Les officiers de police judiciaire, de la police ou de la gendarmerie nationales, conduisent leurs investigations sous la forme de l’enquête de flagrant délit ou en préliminaire. Le choix de la forme de l’enquête est guidé par les délais écoulés entre la réalisation des faits et la saisine des enquêteurs.
Lorsque les faits viennent de se produire, sous réserve qu’il s’agisse d’un délit ou d’un crime, l’enquête de flagrance est privilégiée, elle permet d’investiguer sans discontinuer pendant un délai de huit jours, qui peut être prolongé par le procureur de la République pour des infractions de 5 ans, pour une même durée.
Lorsque les faits ne sont pas constatés ou immédiatement portés à la connaissance de l’officier de police judiciaire, l’affaire est diligentée sous la forme préliminaire. La difficulté de cette forme d’enquête est la lenteur des investigations.
Les enquêteurs peuvent agir sur plainte d’une victime ou d’initiative. Lorsque l’enquête est menée d’office, les officiers de police judiciaire rendent compte au procureur de la République de son état d’avancement lorsqu’elle est commencée depuis plus de six mois. Toutefois, il ne s’agit que d’une simple information au magistrat sans conséquence sur la durée de l’enquête qui peut ainsi se poursuivre pendant plusieurs années.
Pour palier à cette difficulté, la loi du 20 novembre 2023 encadre la durée de l’enquête préliminaire. Dorénavant, la loi fixe les délais d’investigations et sanctionne le défaut de respect de la mesure.
I. Les délais d’investigations relatifs à l’enquête préliminaire.
La poursuite de l’enquête préliminaire est limitée dans sa durée, qui varie selon que l’infraction est de droit commun ou particulière. Par ailleurs, cette limitation soulève les conditions de son application.
1.1. Une durée liée à la nature des faits.
La durée de l’enquête préliminaire est différente selon la nature de la qualification des faits. La loi du 20 novembre 2023 fait une distinction entre les infractions de droit commun et celles de la criminalité organisée relevant des articles 706-73 ou 706-73-1 du Code de procédure pénale ou lorsque la compétence du procureur de la République antiterroriste (PNAT) est établie.
La règle de la limitation de la durée de l’enquête préliminaire est de 2 ans. Elle s’impose pour les enquêtes dans lesquelles une mesure d’audition libre, de garde à vue ou de perquisition a été conduite à l’encontre d’un ou plusieurs mis en cause. Le respect des délais s’applique immédiatement et individuellement à toutes les enquêtes ayant été initiées à compter du 23 décembre 2021.
Elle peut être prolongée une première fois pour une durée maximale d’un 1 à l’expiration des 2 ans. Cette prolongation accordée par le procureur de la République, sur autorisation écrite et motivée, est versée au dossier de la procédure. A l’issue de celle-ci, le même magistrat peut décider de la continuation de l’enquête pendant une nouvelle durée d’un 1, renouvelable une fois. La demande de prolongation exceptionnelle est adressée par les services d’enquête avant l’expiration du délai butoir. A cette occasion le procureur de la République exerce son contrôle sur la nécessité de la demande pour motiver son autorisation.
L’enquête préliminaire de droit commun peut donc atteindre une durée maximale de 5 ans.
Une durée spéciale de l’enquête préliminaire est prévue pour les crimes et délits visés aux articles 706-73 ou 706-73-1 du Code de procédure pénale ou relevant de la compétence du procureur de la République antiterroriste.
Le délai initial est alors de 3 ans, contre 2 ans pour les infractions de droit commun et une prolongation de 2 ans, contre 1 an pour les infractions de droit commun. La loi du 20 novembre 2023 n’envisage pas, dans ce cas particulier, de prolongation exceptionnelle. Les modalités relatives aux enquêtes de droit commun (suivi de la durée des enquêtes, point de départ du délai, calcul des délais en cas de suspension, modalités de prolongation) s’appliquent dans les mêmes conditions aux enquêtes portant sur les infractions relevant de la criminalité et délinquance organisée ou de la compétence du parquet national anti-terroriste.
Dès le début de l’enquête préliminaire, il est important de retenir la bonne qualification pénale et donc de vérifier la possibilité de retenir la circonstance aggravante de bande organisée ou la nature terroriste de l’affaire pour bénéficier du premier délai étendu de 3 ans. La prolongation est accordée sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République.
L’article 75-3 du Code de procédure pénale ne prévoit pas, pour les délais appliqués à la criminalité organisée ou entrant dans la compétence du parquet national antiterroriste d’étendre la durée de l’enquête préliminaire au delà de 5 ans.
