I. Les impacts et enjeux de la crise financière
1. Le secteur bancaire en France : sur ou sous réglementé ?
Contrairement aux autres pays, comme les Etats Unis ou la Grande Bretagne, le secteur bancaire français est très règlementé depuis de nombreuses années. En France, il n’y a pas eu de défaillances bancaires contrairement à ce qui s’est produit aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne. Le problème des subprimes aux Etats-Unis est né du fait que l’on permettait à des acteurs qui ne possédaient aucun agrément
particulier et qui n’étaient pas régulés de faire du crédit immobilier aux particuliers.
Ces acteurs escomptaient que le prix des actifs immobiliers financés continueraient à augmenter de sorte qu’en cas de défaillance de l’emprunteur, la vente du bien donné en garantie aux intéressés permettrait d’assurer la couverture des échéances demeurées impayées. C’était sans compter avec le retournement du marché immobilier. A l’origine, cela n’avait donc rien à voir avec la rémunération des opérateurs de marché ni avec les activités de banque de financement et d’investissement.
A l’opposé, en France, pour réaliser des opérations de crédit à titre habituel, il faut nécessairement être agréé en qualité d’établissement de crédit. Il faut disposer d’un agrément du Comité des Etablissements de Crédit et des Entreprises d’Investissement (CECEI), sauf à violer le monopole bancaire et à encourir des sanctions pénales. Depuis la loi bancaire du 24 janvier 1984, l’exercice de la profession est en effet très régulé et encadré, bien plus qu’il ne l’est par ailleurs dans la plupart des autres pays européens.
Par la suite, les crédits accordés par ces acteurs du marché américain ont été cédés, titrisés, et se sont retrouvés d’une façon ou d’une autre dans des millefeuilles de produits titrisés. Les banques européennes ont ainsi subi un effet de contagion via la titrisation de ces opérations. Cette contagion soulève donc un autre problème, celui de la traçabilité des produits financiers. Lors de la journée organisée par l’AFJE, le Cabinet Gide Loyrette Nouel et le Centre Européen de Droit et Economie de l’Essec sur
le thème « Crise financière, un an après : le droit peut il rétablir la confiance ? » Jean-François Coppé avait ainsi introduit le débat en soulevant notamment la problématique d’un renforcement de la traçabilité et de la transparence des produits financiers.
D’autres économistes et acteurs reviennent sur la séparation des activités entre les banques commerciales et les banques d’investissement. Ainsi, Paul Volcker, ancien dirigeant de la FED, prône un retour à la distinction de 1933 entre les banques commerciales et les banques d’investissement et Mervyn King, actuel gouverneur de la banque d’Angleterre propose de démanteler les banques afin de limiter les risques systémiques en cas de faillite. Même si de nombreux acteurs trouvent ces projets irréalistes ou risqués, il convient de rappeler que la Barclays a depuis de nombreuses années séparé ses activités.
La crise financière, mais également les scandales liés aux fraudes, ont amené de nouveaux textes concernant le droit bancaire et financier. « En France nous avons une force en finance de gestion d’actifs et le cadre réglementaire est très développé. Il est certain que des affaires comme Madoff font du mal à l’industrie de la gestion alors même que nous avons un cadre réglementaire solide. Je pense que les chantiers doivent être orientés en vue d’une meilleur régulation et non pas de plus de régulation. » soulève Jérôme Herbet, avocat associé du cabinet Winston & Strawn.
Dans ce contexte, 2009 a été une année chargée sur le plan réglementaire, puisque dès janvier l’ordonnance n°2009-104 est venue modifier le
dispositif légal afférant à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ainsi, l’obligation de déclaration de soupçon du banquier au service Tracfin est étendue aux sommes ou opérations pouvant provenir de toute infraction passible d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an, soit la grande majorité des délits. Mais d’autres réflexions et réglementations sont apparues et ont eu pour effet de renforcer les obligations pesant sur les banques, tant sur l’amélioration des mécanismes de contrôle interne que sur la transparence dans la rupture de crédit.
2. Les suites du G20
Le sommet de Pittsburgh, qui s’est tenu en novembre 2009 et réunissait les membres du G20, s’inscrit dans un processus de rénovation du système
économique et financier mondial, fondé sur des principes de régulation, de transparence et de responsabilité. Il a été décidé de renforcer la régulation du
système financier et par là même la solidité des banques en améliorant la quantité et la qualité des fonds propres exigés pour qu’elles puissent mener des activités risquées. Le G20 a également adopté des règles internationales pour encadrer les bonus des opérateurs de marché.
