Le trafic de stupéfiants est une activité économique, certes illégale, mais qui emprunte le même processus organisationnel que celui d’une activité légale. Toutes les étapes sont réunies, la définition des objectifs, la recherche de fournisseurs, les opérations de recrutement, la prise de parts de marché, le développement du chiffre d’affaires et la distribution de dividendes.
Pour lutter contre le trafic de stupéfiants deux possibilités peuvent être retenues.
La première consiste à s’attaquer à l’offre, en empêchant que le territoire national soit inondé, les produits stupéfiants provenant de pays étrangers. Par ailleurs, en réduisant la demande, voire en la supprimant, les dealers auraient davantage de difficultés à développer leur trafic.
Mais, on pourrait s’interroger sur la responsabilité des protagonistes (dealers/consommateurs) ?
La seconde possibilité repose sur des opérations ponctuelles dans un périmètre géographique déterminé pour démanteler un réseau. Cette seconde solution, séduisante parce qu’elle libère immédiatement la zone, n’apporte pas de solution pérenne. Le réseau se reconstitue rapidement, la demande est toujours présente.
Malheureusement, la stratégie actuelle de lutte contre le trafic de stupéfiants est basée sur le démantèlement des réseaux et non sur une recherche de solution radicale. Cette action a uniquement un impact sur l’organisation humaine, mais aucune influence sur le trafic de stupéfiants lui-même. En effet, l’interpellation des membres du réseau démantelé permettent simplement à d’autres individus de prendre la place des premiers.
La place laissée par la mise hors d’état d’agir des dealers est rapidement comblée, le démantèlement d’un réseau par les services répressifs à en réalité un effet désastreux. Le démantèlement du réseau conduit à une véritable lutte entre les prétendants à la reprise. Cette lutte malheureusement et très souvent s’inscrit dans le sang. L’accroissement du nombre de règlement de compte lié au trafic de stupéfiants est préoccupant. A l’inverse du droit commercial, la prise de possession de « l’entreprise illégale » ne se fait pas à coup d’OPE ou d’OPA, mais par l’usage des armes.
1) La doctrine actuelle de lutte contre le trafic de stupéfiants.
Un réseau de trafic de stupéfiants se caractérise par une organisation humaine de type pyramidale implantée sur un territoire.
Deux étapes peuvent être évoquées. La première, exogène, consiste à rechercher des fournisseurs, pour approvisionner le pays en produits stupéfiants (producteurs), puis à organiser leur acheminement (go fast). La seconde étape, endogène, implique l’organisation de la distribution des produits stupéfiants. Pour cela, le volume de produits importés est stocké, puis divisé pour alimenter les réseaux locaux. Localement, ce volume est encore divisé, mais cette fois en dose pour permettre la vente aux consommateurs. L’argent collecté, le trafic générant des profits considérables, est redistribué par le ou les dirigeants à chaque individu, selon la place occupée dans le réseau par chacun. Il est également possible à chaque niveau du réseau de vendre en quantité plus ou moins importantes des produits stupéfiants. Ce mécanisme a l’avantage pour les grossistes d’éviter le montage d’une organisation tout en minimisant les risques d’être identifiés.
Actuellement, la doctrine de lutte contre le trafic de stupéfiants favorise l’approche locale. Au lieu de circonscrire le trafic global, on se focalise sur un réseau local, plus ou moins important. Le démantèlement débute très souvent à partir d’un renseignement, anonyme. Les enquêteurs doivent ensuite confirmer l’information pour identifier et caractériser le rôle de chaque protagoniste : producteurs, transporteurs, têtes de réseau, distributeurs, vendeurs, guetteurs.
Les enquêteurs disposent de moyens procéduraux importants. Généralement, l’enquête débute par des constatations, pour confirmer l’existence du trafic de stupéfiants, surveillances physiques réalisées à l’aide de « planques » accompagnées de prises de vues photographiques et numériques. Après l’identification de certains protagonistes soupçonnés, la surveillance se poursuit à distance par la mise en œuvre d’écoutes téléphoniques ou la sonorisation de certains lieux et véhicules. Lorsque les éléments recueillis au cours des surveillances confirment le trafic, les enquêteurs procèdent alors à des perquisitions dans les lieux identifiés, puis recueillent des témoignages, notamment ceux des consommateurs, pour caractériser le trafic et interpeller les auteurs, placés en garde à vue avant d’être déférés, c’est-à-dire présentés devant le magistrat.
Chaque investigation fait l’objet d’un procès-verbal, après l’interpellation des auteurs, les enquêteurs mettent en forme la procédure, puis à la demande du parquet ou du juge d’instruction déférent les individus devant ces magistrats.
La procédure de démantèlement d’un trafic de stupéfiants est très chronophage pour un résultat très discutable sur la pérennité de l’ordre public. Une enquête de trafic de stupéfiants peut durer plusieurs années et entrainer un coût très important en termes de moyens mis en œuvre.
L’option actuelle qui consiste à démanteler un trafic de stupéfiants favorise la reprise de celui-ci par d’autres individus. L’action des services répressifs met hors d’état de nuire les individus qui dirigent et participent au trafic de stupéfiants sans exercer la moindre influence sur le trafic lui-même qui se reconstitue. Les effets sont pervers, puisque en écartant les dealers, les enquêteurs permettent à d’autres de prendre la place de ceux qui sont hors d’état d’agir.
2) Les effets pervers de cette doctrine.
Clairement, en démantelant un réseau de trafic de stupéfiants, les pouvoirs publics favorisent sa reprise par d’autres individus.
Contrairement à la procédure de reprise d’une société, organisée par la règlementation commerciale, l’appropriation d’un réseau de stupéfiants est réalisée soit par la force, soit par la disparition des membres dirigeants. Grâce à l’action des pouvoirs publics, les trafiquants n’ont plus besoin de recourir à la première solution, les dealers sont mis hors d’état d’agir par les services répressifs.
L’inconvénient pour les prétendants est celui d’attendre la fin de l’enquête judiciaire pour succéder aux trafiquants empêchés. Mais pour accélérer la procédure, ils peuvent diffuser des renseignements anonymes pour aider les services répressifs à réduire les délais.
Lorsque les protagonistes du réseau sont identifiés, interpellés, condamnés et incarcérés, la voie est ouverte aux prétendants qui se font alors une concurrence féroce pour prendre des parts de marché. La prise de contrôle du réseau vacant est réalisée par la violence en éliminant les autres prétendants. Cette situation accroit considérablement le nombre de règlements de compte se traduisant malheureusement par des homicides.
Ainsi, en offrant aux dealers la possibilité de reprendre, par la violence, le réseau de trafic de stupéfiants vacant, les pouvoirs publics apportent une aide substantielle aux prétendants.
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Il ne s’agit évidemment pas de promouvoir ces comportements, mais de réfléchir à une solution pérenne pour réduire, voire faire disparaitre les règlements de compte, dont on constate maintenant qu’ils atteignent des personnes innocentes.
Il est nécessaire de lutter d’une part contre l’offre, la France n’est pas un pays producteur de produits stupéfiants et d’autre part d’agir sur la demande, les consommateurs favorisant mécaniquement le développement de l’offre.
Pour compléter le dispositif, le volet financier de la lutte contre les profits générés par le trafic doit être systématisé et la recherche de profits ne doit pas se limiter aux seuls vendeurs. En effet, pour acheter des produits stupéfiants, il faut disposer de ressources. Il est indispensable d’assécher financièrement les protagonistes du réseau et les consommateurs.