentissement comme « une surélévation de la chaussée s’étendant sur une certaine longueur et occupant toute la largeur de la chaussée d’un trottoir à l’autre ».
Les principales recommandations établies pour les dimensions et caractéristiques techniques de ces équipements sont les suivantes :
- Hauteur : 15 cm maximum ;
- Longueur : entre 8 et 30 m ;
- Pente des rampants : 10 % maximum ;
- Saillie d’attaque de 5 mm au maximum.
Les règles de construction sont donc plus souples : il n’est par exemple pas prévu de hauteur prédéfinie mais un maximum à respecter. Autre différence notable, la longueur du plateau surélevé doit être au minimum deux fois plus importante que celle des ralentisseurs de type trapézoïdal.
En raison de ces caractéristiques, les plateaux surélevés permettraient d’obtenir un ralentissement des véhicules moins brutal que les ralentisseurs de type dos d’âne ou trapézoïdal, ce qui justifierait leur utilisation dans des configurations où les ralentisseurs trapézoïdaux sont interdits.
III. Une distinction désormais établie entre ces types de ralentisseurs.
En raison de leur apparente similitude, la question s’est alors posée de savoir si les ralentisseurs de type plateau surélevé n’étaient pas en réalité des ralentisseurs de type trapézoïdal irréguliers, car ne respectant ni les dimensions, ni les conditions d’implantation prescrites par le décret n°94-447 du 27 mai 1994.
La réponse apportée par la doctrine administrative et les juridictions semble aujourd’hui tranchée : les ralentisseurs de type plateau surélevé sont une catégorie de ralentisseurs à part entière et ne peuvent être assimilés à des ralentisseurs de type trapézoïdal.
La principale implication de cette distinction est que les règles d’implantation, de signalisation et de dimensionnement édictées par le décret n°94-447 ne sont pas applicables à un ouvrage pouvant être qualifié de plateau surélevé.
Cette distinction avait déjà été relevée par une réponse ministérielle du 4 février 2014 [1], et un arrêt de 2013 de la Cour administrative d’appel de Bordeaux [2], mais sans que les critères de différenciation retenus entre ces deux types d’ouvrages n’aient été explicités.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 15 juin 2023 n°21LY04262 vient donc une nouvelle fois confirmer que les règles applicables entre ces deux types de ralentisseurs sont différentes et qu’un « un ralentisseur de type plateau (…) ne relève pas des prévisions du décret n° 94-447 du 27 mai 1994 ».
De plus, la juridiction a explicité dans cet arrêt ce qui doit être considéré comme le principal critère de différenciation entre ces types de ralentisseurs, à savoir leur longueur :
« (...) 2. Aux termes de l’article 1er du décret n° 94-447 du 27 mai 1994 : "Les ralentisseurs de type dos d’âne ou de type trapézoïdal sont conformes aux normes en vigueur (…)".
Il résulte de ces dispositions que le décret a vocation à s’appliquer aux seuls ralentisseurs regardés comme relevant d’un de ces deux types, au sens des normes en vigueur. Il doit ainsi être regardé comme renvoyant à la norme AFNOR homologuée NF P 98-300 relative aux ralentisseurs routiers de type dos d’âne ou de type trapézoïdal. Celle-ci précise que, pour être regardé comme de type trapézoïdal au sens des normes en vigueur, un ralentisseur doit avoir un format global correspondant à une hauteur de 10 cm, avec une tolérance de construction d’un cm, une longueur de 2,50 m à 4 m, avec une tolérance de construction de 5 %, la saillie d’attaque du rampant étant inférieure à 0,5 cm et la longueur de chaque saillie étant comprise entre 1 m et 1,4 m. Un ralentisseur d’une longueur ne correspondant pas à ce format ne peut donc être regardé comme étant de type trapézoïdal au sens de ce décret.
3. Il résulte de l’instruction et notamment du constat d’huissier dressé à l’initiative des requérants que la longueur du ralentisseur est de 20,5 m, avec des rampants de 1,30 à 1,40 m. Compte tenu de la longueur du ralentisseur, il ne peut être regardé comme constituant un ralentisseur de type trapézoïdal au sens des normes en vigueur, mais constitue plutôt, ainsi que l’a exactement retenu le tribunal, un ralentisseur de type plateau qui, du fait de sa configuration, ne relève pas des prévisions du décret n° 94-447 du 27 mai 1994. Les moyens invoqués, tous tirés de la méconnaissance de ce décret, sont, en conséquence, inopérants. (...) »
Un ralentisseur d’une longueur ne correspondant pas au « format global » résultant de la norme AFNOR NF P 90-300 ne peut donc être regardé comme étant de type trapézoïdal au sens du décret n°94-447 du 27 mai 1994.
Dans ce type de contentieux, le juge administratif va alors s’attacher à étudier les caractéristiques techniques de l’ouvrage pour déterminer si celui-ci doit être qualifié de ralentisseur de type trapézoïdal ou de plateau surélevé. Dans cette affaire, la circonstance que le ralentisseur litigieux ait une longueur de plus de 20 mètres, et des rampants de 1,30 à 1,40 mètres a conduit la juridiction à écarter la qualification de ralentisseur de type trapézoïdal.
Les arrêts en la matière étant encore rares, la précision apportée par la Cour administrative d’appel de Lyon dans l’arrêt ici commenté est bienvenue et permet de réaffirmer l’existence d’une distinction entre ces deux types d’ouvrages.
IV. L’intérêt de la distinction.
L’intérêt de cette distinction n’est pas théorique puisqu’elle peut potentiellement avoir des incidences financières importantes pour les gestionnaires de voirie lorsque la question de la régularité de l’implantation ou de la conception du ralentisseur sera soulevée.
En effet, si l’ouvrage est qualifié de ralentisseur de type trapézoïdal et qu’il a été implanté ou conçu en méconnaissance des règles du décret n°94-447 du 27 mai 1994, le juge administratif pourra ordonner sa démolition [3].
Tel est le cas si l’ouvrage ne répond pas aux caractéristiques techniques imposées par la norme AFNOR (généralement une hauteur trop importante), ou aux règles d’implantation édictées par le décret (par exemple l’implantation sur une route à la fréquentation supérieure aux seuils prévus par le décret).
Le juge administratif, saisi de conclusions visant à ce que soit ordonnée la démolition de l’ouvrage public irrégulièrement implanté, pourra toutefois étudier une éventuelle régularisation et, si elle est impossible, éventuellement écarter la démolition si celle-ci entraîne une atteinte excessive à l’intérêt général [4].
Le ralentisseur de type plateau surélevé pourra alors être une option de remplacement d’un ralentisseur de type trapézoïdal considéré comme ayant été irrégulièrement implanté [5].
Enfin, si un plateau surélevé n’encourra pas le risque d’être démoli au motif d’une méconnaissance des règles du décret n°94-447 du 27 mai 1994, son implantation n’est naturellement pas exempte du respect de certaines règles.
On peut estimer qu’un tel ouvrage devra être implanté pour répondre à des objectifs de sécurité routière, et ne devra pas engendrer de nuisances qui excéderaient celles que les usagers de la voirie ou les riverains devraient normalement supporter.
Aussi, et bien qu’il ne s’agisse que de recommandations, on préconisera aux constructeurs de plateaux surélevés de respecter au maximum les prescriptions établies par le CEREMA pour ne pas voir leur ouvrage qualifié de ralentisseur de type trapézoïdal irrégulier, ou simplement pour qu’il n’en résulte pas de danger pour les usagers.