L'éducation thérapeutique du patient : un outil de prévention pour la responsabilité juridique des laboratoires ? Par David Simhon, Avocat.

L’éducation thérapeutique du patient : un outil de prévention pour la responsabilité juridique des laboratoires ?

Par David Simhon, Avocat.

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Explorer : # Éducation thérapeutique du patient # prévention des risques juridiques # industrie pharmaceutique # observance pharmaceutique

L’industrie pharmaceutique n’a pas bonne presse.

Pas une semaine dans les médias sans une attaque ou une incise contre les laboratoires.

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Entre Servier, les prothèses PIP et les 5 % de médicament « potentiellement très dangereux », il y a fort à parier que les services de communication des syndicats intéressés ne chôment pas.

Et de fait : pour la seconde année consécutive, plus de 60 % des français déclarent avoir vu leur confiance envers l’industrie pharmaceutique et les fabricants de dispositifs médicaux affectée, en raison des différentes affaires sanitaires.

Dans ce contexte, la prise en compte du risque juridique doit devenir un enjeu d’importance pour l’industrie.

Mais quoi faire ? Quelles stratégies envisager pour prévenir l’engagement de sa responsabilité civile ?

Pourquoi ne pas faire avec les moyens disponibles ? Certains outils déjà en place se prêtent parfaitement à l’exercice, tels que le très à la mode « éducation thérapeutique du patient ».

I – L’ETP, qu’est-ce ?

Selon la définition de l’OMS , l’éducation thérapeutique du patient (ETP) :

« vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique.

Elle fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient.

Elle comprend des activités organisées, y compris un soutien psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur maladie, des soins, de l’organisation et des procédures hospitalières, et des comportements liés à la santé et à la maladie.

Ceci a pour but de les aider (ainsi que leurs familles) à comprendre leur maladie et leur traitement, collaborer ensemble et assumer leurs responsabilités dans leur propre prise en charge, dans le but de les aider à maintenir et améliorer leur qualité de vie. »

Plusieurs études confirment l’utilité et l’efficacité de l’ETP, notamment en termes de compliance (observance pharmaceutique).

Par exemple, en 2001, des chercheurs américains ont démontré que la mise en place d’un entretien pharmaceutique (type ETP) avait un impact significatif sur l’observance pharmaceutique chez les patients VIH : celle-ci était de 93% pour le groupe de malades ayant eu un entretien pharmaceutique versus 59 % pour la prise en charge standard.

L’ETP se développe en France depuis une vingtaine d’année, de façon non structurée et non coordonnée . C’est donc dans un souci d’harmonisation et de transparence des pratiques que la notion a été introduite dans le droit français, par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (loi dite HPST).

Dorénavant, le code de la santé publique distingue, au sein de l’ETP :

- l’éducation thérapeutique qu’on pourrait qualifier de « généraliste », elle s’inscrit dans le parcours de soins du patient et a pour objectif de rendre ce dernier plus autonome en facilitant son adhésion aux traitements prescrits et en améliorant sa qualité de vie (article L. 1161-1 du code de la santé publique) ;

- les actions d’accompagnement, qui ont pour objet d’apporter une assistance et un soutien aux malades, ou à leur entourage, dans la prise en charge de la maladie (article L. 1161-3 du code de la santé publique) ;

- les programmes d’apprentissage, qui ont pour objet l’appropriation par les patients des gestes techniques permettant l’utilisation d’un médicament le nécessitant (article L. 1161-5 du code de la santé publique).

II – L’ETP comme instrument juridique

A notre sens, du point de vue de la prévention du risque juridique, l’éducation thérapeutique du patient – et particulièrement les programmes d’apprentissage définis ci-avant – présente une triple utilité.

2.1. En premier lieu, en évitant les mauvais usages, l’éducation du patient participe manifestement à la réduction des accidents médicamenteux . Pour preuve, les programmes d’apprentissage peuvent être mis en place à la demande de l’AFSSAPS ou de la Commission européenne, notamment dans le cadre des « plans de gestion des risques » (article R. 1161-8 du code de la santé publique).

Il y a donc diminution des sinistres et, par conséquent, des risques contentieux pour un laboratoire.

2.2. En deuxième lieu, même si un accident est constaté, le laboratoire pourra s’appuyer sur « son » programme d’éducation pour démontrer qu’il a mis à disposition des utilisateurs toute l’information utile.

En effet, pour apprécier la responsabilité civile d’un laboratoire, les juges vérifient notamment si ce dernier a respecté une « obligation d’information », dont il est débiteur vis-à-vis du patient.

