Etat de la prud’homie.

Par Rémy Poulain, Juriste.

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Explorer : # justice du travail # réforme prud'homale # paritarisme # formation des conseillers prud'hommes

Syndicats de salariés et organisations patronales partagent le même constat sur la situation de la juridiction prud’homale, et dressent une série de propositions pour remettre celle-ci en état de fonctionner correctement.

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Propositions paritaires pour une justice prud’homale renforcée.

Préambule.

L’organisation de la justice prud’homale française constitue, depuis plus de 215 ans, une singularité incontestée parmi les juridictions françaises et une exception française en Europe. Ainsi, la France se distingue par l’existence d’une justice du travail rendue, en première instance, par des juges issus des entreprises, salariés et employeurs, désignés respectivement par les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives, au sein de juridictions autonomes, avec une possibilité d’intervention d’un juge de carrière départiteur.

Les partenaires sociaux souhaitent rappeler leur attachement à la particularité de la justice du travail en France et au fonctionnement de cette dernière. La justice du travail est historiquement attachée au paritarisme. La force de la justice prud’homale repose sur la connaissance des conseillers prud’hommes du monde de l’entreprise, des réalités des professions et des secteurs d’activité et sur une justice de proximité essentielle pour les justiciables. La justice prud’homale a connu une réforme récente avec la loi nᵒ 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques et son décret d’application du 20 mai 2016.

L’objectif de cette réforme affiché par le législateur était double. Il s’agissait de mieux garantir l’efficacité de la justice prud’homale et sa célérité par une plus grande professionnalisation des conseillers prud’hommes et leur obligation de suivre une formation initiale ainsi que par la révision de la procédure prud’homale instaurant des circuits de procédure courts, avec les nouvelles orientations du bureau de conciliation et d’orientation et sa faculté à juger directement les affaires.

Cette réforme avait aussi pour objectif de perfectionner la justice du travail en France qui suscite de fortes attentes et qui doit répondre à de grandes exigences de la part des acteurs de cette justice et des justiciables. Si certains effets de la réforme et de son décret d’application ne sont peut-être pas encore pleinement visibles, force est de constater que les mesures de la réforme n’ont pas eu vraiment l’efficacité attendue, voire qu’elles ne sont pas toujours appliquées. Dans ce contexte, pour continuer de répondre à ces attentes, les partenaires sociaux ont souhaité considérer la question du fonctionnement de la justice du travail et ont décidé d’inscrire ce sujet à l’agenda social et économique paritaire autonome fixé par les partenaires sociaux pour 2021-2022.

Dans ce cadre, les partenaires sociaux ont examiné successivement les aspects suivants de la justice du travail :
- l’organisation de la justice prud’homale ;
- la désignation des conseillers prud’hommes ;
- la formation des conseillers prud’hommes ;
- les procédures prud’homales ;
- les moyens de la justice du travail ;
- le fonctionnement du conseil supérieur de la prud’homie.

Les partenaires sociaux ont identifié des aspects positifs ou des bonnes pratiques mais également les difficultés de la justice du travail, puis ont envisagé des pistes de consolidation afin de renforcer l’efficacité de la justice prud’homale.

Deux types de propositions distinctes ont été identifiés : d’une part, des mesures dont la mise en œuvre nécessite une intervention des pouvoirs publics, des pouvoirs réglementaire ou législatif ; d’autre part, des mesures très opérationnelles qui relèvent davantage des bonnes pratiques des acteurs ou parties prenantes de la justice du travail et dont le développement engage, à ce titre, les partenaires sociaux signataires du présent document.

Les partenaires sociaux souhaitent préciser que ces propositions n’ont pas pour objet de remettre en cause l’organisation de la justice prud’homale spécifique en France à laquelle ces derniers ont précédemment rappelé leur profond attachement. Ces propositions ont pour objectif de renforcer son organisation actuelle et son efficience.

Par ailleurs, les partenaires sociaux considèrent que ce travail paritaire est une première étape importante mais doit s’inscrire dans une démarche à plus long terme d’examen permanent de la justice prud’homale. L’amélioration et le renforcement de la justice du travail doit être une préoccupation constante des partenaires sociaux et des pouvoirs publics. Les partenaires sociaux proposent que cette veille permanente de la justice du travail se poursuive au sein du conseil supérieur de la prud’homie.

Dans cette perspective, les partenaires sociaux proposent les pistes d’améliorations suivantes concernant le conseil supérieur de la prud’homie. Les partenaires sociaux demandent aux pouvoirs publics de s’assurer que les avis unanimes des membres du conseil supérieur de la prud’homie soient mieux pris en compte et notamment lors des consultations sur les projets de lois ou de règlements. Le conseil supérieur de la prud’homie doit exercer une véritable influence sur les décisions relatives à l’organisation de la justice du travail. Les partenaires sociaux proposent de favoriser les initiatives des organisations syndicales de salariés et des organisations patronales dans la fixation de l’ordre du jour des réunions du conseil supérieur de la prud’homie. A cet égard, la commission permanente pourrait être un lieu de préparation des ordres du jour du conseil supérieur de la prud’homie.

Afin que les membres du conseil supérieur de la prud’homie puissent traiter efficacement l’ensemble des sujets de la justice du travail dans des délais raisonnables, les partenaires sociaux proposent qu’un échéancier annuel des réunions soit fixé par les pouvoirs publics, que les réunions du conseil supérieur de la prud’homie soient organisées de façon plus régulière et que les documents utiles et l’ordre du jour des réunions soient communiqués aux membres du conseil supérieure de la prud’homie dans des délais raisonnables. Les partenaires sociaux proposent également que l’espace collaboratif mis à la disposition des membres du conseil supérieur de la prud’homie par les pouvoirs publics soit davantage utilisé, tout particulièrement afin de communiquer les documents utiles.

