Droit au travail et garantie de l’emploi : quels recours, et quelles pistes pour l’avenir ?

Par Dominique Summa, Avocat.

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Explorer : # droit au travail # chômage # réforme de l'emploi # protection sociale

Le droit au travail fait partie des Droits de l’Homme garantis par la Convention européenne des Droits de l’Homme et la Charte sociale européenne. Quels recours exercer en cas de carence dans la jouissance de ce droit ? Analyse des décisions de la Cour européenne des Droits de l’Homme en matière sociale et propositions de pistes pour l’avenir.

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Rappel historique

Le droit au travail est une liberté fondamentale proclamée dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. » (Article 23 de la Déclaration des Nations unies de 1948).
La Constitution de 1946 a réaffirmé ce droit : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi », principes réaffirmé dans la Constitution de 1958.

La Charte sociale européenne a confirmé ces principes (version 3 mai 1996) :
Les Parties reconnaissent comme objectif d’une politique qu’elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l’exercice effectif des droits et principes suivants :
1. Toute personne doit avoir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement entrepris.

En cas de crises économiques, l’État se devant de fournir du travail à ceux qui n’en avaient pas. Déjà en 1789, de grands travaux sont organisés (canal de l’Ourcq).
« Tout homme a droit à sa subsistance par le travail s’il est valide ; par des secours gratuits s’il est hors d’état de travailler. Le soin de pourvoir à la subsistance du pauvre est une dette nationale. » (loi du 19 mars 1793).

L’État pourvoit au manque de travail : sous la Révolution de 1848, des ateliers sociaux sont organisés.
Aux États-Unis, les grands travaux d’infrastructure pendant la crise financière de 1930 suivant les principes keynésiens.
Après la deuxième guerre mondiale, les Trente Glorieuses (1975-1995) ont reconstruit l’Europe et l’Allemagne dans une période d’inflation euphorique.

Pendant longtemps, en France, le dualisme entre l’État socialiste, centralisateur, employeur d’agents de l’État, à statut de fonctionnaires, ayant une garantie de carrière jusqu’à la retraite ayant un statut public et le statut privé sans garantie de pérennité mais mieux payé a coexisté harmonieusement. Les avantages de l’un - emploi à vie mais moins bien payé - s’équilibrant avec les avantages de l’autre - mieux payé mais instabilité de l’emploi.

La politique du plein emploi, défini comme devant être de taux de chômage inférieur à 5 % au sens de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a pu se maintenir jusqu’aux années 1980/90 , époque de restructuration générale des entreprises et de libéralisation financière et économique favorisée par la suppression du contrôle des changes, des frontières européennes, de la libre circulation des marchandises, des services et des personnes.

Introduisant la notion de licenciement économique, privilégié par une indemnisation de 90% du salaire à l’origine et permettant des licenciements de convenance, généreusement payés.

A la loi des dirigeants privilégiant la pérennité de l’entreprise s’est substituée la loi des financiers , les actionnaires – souvent des fonds étrangers spéculatifs – ayant comme priorité les bénéfices à deux chiffres, sans état d’âmes pour l’entreprise spoliée et exploitée, pour le chef d’entreprise soumis à la loi de rentabilité et placé sur un siège éjectable - certes avec un parachute doré.

Face à cela, le flux des européens « pauvres », des pays de l’Est ou du Sud, le tchèque, le plombier polonais venant prendre le travail des nationaux, bien payé par rapport aux prix du marché de leur pays, acceptant des conditions de travail indignes au sens des lois des pays riches (durée, sécurité notamment).

Le chômage des pays riches étant aggravé par l’amélioration des droits sociaux et écologiques : interdiction d’activité nuisibles à l’environnement - émigrées en République Populaire de Chine - et développement de la santé au travail : obligation de sécurité de l’employeur sanctionnée par un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Situation exponentielle en dépit des régimes politiques successifs : droite ou gauche maintenant des charges salariales comprenant les aides sociales à des taux supérieurs aux autres pays, des régimes de chômage trop généreux, des sanctions financières très importantes en cas de licenciement ou de harcèlement au travail.
Bloquant le chef d’entreprise de gérer dans le bon sens.

La révolution de l’Internet et du e-commerce a poursuivi le travail de sape du socle de l’emploi, en permettant sans contraintes légales ou fiscales de siphonner les activités jusque-là réglementées - taxis, immobilier - uberisation de l’économie.
Pendant que la BCE ouvre grandes les vannes de liquidités pour faire repartir l’activité - la croissance - qui reste très basse.

La masse financière servant à des fonds de placements plus ou moins heureux, des situations défiscalisées légalement et n’atteignant pas les objectifs, l’économie réelle.

Aucune taxe n’étant perçue sur les transactions financières.
L’État empruntant à tout va pour rembourser les taux d’intérêts aux créanciers – les banques dispensatrices de crédits à taux d’intérêt avec les fonds créés par la BCE et donnés aux banques.

Aggravant la différence entre le Capital et l’Économie.

I - Quels recours contre le non respect de l’engagement de fournir un travail ? Et Par qui ?

1- Un recours en omission contre l’État ?

Jamais l’État n’a été actionné par un chômeur en responsabilité pour non exécution de son droit au travail.

En matière sociale, la Cour européenne des Droits de l’Homme pourrait pourtant sanctionner un État-membre pour non exécution de la garantie du droit à avoir un travail, comme un droit essentiel des Droits de l’Homme, de même nature que le droit à un nom, à une nationalité.

La Cour a investi les droits sociaux fixés dans la Charte sociale européenne comme elle aborde les droits environnementaux, alors que la Convention ne prévoyait que les droits de la personne, civils et politiques.

