Monsieur Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, s’est exprimé ce 1er juillet 2023 au sujet des actes de vandalisme et de dégradations commis à l’encontre des commerces ces derniers jours. Le ministre a appelé les assureurs à : « faire preuve de la plus grande simplicité dans le traitement des procédures », de « réduire au maximum les franchises », avant de conclure que « les indemnisations doivent arriver le plus vite possible ».
Nous nous souvenons cependant de déclarations similaires du Président de la République qui, lors de son allocution télévisée le 13 avril 2020, en pleine crise sanitaire avait invité les banques et les assureurs « au rendez-vous de cette mobilisation économique » lorsque tous les commerces étaient fermés.
Ceux qui ont suivi l’affaire des garanties des pertes d’exploitation dans laquelle nous étions intervenus (Indemnisation des pertes d’exploitation : panorama des premières décisions et Garantie pertes d’exploitation : épidémie de condamnations pour les compagnies d’assurance ?), se souviendront aussi, que les assureurs n’étaient pas au rendez-vous ! Bien au contraire, les représentants des compagnies d’assurance ont fait savoir dans les médias pour faire savoir que le risque de pertes d’exploitation faisant suite aux mesures d’interdiction d’accès au public était inassurable, car cela générerait pour eux un risque systémique. Un fort contentieux s’était en particulier noué entre Axa France Iard et des restaurateurs de toute la France qui avaient massivement saisi les tribunaux de commerce [1].
Nous nous souvenons également de la crise précédente, celle des gilets jaunes, qui avait posé des problématiques d’indemnisations similaires à celles des émeutes des derniers jours. On observe que suite à ce mouvement, l’État a été amené à engager sa responsabilité à plusieurs reprises, et notamment vis-à-vis des assureurs qui avaient indemnisé leurs assurés ! La Cour administrative d’appel de Toulouse a par exemple récemment condamné l’État à indemniser un assureur (L’article L121-12 du Code des assurances dispose que : « L’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur (...) »), subrogé dans les droits d’une agence bancaire après avoir accordé sa garantie, en raison d’événements survenus en marge d’une manifestation du mouvement des gilets jaunes (CAA Toulouse, 3ème ch., 17 janv. 2023 - n°21TL03780 [2]).
Aujourd’hui, les émeutes qui ont touché les commerces sont sources d’interrogations au regard du droit des assurances ainsi que du droit administratif.
1 - Les commerçants peuvent-ils être indemnisés par leurs assurances suite aux actes de vandalisme dont ils sont victimes ?
En premier lieu, il convient de souligner que tous les commerçants ne seront pas confrontés aux mêmes sinistres et ne bénéficieront pas des mêmes garanties contractuelles selon les dommages rencontrés et les contrats souscrits.
Les assurances multirisques professionnelles prévoient en effet des garanties couvrant la plupart du temps les deux risques suivants :
- La garantie incendie, explosion et risques divers ;
- La garantie vol et vandalisme, laquelle vise plusieurs type d’évènements : l’effraction, la tentative d’effraction, la dégradation, la destruction et qui conduisent à des vols ou dommages matériels très variés concernant aussi bien le mobilier, les stocks que les locaux.
Toutefois, il apparaît que beaucoup de contrats d’assurances excluent expressément le bénéfice de ces garanties dans les cas de manifestations, émeutes, mouvements populaires et actes de sabotage… La dite exclusion de garantie est d’ailleurs « encouragée » par la loi.
L’article L121-8 du Code des assurances dispose que :
« L’assureur ne répond pas, sauf convention contraire, des pertes et dommages occasionnés soit par la guerre étrangère, soit par la guerre civile, soit par des émeutes ou par des mouvements populaires ».
Il convient toutefois de s’accorder sur la définition du terme « émeute » et « mouvement populaire » et composer éventuellement avec les contrats qui prévoiraient expressément une garantie contre ces risques.
On prêtera aussi attention aux définitions. Le Larousse défini le terme « émeute » comme « Soulèvement populaire, mouvement, agitation, explosion de violence » [3], et le Robert comme « Soulèvement populaire, généralement spontané et non organisé » [4].
D’une part, l’absence de revendication du « soulèvement » pourrait-elle exclure la définition d’émeute ou de mouvements populaires ?
D’autre part, on s’intéressera aux différents cas rencontrés, et notamment aux petits groupes ou aux individus isolés qui auraient agi très en marge de la foule. Les dommages qu’ils causent, sont-ils occasionnés par des « émeutes » ou des « mouvements populaires » ?
Enfin, on observe que la Cour de cassation avait considéré en 2016 que l’absence de caractère spontané ne pouvait suffire à écarter la qualification d’émeute ou de mouvement populaire, causes d’exclusion de la garantie (Cass. civ. 2ème, 17 nov. 2016, n°15-24.116).
Une lecture prudente du contrat d’assurance est requise afin de connaître l’étendue exacte de la garantie. Il nous semble donc que les déclarations du ministre de l’Économie et des Finances se révèlent hâtives !
En second lieu, si l’événement fait l’objet d’une garantie, les commerçants auront à s’interroger quant à l’étendue de leurs indemnisations. Les pertes sont-elles seulement matérielles ou le commerçant est-il placé dans l’impossibilité d’exploiter consécutivement à la perte de stock ou parce que ses locaux ont été incendiés ?
