Le phénomène n’est d’ailleurs pas seulement local et les mêmes problématiques se posent aujourd’hui partout dans le Monde [1].
La nouvelle vague de fermetures administratives.
Le couvre-feu qui est imposé dans huit métropoles françaises de 21 heures à 6 heures pour une durée de six semaines va très certainement de renforcer le contentieux existant.
En effet, ce couvre-feu va reproduire un schéma similaire à celui qui a généré jusqu’ici le litige entre les compagnies d’assurance et les commerçants qui vont devoir, à nouveau, fermer leurs établissements.
Pour rappel, les commerçants peuvent prétendre à indemnisation lorsque la garantie pertes d’exploitation prévue dans leur contrat les couvre contre le risque de fermeture administrative.
Dans certains cas, il précisé qu’un dommage matériel (incendie, inondations par exemple) affectant les locaux professionnels conditionne la garantie, en quel cas, les assurés ne peuvent se prévaloir des mesures administratives prise pour lutter contre la propagation de la covid-19 causant la fermeture de leur établissement puisqu’il n’y a pas de dommage matériel. Ce cas de figure concerne une très grande majorité des contrats.
Dans les autres cas, en l’absence de précision, ou en présence d’une extension de garantie visant la clause d’exclusion, et en l’absence d’une clause d’exclusion licite, les assurés peuvent prétendre à une indemnisation [2].
En mars 2020, les mesures d’interdiction d’accueil du public prise dans un l’arrêté du 14 mars 2020 [3] et dans le Décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 [4] avaient contraint de nombreuses entreprises, dont les restaurateurs, à fermer leurs portes.
Au plan local, s’étaient ajoutés des interdictions plus fortes que celles prévues au plan national, l’on pense ici à l’interdiction aux hébergements à vocation touristique de recevoir du public.
C’est ainsi que de nombreux commerçants avaient sollicité de leurs assureurs de prendre en charge leurs pertes d’exploitation suite à la fermeture administrative de leur établissement, lorsque les conditions étaient réunies.
C’est dans ces circonstances que les tribunaux ont été saisis au sujet du contentieux des garanties pertes d’exploitation, objet d’un bras de fer fortement médiatisé entre « les restaurateurs » et des compagnies d’assurances.
Avec la « seconde vague » de l’épidémie, des mesures se sont récemment multipliées au plan local, au gré de l’adoption des arrêtés préfectoraux dont l’objet est la fermeture totale ou partielle, notamment à des heures spécifiques, des bars, des restaurants, des discothèques, et salles de sports, pour ne citer que ces catégories d’établissements. Ces arrêtés ont d’ailleurs nourri un important contentieux devant les juridictions administratives ainsi que la colère de différentes catégories d’entrepreneurs qui ont manifesté dans plusieurs grandes villes pour que ces mesures soient abandonnées.
Avec la déclaration de l’état d’urgence sanitaire [5] et le couvre-feu qui interviendra le 17 octobre à 00h00, les entrepreneurs, et donc les assureurs, ne sont donc pas au bout de leur peine : un nouveau sinistre est imminent !
la jurisprudence relative à la clause d’exclusion d’Axa France IARD se précise.
La jurisprudence semble désormais se préciser au sujet de pertes d’exploitations subies pendant la première vague par les commerçants garantis par Axa France IARD (Voir l’article « Indemnisation des pertes d’exploitation : panorama des premières décisions » (Village Justice, 27 août 2020).]].
Dernièrement, le tribunal de commerce de Marseille a confirmé sa jurisprudence du 23 juillet dernier [6] par 4 décisions rendues la même semaine [7].
Pour la juridiction marseillaise statuant au fond, la clause d’exclusion opposée par Axa pour se soustraire à son obligation de garantie est bel et bien réputée non écrite.
Son raisonnement est le suivant : puisque la clause d’exclusion ne satisfait pas aux dispositions de l’article L113-1 du Code des assurances préconisant qu’elle soit « formelle » et « limitée », elle vide de sa substance son obligation essentielle de garantie au sens de l’article 1170 du Code civil.
En référé, le tribunal de commerce de Marseille, relève que la clause d’exclusion est réputée non écrite car elle « ne présente pas une apparente licéité », « le principe même de l’obligation [de garantie] n’étant pas sérieusement contestable ».
Le référé met en lumière tout le paradoxe de cette clause d’exclusion : la société Axa France IARD s’étant prévalu d’une contestation sérieuse au motif que « l’interprétation d’une clause d’un contrat d’assurance n’entre pas dans la compétence du juge des référés » avait, selon les termes de la décision, « fait entrer la clause d’exclusion litigieuse (soumise à interprétation), dans le champ d’application de l’article L113-1 du Code des assurances ».
En effet, une clause sujette à interprétation n’est ni formelle ni limitée au sens de l’article L113-1 du Code des assurances. Pour soulever une contestation sérieuse, Axa était forcée de reconnaître que la clause devait être interprétée, ce que les demandeurs n’auraient pas manqué de relever si le juge des référés avait renvoyé l’affaire au fond. En tout état de cause, les demandeurs soutenaient que le juge des référés était compétent pour constater la situation de droit existante : la clause d’exclusion n’avait jamais existé (autrement dit : elle est réputée non écrite), position suivie par la juridiction.
Les restaurateurs ont donc été indemnisés dans ces quatre affaires.
Même si le résultat est le même, le tribunal de commerce de Rennes [8] affiche une solution différente en retenant sur le fondement des articles 1188 et 1190 du Code civil qu’
« il n’y a pas de commune intention des parties qui ne s’accordent pas sur les risques assurés. Le contrat doit donc être interprété “dans le sens“ que lui donnerait une personne raisonnable. De même que le doute créé par la rédaction confuse de la clause d’exclusion doit être interprété en faveur du débiteur et contre l’assureur qui l’a proposé. (…) le tribunal estime que le contrat doit être interprété comme suit : la société (…) est assurée contre le risque d’épidémie, à conditions que les conditions générales du contrat rendent cette garantie applicable ».