Au niveau de l’Union européenne,
plusieurs directives sur la création d’un système européen de contrôle et de surveillance du secteur financier, sur le renforcement des fonds propres des banques et sur la régulation des fonds de gestion alternative (« hedge funds ») sont à l’étude.
Aux Etats-Unis, le sénateur américain Christopher Dodd, président démocrate de la commission des affaires bancaires du Sénat, fait preuve d’une ambition certaine. La mesure principale de son rapport concerne la création d’une seule instance suprême de régulation du secteur bancaire : la FIRA (Financial Institutions Regulatory Authority). Il s’agirait de faire fusionner les instances de surveillance que sont l’OTS, l’OCC, avec certains services du trésor, de la Réserve Fédérale et de la FDIC. Le projet est ambitieux et non dénué d’intérêt puisqu’en théorie une instance unifiée dont le territoire et le budget sont préservés résisterait mieux aux lobbyistes et ne pourrait être moins efficace que le système fragmenté actuel.
En France, Madame le Ministre de l’Économie et des Finances, Christine Lagarde, a présenté un projet de loi de régulation bancaire et financière, lors du Conseil des ministres du 16 décembre 2009 qui comprend deux volets. Tout d’abord, le texte vise à renforcer la régulation du secteur financier et des marchés. Un Conseil de la régulation financière et du risque systémique sera créé. Il réunira les autorités de contrôle du secteur financier afin d’assurer une meilleure coordination des actions de la France dans les instances internationales et européennes, ainsi qu’une meilleure prévention des risques. De plus, le projet prévoit que l’AMF pourra adopter des mesures d’urgence pour restreindre les négociations sur les marchés financiers en situation de crise, afin de renforcer la stabilité financière. Elle contrôlera également les agences de notation, contrôle désormais prévu par la réglementation européenne.
Dans un second temps, le projet de loi vise à améliorer le financement de notamment en améliorant les circuits de financement de l’économie au bénéfice des entreprises et en modernisant le droit des offres publiques pour accroître la protection des actionnaires. Il introduit des procédures d’offres publiques et de retrait obligatoires sur
« Alternext » dans le cadre du plan d’action pour relancer la cotation des PME.
Pour favoriser le développement de l’assurance-crédit, il permet aux assureurs-crédit d’accéder à la base de données FIBEN qui recense les notations d’entreprises réalisées par la Banque de France. Afin de renforcer le crédit aux PME, il propose la fusion des trois sociétés OSEO Financement, Garantie et Innovation. Il facilite par ailleurs le crédit à l’habitat en créant les « obligations à l’habitat » qui permettront aux banques de refinancer avec une sécurité renforcée les crédits immobiliers aux particuliers.
Par ailleurs, depuis 2008 une vraie réflexion est menée pour renforcer encore le contrôle interne au sein des établissements bancaires.
3. Pour une meilleure gestion des risques
A la suite de l’affaire Kerviel, fortement médiatisée, mais également des pertes de trading - sans commune mesure - accusées par le groupe Caisse d’Epargne, les dispositifs de contrôle interne, déjà fortement renforcés ces dernières années dans les établissements bancaires, ont été à nouveau mis sur la sellette.
Un arrêté du 14 Janvier 2009, fait ainsi référence du risque de fraude en tant que composante essentielle du risque opérationnel. La fraude doit désormais faire l’objet d’un contrôle spécifique avec une plus grande implication des instances dirigeantes dans le contrôle interne. L’arrêté fixe également des critères et des seuils significatifs des incidents dans les activités de marché. Est ainsi considéré comme significative toute fraude entrainant une perte ou un gain d’un montant dépassant 0.5% des fonds propres de base.
La « défaillance des mécanismes de gouvernance interne » a été la « cause principale » de l’affaire Kerviel, a estimé le Comité européen des superviseurs bancaires (CEBS), dans un document détaillant ses propositions pour mieux maîtriser les risques liés aux activités de marché des banques. Pour optimiser la gestion des risques, le CEBS a émis plusieurs recommandations, dont le renforcement des prérogatives des comités des risques, qui existent au sein des établissements financiers. Les recommandations concernent également la rémunération des salariés occupant des fonctions de contrôle, dont la composante variable ne doit pas être liée aux mêmes indicateurs de performance que les traders. Le Comité prône aussi la standardisation des procédures, notamment pour toutes les transactions de gré à gré. Ces recommandations marquent le début d’une consultation ouverte qui durera jusqu’à fin mars 2010.
Un autre texte en préparation créé l’obligation de développer une véritable filière risque spécifique avec les moyens matériels et humains suffisants (risque de fraude, risque opérationnel …).