Mais cette extension va dans le sens de l’Histoire.

En droit social, la Cour européenne a sanctionné la France pour non respect d’un délai raisonnable de la procédure : article 6 -2de la CEDH : Droit à un procès équitable ; arrêt Delgado du 14 novembre 2000 dont une procédure de 3 ans et neuf mois au motif que les conflits du travail doivent être résolus « avec une célérité toute particulière ».

L’exigence de l’épuisement des recours de droit interne préalable à la saisine de la Cour a limité le nombre de recours mais les justiciables sont recevables à exercer ce recours devant les juridictions nationales, évitant l’encombrement de la Cour européenne qui rejette par ailleurs 90% des recours avant de les examiner.

Les autres recours sont souvent faits sur le principe de non-discrimination prévu par l’article 14 de la CEDH pour obtenir par un étranger notamment des allocations réservées aux nationaux.

D’autres décisions garantissent le droit à la vie privée et familiale du salarié dans l’exercice de son travail (article 8).

Les règlements européens complètent la Convention des Droits de l’Homme pour conforter la protection salariale : harcèlement, sécurité au travail, droits sanctionnés par les tribunaux.

Mais aucune condamnation pour durée excessive de chômage.

2 - Qui pourrait exercer de tels recours ?

Assurément les victimes directes, éventuellement par une class action et les syndicats représentatifs des intérêts collectifs des salariés.

3- Contre qui exercer ces recours ?

Les deux personnes morales sont l’État français et Pôle emploi.

Références analogiques : la condamnation de l’État à publier le décret d’application de la loi de 2005 sur le fonds de compensation du handicap sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; l’arrêt du Conseil d’État du 24 février 2016 rendu sur recours de l’Association nationale pour l’intégration des personnes handicapées moteur (ANPIHM).

La carence est une faute qui doit être indemnisée.

Mais, ne rêvons pas.

II- Que faire ? Les pistes

Face au blocage d’une réforme législative qui ne règle pas l’accès à l’emploi mais est supposée faciliter le licenciement et en éviter les indemnisations trop importantes pour les entreprises, la solution est possible et doit se faire sur plusieurs niveaux.

1 - Réduire le coût du travail, mais est-ce possible en France fière de ses droits sociaux acquis ?

Les autres pays l’ont fait mais la France est à part et n’a pas à suivre ce que la Commission et la présidente de la RFA lui demandent, responsable des portes ouvertes aux migrants de ses usines d’industries lourdes qu’elle a gardées.

2 - Prendre sur l’épargne le coût exponentiel des charges sociales, augmentées par des principes généreux dans les montants, la durée de ces indemnités et le nombre de bénéficiaires ?

Mais, cette épargne est la garantie du passif de la France endettée à presque 100%. Et sert de soutien aux familles qui supportent leurs chômeurs sans indemnités ou leurs enfants, jeunes diplômés sans emploi.

3 - Réformer l’entreprise ?

Ce qui suppose une mise à plat de la gestion, toujours remise en question devant la concurrence et supposant une souplesse dans le flux du personnel de direction, d’encadrement et des salariés devant se remettre en question à chaque exercice et s’adapter aux nouveaux logiciels ou robots.

La mise en place de la numérisation de toutes les entreprises, obligatoire pour survivre passant par un licenciement du personnel réfractaire à l’adaptation.

4 - Recycler les « seniors ? »

Sachant que les séniors sont âgés de plus de 40 ans dans les start-up et qu’à 45 ans, il faut avoir réussi et être « business angel » ou s’investir dans le monde associatif.
Le parcours idéal d’un diplômé d’une école de commerce étant de créer sa boîte avec l’aide de deux ou trois camarades d’école, de prendre de l’envol et de la vigueur - sur cinq à dix ans - et à 35/40 ans, 45 au plus, revendre à un groupe et plus vite si le chiffre d’affaires baisse.

Cession à un groupe étranger (chinois en général).
Rentabilité fiscale ? Aucune : les aides nationales sont faites pour l’export et la vente est à l’étranger.

5 - Les autres séniors non privilégiés ?

Un licenciement conventionnel pour reprendre l’activité dont le sénior rêvait dans sa jeunesse : son pécule lui ouvrant la voie de l’artisanat, ou des activités touristiques ou alimentaires (pizzas, restauration, boulangeries en franchise)

6 - Les adolescents et l’avenir ?

Un avenir à préparer maintenant avec l’anglais de base et les techniques du Web (codage, développer) pour aborder dans n’importe quel pays le monde du travail avec la conscience d’un travail volatile dans des entreprises volatiles.

Les générations Y et Z sans frontières, sans mariage cadrées, refusant le carcan d’une nation qui les a déçues et dont elles refusent de poursuivre la gestion décevante.

Cherchant un bonheur personnel, sans cravate pour les garçons, en jeans pour les filles avec l’ordinateur.
Une génération d’un nouveau monde, virtuel mais plein d’avenir (médecine, nanotechnologies, éternité).

7 - Et les États ?

Ils devront se financer sur les transactions financières (Taxe Tobbin ), moraliser les impôts en faisant payer les structures internationales et protégées dans des paradis fiscaux. Supprimer le dumping du mieux disant fiscal et du mieux disant social.

Moraliser l’État business.

Supprimer les « homeless » comme le Président Obama dit l’avoir fait.

Un monde nouveau : « I have a dream ».

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Discussion en cours :

  • par ANNA , Le 18 avril 2016 à 13:22

    Article intéressant et clair.
    Situation et certains rappels bien résumés et ceci pour toutes les tranches d’âges. Le droit au travail on en est loin et il y a ceux qui n’en voudraient pas

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