En revanche, saisi en référé, le tribunal de commerce de Nanterre, siège d’AXA FRANCE IARD, a considéré que la clause d’exclusion était parfaitement licite et privait d’indemnisation le demandeur [9].
Dans cette espèce, la motivation est assez laconique :
« la clause d’exclusion, rédigée en des termes clairs et précis, ne souffre d’aucune interprétation : elle ne vise pas à priver la garantie financière d’AXA en cas de perte d’exploitation de son obligation essentielle lorsqu’une épidémie touche un seul restaurant, et que cette épidémie nécessite une fermeture administrative ».
Le débat principal n’est donc pas abordé : la clause s’appliquerait uniquement lorsqu’un seul établissement est touché par une épidémie : scénario parfaitement antinomique avec la notion d’épidémie qui ne reste pas cantonnés en certains lieux à heures fixes… une épidémie se propage et vise donc plusieurs établissements.
Signer l’avenant ou s’assurer ailleurs.
Hors des prétoires, de nouvelles problématiques se nouent avec les assureurs qui s’empressent de « toiletter » leurs contrats d’assurance multirisques et adressent à leurs assurés des avenants qu’ils sont censé leurs retourner signer à défaut de quoi ils seront résiliés.
Une compagnie d’assurance en vient même à afficher ses intentions sans aucun détours, comme suit :
« Vous détenez actuellement un contrat d’assurance multirisque professionnelle (…) qui prévoit la couverture des pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative, suite à une épidémie. La couverture de ce type d’événement, très rare, était prévue pour des phénomènes très localisés et non pour une épidémie telle que nous la vivons sur l’ensemble du territoire. (…) Les conséquences financières potentiellement très importantes de la crise sanitaire de la Covid-19, ne permettent plus à la Compagnie (…) de maintenir cette garantie pour l’avenir. Dès lors, la Compagnie est contrainte de modifier cette couverture, sur l’ensemble de ses contrats, en supprimant l’événement fermeture administrative consécutive à une épidémie, des sinistres garantis à partir de 2021 ».
Bien qu’une telle dénonciation semblerait a priori licite selon l’article L113-4 du Code des assurances [10], il n’en demeure pas moins qu’elle est l’expression d’une inélégance rare de la part des compagnies d’assurance…
Il faut donc croire que la garantie du risque de fermeture administrative pour cause d’ « épidémie » ne sera donc bientôt plus commercialisée par les compagnies d’assurances.
Discussions en cours :
Bonjour,
Je m’interroge sur le jugement de valeur apporté à la fin de cette article au sujet de l’"inélégance" des assureurs.
Ceci est vraiment hors sujet.
Un contrat régit les relations entre plusieurs parties et il est clair que lors de cette crise aucun assureur n’avait contractualisé une garantie pour couvrir les pertes d’exploitations pour une pandémie mondiale.
Pour diverses raisons, plusieurs contrats ont pris à défaut les assureurs concernés. Inévitablement ces derniers ont rapidement corrigé l’erreur pour ne pas prendre le risque d’un défaut ou d’un déséquilibre profond de leurs résultats.
Les 120 milliards estimés à ce jour pour les pertes d’exploitations 2020 sont inassurables par le secteur privé. On peut juger que cela est dommage mais il s’agit d’une simple réalité économique comme 1+1=2.
Seuls les croyants pensent que 1+1=3.
Je ne pense pas que les clients qui résilient leurs contrats d’assurance pour aller à la concurrence sont inélégants. Ils agissent uniquement comme des acteurs économiques rationnels qui cherchent à optimiser leur situation.
Les assureurs ont largement financé l’effort de solidarité lors de cette crise et sont victimes, hélas comme d’habitude, d’un jugement hâtif et erroné.
Dommage que cela soit relayé par des professionnels comme vous.
Bonjour Monsieur,
Je trouve votre raisonnement bien trop simpliste. Les 120 milliards concernent L’ENSEMBLE des pertes estimées.
Or la garantie Perte d’exploitation est une OPTION que souscrivent les assurés, il ne faut déjà prendre en compte que ceux-là (qui l’ont souscrite).
De plus, certains assureurs n’ont pas mentionné de pandémies ou épidémies, ce qui réduit encore le nombre d’établissements concernés.
Le débat est très différent concernant AXA...
Ils garantissent noir sur blanc la perte d’exploitation pour EPIDEMIE. Ils utilisent une clause d’exclusion peu claire et sujette à interprétation pour ne pas garantir ce risque (d’où la multitudes de procès... et de jugement différents...)
Vous en conviendrez que les assurés d’AXA payant une garantie, qui ne s’applique plus à cause d’une INTERPRÉTATION d’une clause, se sentent lésés...
Si la situation était si claire, les tribunaux ne prendrais pas des décisions divergentes et les assureurs n’aurait pas besoin de faire des avenants... d’où l’inélégance cité...
Concernant l’effort de solidarité de la part des assureurs, je trouve cela anormal.
Entendons nous bien : des assurés payent une garantie, qui ne s’applique pas. MAIS une partie de leurs cotisations se retrouvent dans ce fameux fond de solidarité, qui lui est redistribué à L’ENSEMBLE des entreprises...
Ne serait-il pas plus normal de la part des assureurs d’assumer leurs propres contrats ? Aurait-ils besoin d’abonder ce fond à part pour faire « bonne figure » ? ...
Cordialement,