Du droit de la médiation au droit à la médiation. Par Agnès Tavel, Avocat.

Du droit de la médiation au droit à la médiation.

Par Agnès Tavel, Avocat.

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Explorer : # médiation obligatoire # résolution des conflits # Évolution du droit # responsabilisation des individus

L’un des objectifs fondamentaux du droit est d’apporter des repères de régulation des comportements sociaux. En matière civile, il constitue un ensemble de règles de bonne conduite qui évoluent avec les us et coutumes. Pour faire modifier des comportements, on change des règles de droit et on peut aussi inventer de nouveaux droits.

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Désormais, on teste la médiation obligatoire (Bordeaux, Arras, pour des situations dans le domaine familial). En juillet, on a proposé un texte de loi avec le recours à la médiation obligatoire (dans le cas de licenciements dans des sociétés en bonne santé que certains ont nommé "licenciements boursiers"). En octobre, la chambre professionnelle de la médiation et de la négociation va officialiser le "Manifeste pour le droit à la médiation"...

Le droit est pris dans un virage

Depuis quelques années, dans la matière du droit civil, la référence au droit n’est plus le seul moyen auquel il semble convenir de devoir avoir recours. L’intervention de tiers moralisateurs, porte-parole et décideurs en lieu et place des protagonistes des différends n’est plus la règle. Le justiciable soumis aurait au moins un autre procédé à sa disposition pour se sortir de l’ornière relationnelle dans laquelle il est fourré. L’idée est toujours, certes, d’en appeler à un tiers. Mais ce tiers n’est plus un décideur. Il n’est pas non plus un conseil, un consultant et non plus un bon samaritain. Ce tiers saurait aider les justiciables à trouver la solution la mieux adaptée. Du coup, le justiciable n’en serait plus un, puisque la solution ne serait plus judiciaire. Cet antique système de gestion par les procédures apparaît désormais trop coûteux. Le droit romain ravale sa préséance. Les gestionnaires de l’Etat cherchent à faire des économies sur le rôle qui revient à l’institution d’être garante des libertés et des responsabilités. Mais comme il est clair qu’elles ne savent pas comment faire, alors, et si on prenait un tiers accompagnateur de réflexion ?

Bonne idée. Et si des justiciables on en faisait des "médiables" ? Cet horrible néologisme montre mieux qu’un autre qu’il s’agit de guider les personnes en relations d’affrontement vers un dispositif qui devrait leur apporter une réponse. En tant que « justiciables », elles ont une issue selon les procédures judiciaires, en tant que « médiables », elles auront une issue selon un processus de médiation.

De cette conception nouvelle d’envisager la résolution des différends émerge une nouvelle pratique relative bien moins au système judiciaire que de l’exercice de la liberté de décision et de la responsabilité liée au pacte social. Pour réaliser cet objectif, il conviendrait que l’éducation soit orientée vers la responsabilisation des personnes et non vers leur soumission à une pensée unique ; il conviendrait d’envisager l’éducation comme permanente et tout au long de la vie, afin de garantir à chacun(e) le recours à la pédagogie de l’existence plutôt qu’à la sanction de ses ignorances.

La médiation obligatoire expérimentée en matière judiciaire

Une expérimentation va bien avoir lieu sur le principe de la médiation obligatoire, c’est-à-dire sur l’instauration nouvelle du « droit à la médiation ». A Bordeaux et à Arras (arrêté du 16 mai 2013), des magistrats renvoient déjà des personnes en médiation concernant l’exercice de l’autorité parentale. A elles de réfléchir. Ensemble. Avec un médiateur. C’est vrai que le médiateur ne doit pas être un de ces amateurs qui moralisent, admonestent ou sympathisent. Pour que ça marche, le médiateur doit être un professionnel qui fait l’adhésion des parties. Si les parties doivent être les auteurs de l’accord, le médiateur est l’auteur de la médiation. C’est lui qui fait l’implication ; c’est lui qui met en place les conditions de l’adhésion, en dépit des états émotionnels. Un vrai challenge. Déjà en matière familiale, des juges sont revenus de désigner des médiateurs diplômés d’Etat, tant leurs résultats ne les rassurent pas. Ils désignent des médiateurs professionnels membres de la chambre professionnelle de la médiation et de la négociation - CPMN.