Quelque soit le domaine du délai, droit commun ou particulier, la loi ne précise pas la nature de la motivation. Néanmoins, s’agissant de la première prolongation, la motivation pourrait être succincte, alors qu’en matière de prolongation exceptionnelle, elle devra être renforcée.
Dans le premier cas, la précision de l’indication des actes d’enquête restant à conduire apparaît suffisant.
Les deuxième et éventuelle troisième prolongations revêtant un caractère exceptionnel, leur motivation devra être renforcée. Elle devrait notamment, non seulement indiquer les actes à effectuer précisément, en évitant le recours aux instructions « effectuer tout acte utile à la manifestation de la vérité », mais également indiquer les raisons pour lesquelles, ils n’ont pas pu être réalisés pendant le premier délai de 2 ans et la première prolongation d’1 an.
L’autorisation devra indiquer la date de début et de fin du premier délai avec la référence de l’acte qui a fait courir ce premier délai (Procès-verbal d’audition libre, de garde à vue, de perquisition).
1.2. Les conditions d’application de la durée de l’enquête préliminaire.
Le point de départ du premier délai court, pour chaque mis en cause, à partir de l’audition libre, de la garde à vue ou de la perquisition réalisée à l’encontre de cette personne. Préalablement, la loi du 22 décembre 2021 fixait le point de départ du délai de l’enquête préliminaire à partir du premier acte, y compris lorsque celui-ci était intervenu dans le cadre d’une enquête de flagrance. Dans certains cas, une enquête débutée en flagrant délit peut, à l’issue des 8 jours renouvelable, se poursuivre sous la forme préliminaire.
Désormais, le délai d’enquête ne s’apprécie plus de façon globale, mais individuellement, à l’encontre de chaque personne mise en cause.
La durée de l’enquête préliminaire peut être suspendue dans les hypothèses suivantes :
- Pendant la période située entre le classement sans suite et la reprise de l’enquête
- En matière d’entraide internationale judiciaire.
Par ailleurs, en cas de jonction de procédure, le point de départ du délai de l’enquête préliminaire est précisé.
Le procureur de la République, lorsqu’il estime que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient, peut décider d’un classement sans suite.
Cette décision entraine de facto l’extinction de l’action publique. Il avise les plaignants et les victimes si elles sont identifiées de sa décision. Dans l’hypothèse de la reprise des investigations par le procureur de la République, la période située entre le classement sans suite et la reprise des investigations n’est pas prise en compte dans le calcul des délais.
En cas d’entraide judiciaire internationale, pendant le délai compris entre la signature de la demande par le parquet émetteur et la réception par ce même parquet des pièces d’exécution, la période est suspendue. En effet, l’autorité judiciaire française n’est pas comptable des délais de réponse des autorités étrangères, notamment lorsque les investigations sont conduites en matière d’affaires économiques et financières, qui par nature sont plus longues.
La modification du point de départ de l’enquête préliminaire s’explique par des investigations pouvant être conduites par des unités de gendarmerie ou des services de police différents. En effet, il est fréquent, pour la nécessité des investigations, que le dossier d’enquête fasse la navette entre différents services de police et d’unités de gendarmerie, parfois très éloignés les uns des autres. Le temps écoulé à cette occasion est pris en compte dans le calcul des délais, les actes n’ont pas d’effet suspensif.
En cas de jonction de procédures, le point de départ du délai de l’enquête préliminaire est celui de l’enquête la plus ancienne.
II. Les conséquences de la mise en œuvre de la loi du 20 novembre 2023.
La loi du 20 novembre 2023 ne déroge pas au respect du principe du contradictoire. Par ailleurs, l’instauration des délais fait naitre une interdiction de poursuite des investigations qui sont alors frappées de nullité.
2.1. Le respect du contradictoire.
L’article préliminaire de la procédure pénale dispose que celle-ci doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties. Le contradictoire est caractérisé par plusieurs principes, chaque partie doit être entendue ou appelée, les éléments produits en justice doit avoir été communiqué préalablement à l’adversaire. Le droit de consulter les dossiers est garanti, chaque partie peut être assistée d’un conseil.
Le principe du contradictoire comprend les éléments essentiels suivants :
- Le droit d’être entendue
- Le droit d’avoir accès aux éléments du dossier
- Le droit de présenter des observations.