Et les tribunaux se montrent extrêmement sévères sur ce point : au fur et à mesure des évolutions jurisprudentielles, l’obligation d’information s’est considérablement étendue.

L’affaire des « ampoules de Granions d’argent » est particulièrement illustratrice de cette mouvance.

La notice desdites ampoules indiquait, sous la rubrique « Mode d’emploi » : « La forme de conservation des Granions étant normalement floculée, il est nécessaire de redisposer le colloïde. Pour cela, placer une ou plusieurs ampoules dans un récipient contenant de l’eau froide. Chauffer jusqu’à l’ébullition qu’on maintiendra pendant une minute environ. Refroidir avant l’emploi. On peut chauffer plusieurs ampoules à la fois, la limpidité se maintenant pendant quelque temps à température normale ».

Un patient, négligeant, avait omis de surveiller l’opération d’échauffement. Et à trop s’échauffer… l’ampoule explosa violemment, blessant l’infortuné aux yeux.

La cour de cassation a retenu la totale responsabilité du laboratoire fabricant au motif « que la notice de présentation des ampoules ne mettait pas les utilisateurs en garde contre la violence de l’explosion pouvant se produire en cas de dépassement de la durée d’ébullition mentionnée (Cass. 1ère civ., 5 janvier 1999, n° 97-10.547).

Ajoutons que l’information doit porter sur tous les risques graves, y compris exceptionnels (Cass 1ère civ., 24 janvier 2006, 02-16.648).

Dans le cadre d’un programme d’apprentissage, on peut considérer que toute l’information utile sur le bon usage du médicament est délivrée aux patients. Ipso facto, la participation du patient au programme ETP devrait permettre – sous réserve de son caractère sérieux – de prouver le respect de l’obligation d’information par le laboratoire mis en cause.

2.3. En troisième et dernier lieu, du point de vue de la pharmacovigilance, les programmes d’apprentissage pourraient permettre de faciliter la remonté aux laboratoires de certaines informations, notamment celles ayant trait aux difficultés d’utilisation d’un produit par les patients.

Certes, en principe, les données recueillies dans le cadre du programme d’apprentissage ne peuvent être utilisées à d’autres fins que celles du programme et de son évaluation (article R. 1161-22 du CSP). Cependant, si lors de cette évaluation et en dehors de tout aspect commercial, était révélée une difficulté majeure d’utilisation, il serait difficile de faire grief au laboratoire de s’être saisi du problème. A tout le moins, pour éviter toute polémique et afin de bénéficier de données exploitables, le laboratoire pourrait fort opportunément organiser une étude de phase IV ciblée sur le problème révélé.

III – Pour l’ensemble de ces raisons, les programmes d’éducation thérapeutique, en plus d’être un élément important dans la politique actuelle de santé publique, nous paraissent source de prévention des risques juridiques pour les laboratoires.

Soyons clair : il ne s’agit pas d’initier une action ETP pour les seuls besoins de la cause juridique.

Toutefois, dans la décision de mettre en œuvre un programme d’apprentissage, in fine dans l’évaluation du retour sur investissent, cela nous paraît être une donnée dont il faut aujourd’hui tenir compte.

Références :

.Institut LH2 pour le CISS. Le baromètre des droits des malades. Rapport d’étude 2011, mars 2011. Rapport d’étude 2012, février 2012.
.Organisation mondiale de la santé : Bureau régional de l’Europe. Therapeutic patient education : continuing education programmes for health care providers in the field of prevention of chronic diseases : report of a WHO working group. Copenhagen : WHO Regional office for Europe, 1998.
.ESCH LD, HARDY H, WYNN H, SHELTON MJ, HEWWIT RG, MORSE GD. Intensive adherence interventions improve virologic response to antiretroviral therapy in naïve patient. 2001, February 4-8, Chicago. Abstract n° 481.
.JACQUAT Denis. Education thérapeutique du patient : propositions pour une mise en œuvre rapide et pérenne, rapport au premier ministre. Paris : Assemblée Nationale, 2010.
.BOUVENOT G. Comment prévenir le risque thérapeutique médicamenteux. Rev Méd Interne, 2001, 22, p. 1237-43.
.Plans de surveillance accrue exigé pour certains nouveaux médicaments : cf. l’article R. 5121-25 3° du CSP et la décision du directeur général de l’AFSSAPS du 7 mai 2008 relative au modèle type de plan de gestion de risque et prise en application de l’article R. 5121-25 du code de la santé publique.

David Simhon

Avocat au Barreau de Paris

Avocat spécialiste en droit de la santé

Associé du Cabinet Galien Affaires www.galienaffaires.fr

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