Le droit à la médiation dans de nouvelles propositions de loi

Ainsi, un nouveau droit est en train d’émerger. Ce droit ne fait pas plaisir aux juristes, parce qu’ils ne savent pas comment le pratiquer. Professionnels de l’interprétation des textes, ils ne savent pas (encore) comment intervenir dans l’art qui a fait leur réputation initiale : celui de la rhétorique. Ils ne savent pas pacifier et pourtant n’était-ce pas cela qui était au cœur de cette profession ? Les avocats sont les héritiers malheureux de cette dérive de la recherche d’apaisement par les mots : ils ont appris à cultiver la sophistique, voire l’éristique au lieu de pratiquer la rhétorique, cette quête de sagesse, de prise de recul sur les événements pour mieux réfléchir et prendre des décisions avec toute la quiétude nécessaire.

Avec la médiation, sous sa forme « discipline à part entière », soit la « médiation professionnelle », le vieux débat sur la relation au pacte social est relancé. De nouveaux textes vont sortir des assemblées et il faudra bien composer avec eux. Le métier d’avocat doit évoluer, sinon il va s’étouffer. Les pratiques doivent se tourner très clairement vers l’art de rapprocher, de travailler les ententes, de provoquer les accords, sinon ce métier va décliner et d’autres prendront la place qui s’offre.

Dans cette perspective d’un droit naissant, des députés ont proposé que dans le cadre de licenciements par des sociétés dont la situation économique est stable, voire très favorable, les instances représentatives du personnel disposent d’un droit de veto. Les médiateurs professionnels leur ont immédiatement suggéré la mise en place du droit à la médiation, c’est-à-dire de la médiation obligatoire. C’est une première en matière du droit du travail.
Ne soyons pas effrayé : l’obligation de l’assistance d’un tiers n’est pas nouvelle : c’est le principe même qui justifie l’exercice de la profession d’avocat : son assistance est obligatoire dans un grand nombre de procédures. Alors pourquoi pas le médiateur dans le processus de la médiation ?

En bref

La société du droit, avec tout ce que cela implique de dynamique contraignante, a encore de beaux jours devant elle. Les aveuglements veillent à son entretien. En octobre, à la Bibliothèque Nationale de France, les médiateurs professionnels vont promouvoir le « manifeste du droit à la médiation ». Alors, la société de la médiation ne serait-elle que pour demain ?

Agnès Tavel, Avocat

Médiateure professionnelle

Ouvrage :
Code de la médiation et du médiateur professionnel, préface du 1er Président de la CA de Fort-de-France, Bruno Steinmann, Ed. Médiateurs, 2013, 2° édition

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Discussions en cours :

  • Bjr,

    il ne faut pas oublier le droit collaboratif, comme alternative à l’intervention d’un tiers impartial dans le règlement d’un litige (cf notre article in GP 2013 du 7 juillet 2013, édition profess)

    ceci dit, tous ces MARC/MARL en plein essor, s’ils constituent un "juteux marché de la loi", ne constituent ils pasaussi un marché de "dupes" pour les justicables (en dehors des entreprises et de l’arbitrage) qui peinent à s’y retrouver ?????

    que cache vraiment cet "évitement du juge étatique" à marche forcé.....dans un état de droit où le recours au juge est, en principe, une garantie pour les droits et libertés fondamentaux dont la liberté contractuelle encadrée par des règles d’OP de protection ????

    C Courtau CJ près le TI de Versailles

    • Bsoir, Merci de cette précision, mais le "droit collaboratif" est une technique de négociation assistée centrée sur les enjeux et les intérêts, non une approche de résolution des différends portant sur la reconnaissance des points de vue et des sentiments de légitimité. Rien à voir avec le droit à la médiation. Mon sujet était et reste la médiation, pas l’ensemble des MARC, dont la plupart se fondent sur les mêmes principes que le système judiciaire sauf qu’ils sont privatisés. La déjudiciarisation des affaires interpersonnelles est une ouverture vers plus de liberté, autant que le mariage pour tous est fondé sur la reconnaissance des différences et des mêmes droit pour tous. La médiation, sous la forme proposée par les médiateurs professionnels, est un nouveau droit, pas un "marché de dupes". Cette évidence ne semble pas être facile à intégrer, mais les réticences n’empêcheront pas l’avancée qui est déjà engagée. L’incompétence des professionnels dont c’est le devoir d’informer est la cause première des difficultés des personnes à se retrouver dans les possibilités de régler un conflit. Il est vrai que toutes les formes de médiations peuvent interroger et ne pas rassurer les magistrats, c’est pourquoi je recommande la médiation professionnelle, pratiquée par les médiateurs de la CPMN. Enfin, pour revenir sur le dernier point de votre propos, l’Etat de droit a pour but de protéger ... même de l’amateurisme, quand bien même il serait pratiqué au nom de la loi. Et la médiation doit être résolument sortie de l’ombre du droit.