Les parties à une enquête judiciaire sont le plaignant, la victime et la personne mise en cause. Chacun, dès lors qu’il est victime d’une infraction, à la possibilité de déposer plainte. Celle-ci est recueillie dans une unité de gendarmerie ou un service de police. Lorsqu’une enquête judiciaire débute sur l’initiative des enquêteurs, ces derniers vont identifier les victimes pour recueillir leur plainte ou leurs explications sur les faits. Lorsque la personne mise en cause est identifiée et interpellée, elle est entendue sous le régime de l’audition libre ou de la garde à vue. Quelque soit le statut de la partie, elle est ainsi appelée et entendue sur les faits. Elles peuvent, à cette occasion, présenter leurs éléments de preuve.
A tout moment de l’enquête préliminaire, les parties sont informées par le procureur de la République qu’une copie de tout ou partie du dossier de la procédure est mise à leur disposition. Ce magistrat peut néanmoins refuser la communication si l’enquête est toujours en cours et si cette communication risque de porter atteinte à l’efficacité des investigations. Il statue dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande, par une décision motivée et versée au dossier. À défaut, le silence vaut refus de communication. La personne à l’origine de la demande peut contester ce refus devant le procureur général, qui statue également dans un délai d’un mois à compter de sa saisine, par une décision motivée et versée au dossier.
Toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine privative de liberté peut demander au procureur de la République de prendre connaissance du dossier de la procédure. La demande est formulée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par déclaration au greffe contre récépissé, pour permettre à la personne interrogée dans le cadre d’une audition libre ou d’une garde à vue ou si elle a subi une perquisition de formuler ses observations.
Les actes mentionnées doivent avoir été réalisés il y a plus d’1 an. Pendant un mois après la réception de la demande, le procureur de la République ne peut prendre aucune décision de poursuites hors l’ouverture d’une information. Le magistrat peut décider de limiter la communication à certaines pièces de la procédure en raison des risques de pression sur les victimes, les autres personnes mises en cause ou lorsqu’il estime que cette décision risque de porter atteinte à l’efficacité des investigations.
Chaque partie peut formuler toutes observations qui lui paraît utile, notamment sur la régularité de la procédure, la qualification des faits pouvant être retenue, le caractère éventuellement insuffisant de l’enquête, la nécessité de procéder à de nouveaux actes qui seraient nécessaires à la manifestation de la vérité et sur les modalités d’engagement éventuel des poursuites ou le recours à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Les observations sont versées au dossier de la procédure. Le procureur de la République apprécie les suites à apporter à ces observations. Il en informe les personnes concernées. S’il refuse de procéder à un acte demandé, sa décision peut être contestée devant le procureur général.
2.2. L’exception de nullité relative à la durée de l’enquête préliminaire.
La nullité est la sanction qui invalide un acte juridique ou une procédure, en cas d’absence de l’utilisation d’une forme précise légalement imposée ou de l’absence d’un élément indispensable à son efficacité.
Le dépassement invalide d’un délai butoir emporte d’importantes conséquences, il implique la nullité des actes réalisés postérieurement aux délais prévus concernant un mis en cause, sans possibilité de régularisation. Il prive le procureur de la République de la possibilité de prolonger les investigations.
Ces dispositions s’appliquent à compter de la publication de la loi pour les enquêtes commencées après le 23 décembre 2021. La première décision des enquêteurs et des autorités de poursuite est le choix de la qualification simple ou en bande organisée pour déterminer le délai initial applicable, 2 ans dans le premier cas et 3 ans dans le second. Le procureur de la République, dans ses instructions, doit apporter une attention particulière au choix de la qualification pénale pour chaque mis en cause, dès le début de l’enquête.
Chaque affaire débutée depuis le 23 décembre 2021, doit faire l’objet d’un examen particulier pour déterminer si des auditions libres, des garde à vue ou des perquisitions ont été prises, ces actes constituant le point de départ des délais prescrits. Chaque enquête préliminaire, dont les délais ne sont pas dépassés, devant se poursuivre doit faire l’objet d’une demande de prolongation.
L’encadrement de la durée de l’enquête préliminaire, en matière de droit commun ou pour les infractions de criminalité organisée ou relevant de la compétence du procureur de la République antiterroriste contribue, incontestablement, à la stabilité juridique pour l’auteur des faits.
L’absence de respect des délais ouvre la possibilité de soulever la nullité des actes postérieurs à la durée prévue. Le procureur de la République et sous sa direction des officiers de police judiciaire sont contraints à un suivi des délais, sous peine de sanction des actes de procédure. Il convient de rappeler que cette mesure est applicable rétroactivement au 23 décembre 2021.