4. Quel encadrement des rémunérations pour les opérateurs de marché ?
En France, un arrêté relatif aux rémunérations des personnels dont les activités sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’exposition aux risques des établissements de crédit et entreprises d’investissement a été publié au Journal Officiel du 3 novembre 2009. Cet arrêté encadre les rémunérations des opérateurs de marché des banques. Il conditionne le versement des bonus à des critères de performance. Il pose
l’interdiction de verser des bonus garantis supérieurs à un an. Les bonus feront l’objet de versement différé et étalé sur 3 ans, ce qui permet l’introduction de malus en cas de mauvais résultats. L’arrêté prévoit aussi le versement de ces bonus en actions de la banque afin de responsabiliser les opérateurs de marché au regard des résultats à moyen terme de leur établissement.
S’agissant de la possibilité d’imposer une limitation globale des bonus, l’arrêté reprend le principe fixé lors du sommet de Pittsburgh du G20 et énonce que « La commission bancaire examine si le montant total des rémunérations variables des entreprises assujetties (…) est cohérent avec le maintien d’un niveau de fonds propres. ».
Avec cet arrêté les banques sont aussi désormais soumises à une obligation de transparence qui se traduit par l’obligation de publier une fois par an et de communiquer à la commission bancaire les éléments suivants : le montant des rémunérations et la répartition entre fixe et part variable, la part versée en actions, le nombre de bénéficiaires des bonus, et la répartition des bonus entre part différée et non différée et entre part acquise et non acquise.
Parallèlement à cet arrêté, les banques françaises ont aussi pris des engagements qui prennent la forme de normes professionnelles qui feront l’objet du contrôle de la commission bancaire. C’est ainsi que 50 % au moins du montant des bonus seront étalés sur au moins trois ans (60% pour les rémunérations variables les plus élevées) et que
50 % au moins du montant de ces bonus seront attribués sous forme d’actions, qui devront être détenues pour une durée d’au moins deux ans.
Cependant, croire que des bonus encadrés résoudront les problèmes est utopique. Les règles du jeu n’ont pas changé et ce qui s’est passé pourrait se reproduire. Selon, l’économiste et professeur, Charles Wyplosz, « Tant que les profits des banques seront fabuleux, les revenus des banquiers le seront aussi. C’est à la profitabilité des banques qu’il faut s’intéresser. » Pour cela, il indique la stratégie à adopter : « imposer des réserves en capital qui reflètent les risques ; ne pas laisser l’évaluation des risques à l’appréciation des banques (…) ; proportionner ces réserves à la taille des banques (…) ; s’assurer que les banques de dépôt, qui remplissent un service public, ne jouent pas à la roulette financière. Ces mesures sont de nature à décourager un remake de ce que l’on a vu. »
5. Plus de transparence dans la rupture de crédit
En entrainant un resserrement du crédit et une crise économique, la crise financière a également soulevé des problématiques et réglementations concernant le crédit.
La loi n°2009-1255 du 19 Octobre 2009 visant à favoriser l’accès aux crédits des PME a prévu notamment la motivation de la décision du banquier en cas de réduction ou d’interruption de crédits, la motivation de la notation bancaire interne et un contrôle plus étroit de l’assurance-crédit avec la décision de retrait de garantie par l’assureur crédit.
L’article L.313-12 du Code du commerce est ainsi complété : « Dans le respect des dispositions légales applicables, l’établissement de crédit fournit, sur demande de l’entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption, qui ne peuvent être demandées par un tiers, ni lui être communiquées. ». Si le processus de rupture de crédit est encadré depuis longtemps par l’exigence d’une notification écrite, cette loi est venue resserrer l’obligation de motivation de certaines décisions. Ces règles renforcent les obligations à la charge des établissements de crédit. Et ce également pour les assureurs crédits, qui couvriraient un quart du poste client des entreprises françaises, et dont la perte de garanties peut ainsi s’avérer tragique pour certaines entreprises. Les assureurs crédits doivent désormais motiver leurs décisions lorsqu’ils renoncent à garantir des créances de clients situés en France.
Par ailleurs, il est également précisé que les sociétés clientes peuvent demander une explication sur les éléments ayant conduit aux décisions de notation. Cette nouvelle loi a donc également pour objectif de favoriser la transparence et le dialogue entre les établissements bancaires et les clients.
Suite du dossier en cliquant ici : "Les acteurs du droit bancaire" .
Dossier réalisé par Laurine Tavitian et Stéphanie Garnier.