    • Bjr, vous parlez de " l’amateurisme" du juge ?? des professionnels du droit ?? des CJ ??? pour les CJ, je vous l’accorde hélas, bien volontier, beaucoup d’amateurisme lié à leur statut de 1978 devenu obsolète !!!! mais hélas conforme à un certain esprit de "bricolage" animant depuis bien longtemps, nos gouvernants de tout bord politique, en matière de justice....

      de plus, les justiciables demandent une réponse éfficace à leur différend en terme de délai, de coût et de résultat : si la voie non juridictionnelle peut être utile dans certains cas (litiges familiaux bien que pour certains d’entre leur dimension pathologique conduit à l’échec de cette voie), la voie contentieuse reste la moins mauvaise solution et surtout conforme à un état de droit ;

      la négociation et surtout l’équité doivent rester l’exception au sein d’un système juridique fondée principalement sur la règle de droit en vue de garantir la sécurité juridique des transactions ;

      enfin, le Doyen Jean Carbonnier, promoteur des ADR en France, insistait sur leurs limites et notamment "...le risque d’acharnement conciliatoire voir réconciliatoire ou la recherche du baiser de la paix....." in Jean Carbonnier : « Regard d’ensemble sur la codification de la procédure civile, in le N.C.P.C., 20 ans après », la Documentation Française 1998, p. 15

    • Bjr, vous parlez de " l’amateurisme" du juge ?? des professionnels du droit ?? des CJ ??? pour les CJ, je vous l’accorde hélas, bien volontier, beaucoup d’amateurisme lié à leur statut de 1978 devenu obsolète !!!! mais hélas conforme à un certain esprit de "bricolage" animant depuis bien longtemps, nos gouvernants de tout bord politique, en matière de justice....

      les justiciables demandent une réponse éfficace à leur différend en terme de délai, de coût et de résultat : si la voie non juridictionnelle peut être utile dans certains cas (litiges familiaux bien que pour certains d’entre leur dimension pathologique conduit à l’échec de cette voie), la voie contentieuse reste la moins mauvaise solution et surtout conforme à un état de droit ; Par contre, il revient au juge mais aussi aux auxiliaires de justice, de prendre le temps d’accompagner la réponse juridictionnelle par une véritable pédagogie de la loi, condition préalable à sa compréhension puis son acceptation par le justiciable ; La pédagogie de la loi constitue l’une des missions essentielles du juge indissociable de celle de "s’efforcer de concilier les parties" consacrée à l’art. 21 du CPC ; malheureusement, le juge n’en a ni le temps ni les moyens.....

      de plus, la négociation et surtout l’équité doivent rester l’exception au sein d’un système juridique fondée principalement sur la règle de droit en vue de garantir la sécurité juridique des transactions ; qui décide de ce qui est équitable ou pas ? ; la loi, même si elle est imparfaite, est la même pour tous les citoyens et garantie une certaine égalité des justiciables dans le traitement judiciaire de leur litige ;

      enfin, le Doyen Jean Carbonnier, promoteur des ADR en France, insistait sur leurs limites et notamment "...le risque d’acharnement conciliatoire voir réconciliatoire ou la recherche du baiser de la paix....." in Jean Carbonnier : « Regard d’ensemble sur la codification de la procédure civile, in le N.C.P.C., 20 ans après », la Documentation Française 1998, p. 15 ;

    • Bsoir, L’amateurisme est courant. En médiation, il l’est tout autant. Aucune profession ne peut jeter l’anathème sur une autre sans se voir arrosée à son tour. Le bricolage dans les professions fait partie de la formation continue, si je puis dire. Les limites des ADR sont les limites de ceux qui les imaginent. La médiation, si elle est tenue sous l’angle juridique, a les limites de l’imagination des juristes... ça sera une médiation d’amateurs.

    • Bonjour,
      Attention à ne pas confondre le droit collaboratif où deux avocats formés au droit collaboratif, utilisent bien souvent les outils de la médiation comme deux co-médiateurs pour parvenir à une solution et la procédure participative qui est une procédure de négociation assistée et réglementée.
      BC

    • Bonjour,

      je ne suis pas tout à fait d’accord concernant votre approche du droit collaboratif et vous invite à jeter un coup d’oeil sur notre article paru dans la GP (
      le droit collaboratif : alternative efficace à l’intervention d’un tiers impartial dans le règlement d’un litige ? in GP 2013 du 7 juillet 2013, édition profess.) ;

      CCourtau

    • Le système de la co-médiation a de quoi interpeller également. Comment se fait-il qu’un médiateur ne soit pas capable de conduire la médiation ? Qu’est-ce qui justifie cette co-médiation ? Deux mi-compétences peuvent-elles faire une compétence entière ?

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