En effet, à la perte du mobilier ou des stocks auxquels les commerçants peuvent être confrontés s’additionnent parfois des pertes d’exploitation, voire parfois, une perte de fonds de commerce.
On constate d’expérience que les préjudices indirects tels que les préjudices d’exploitation ou les pertes de fonds de commerce sont moins garantis et sont également plus complexes à mettre en œuvre.
2 - Quelle attitude doivent adopter les commerçants suite au sinistre ?
Il est naturellement recommandé aux commerçants de déposer plainte et de déclarer leur sinistre dans un délai de 5 jours ouvrés à leur assureurs (Art. L113-2 du Code des assurances).
Toutefois, dans l’urgence, cela ne saurait parfois ne pas être suffisant. Les compagnies peuvent manquer de réactivité avant de mandater un expert ou se montrer réticentes à accorder une exacte indemnisation, surtout en ce qui concerne celle des pertes d’exploitation. Si l’urgence se présente et que la garantie n’est pas sérieusement contestable, les commerçants pourraient saisir en référé les tribunaux de commerce aux fins d’obtenir des provisions dans l’attente d’une indemnisation définitive.
3- Quelle solution reste t-il si la compagnie d’assurance ne garantit pas le risque ?
Si d’aventure le contrat d’assurance des commerçants ne couvre pas les sinistres, hormis se porter partie civile et attendre que l’enquête permette de retrouver l’auteur des faits, une première piste d’indemnisation pourrait éventuellement se trouver dans une action en responsabilité en raison d’un défaut de conseil de l’assureur. Cette solution nous paraît toutefois assez aléatoire aux regards des observations qui précèdent.
Une seconde piste d’indemnisation, concerne la responsabilité sans faute de l’État. En effet, l’article L211-10 § 1 du Code de la sécurité intérieure dispose que
« L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ».
Il s’avère en effet que la responsabilité de l’Etat peut être engagée, sur le fondement de cette disposition, non seulement à raison de dommages corporels ou matériels, mais aussi, le cas échéant, lorsque les dommages invoqués ont le caractère d’un préjudice commercial consistant notamment en un accroissement de dépenses d’exploitation ou en une perte de recettes d’exploitation (CE, ass., 6 avr. 1990, Sté Cofiroute, n°112497).
Il s’avère toutefois que la notion d’« attroupements » ou « rassemblements » est l’objet d’interprétation défavorable aux victimes des émeutes. Selon la jurisprudence, lorsque l’attroupement ou le rassemblement constitué dans le seul but de commettre un délit ou un crime, le régime de responsabilité de l’État n’a pas vocation à s’appliquer. L’idée qui gouverne cette jurisprudence est que dans ce type de cas, « le rassemblement n’est qu’une modalité d’exécution du délit et ne s’en détache pas » [5].
En ce qui concerne les dommages causés par les émeutes de 2005 qui avaient suivi le décès de deux adolescents poursuivis par la police, la responsabilité de l’État a parfois été écartée en raison du caractère prémédité et organisé des infractions pénales. Le Conseil d’État avait notamment appliqué des critères de spontanéité des infractions et de temporalité entre les infractions et l’attroupement, afin de déterminer si le dit attroupement avait une raison d’être distincte de celle d’exécuter un délit ou un crime. Par exemple, dans son arrêt du 11 juillet 2011, elle retenait d’une part la responsabilité de l’État lorsque les « faits avait été perpétrés quelques heures après le décès accidentel », et l’excluait d’autre part pour des dommages survenus une semaine plus tard (CE, 5ème - 4ème ch., 11 juill. 2011, n°331669) ; Voir encore (CE, 5ème - 4ème ch., 30 déc. 2016, n°386536).
L’application de l’article L211-10 § 1 du Code de la sécurité intérieure n’est donc pas exclue mais ferait l’objet d’une appréciation au cas par cas.
Une troisième piste, plus exigeante, inviterait enfin à engager une action en responsabilité de l’État en démontrant sa faute - lourde - dans l’exercice de ses pouvoirs de police, notamment en démontrant que l’intervention de police était insuffisante...
Selon le Conseil d’État, la prévisibilité des évènements et l’absence de dispositions pour s’opposer à ces évènements sont susceptibles de caractériser la faute lourde de nature à engager la responsabilité de l’Etat.
On s’étonne en effet des déclarations de Monsieur Eric Dupond Moretti, le garde des Sceaux du 1er juillet 2023. Ce dernier après avoir promis de « péter » les comptes Snapchat des émeutiers, a affirmé que : « L’autorité judiciaire peut, sur réquisition, demander aux opérateurs de livrer les adresses IP ce qui permet d’arriver à l’identité de ceux qui s’en servent pour dire quand où et comment on va aller casser » [6].
En effet, les incidents ayant été annoncés sur les réseaux sociaux longtemps à l’avance, il est légitime de s’interroger sur l’intervention suffisante des pouvoirs de police.
Si les assureurs ne paient pas, est-ce que « l’Etat paiera, quoiqu’il en coûte » ?