L’objet de cette position commune paritaire est de dresser la liste des propositions susceptibles de renforcer la justice du travail, avec un triple objectif : consolider les conseillers prud’hommes dans leurs fonctions, accroître les moyens de la justice prud’homale et optimiser les procédures prud’homales.

1. Ancrer / consolider les conseillers prud’hommes dans leurs fonctions.

Les partenaires sociaux constatent, au regard des données chiffrées relatives aux désignations initiales et complémentaires de conseillers prud’hommes au cours du cycle 2018-2022 communiquées par l’administration, des difficultés à identifier des candidats volontaires répondant aux critères de désignation et à maintenir en poste les conseillers pendant la durée du cycle de désignation. Lors du renouvellement général des conseils de prud’hommes, en décembre 2017, 13 482 conseillers ont été nommés, pour 14 512 sièges à pourvoir, laissant vacants 1 030 sièges, soit 7,1 %. La désignation initiale ne suffit donc pas à pourvoir tous les sièges de conseillers prud’hommes. Comme le montrent les chiffres fournis par l’administration relatifs aux désignations complémentaires, les pouvoirs publics ont régulièrement procédé à des désignations complémentaires durant le cycle 2018-2022.

De fait, ce sont plus de six campagnes de désignations complémentaires qui ont dû être menées depuis 2018. Pourtant, à l’issue de ces désignations complémentaires, entre 7 et 8% des sièges restaient vacants. La première désignation complémentaire, le 12 avril 2018, a permis de nommer 564 conseillers, 1 207 sièges étant à pourvoir, compte tenu de démissions intervenues depuis le début du mandat. Cela représentait 8% de la totalité des conseillers prud’hommes et 47% des sièges ouverts à candidature pour la désignation complémentaire, laissant ainsi 643 sièges vacants, soit 4% des sièges ouverts à candidature. Un arrêté de nomination publié plus récemment, daté du 18 juin 2021, a permis de nommer 408 conseillers, 1291 sièges étant à pourvoir. Cela représentait 9% de la totalité des conseillers prud’hommes et 32% des sièges ouverts à candidature pour la désignation complémentaire, laissant ainsi 883 sièges vacants, soit 6% des sièges ouverts à candidature. Il ressort de ces chiffres de l’administration qu’il y a une vacance résiduelle et continue de sièges de l’ordre de 4 à 5% des sièges à pourvoir.

Ces vacances sont concentrées dans certaines sections, notamment dans l’agriculture. Ainsi, un certain nombre de postes demeurent vacants, qu’ils n’aient pas pu être pourvus, faute de candidats, à l’occasion de la désignation initiale ou des désignations complémentaires ou que ces vacances résultent notamment des démissions intervenues, pour diverses raisons, en cours de mandat. En effet, les démissions sont relativement fréquentes, et conduisent à des mouvements au sein des conseils de prud’hommes. Les partenaires sociaux ont identifié plusieurs explications aux difficultés relatives aux règles de répartition et d’attribution des sièges de conseil de prud’hommes.

Tout d’abord, la répartition des sièges entre sections et conseil de prud’hommes ne correspond pas nécessairement à la structure économique du lieu du conseil de prud’hommes, ce dont il résulte parfois des difficultés pour les organisations patronales et syndicales de salariés représentatives à trouver des employeurs et des salariés candidats répondant aux conditions dans les sections disposant des sièges vacants de conseillers prud’hommes.
Par ailleurs, l’attribution des sièges de conseillers prud’hommes du collège employeur aux « particuliers employeurs » employant du personnel durant des périodes très réduites n’est pas toujours adaptée. De plus, la règle de la parité femme-homme telle que définie actuellement complique parfois la recherche de candidats aux fonctions de conseillers prud’hommes.

Certaines organisations auxquelles sont attribués des sièges ont des difficultés à trouver des candidats aux fonctions de conseillers prud’hommes au regard des moyens qui sont attribués. Les chiffres révèlent des difficultés relatives à l’organisation des désignations complémentaires, à la fois pour identifier les postes vacants et pour trouver des candidats au moment des désignations.

Les partenaires sociaux ont également identifié d’autres éléments permettant d’expliquer ces difficultés à attirer de nouveaux candidats, à recruter des candidats motivés et à retenir les conseillers prud’hommes dans leurs fonctions. La mobilité et les changements de situation professionnelle des conseillers prud’hommes peuvent expliquer une partie de ces difficultés. Certains conseillers prud’hommes sont parfois découragés devant l’ampleur et la complexité de leur fonction. La valorisation insuffisante et un manque d’attractivité de la mission de conseillers prud’hommes peuvent également être un facteur d’explication. Enfin, une partie de ces difficultés peut s’expliquer par des formations insuffisamment adaptées, notamment en l’absence d’indemnisation du temps passé par les conseillers du collège « employeur ».

Ces constats et leur analyse ont conduit les partenaires sociaux à formuler les propositions d’améliorations suivantes :

1.1. Faciliter la désignation des conseillers prud’hommes et soutenir leur engagement.

• Adapter la répartition des conseillers prud’hommes en fonction des évolutions démographiques, économiques et contentieuses :
✓ Réviser régulièrement les règles de répartition des sièges entre conseils de prud’hommes et sections afin d’ajuster, le cas échéant, le nombre de conseillers prud’hommes au nombre de dossiers, sans remise en cause de la carte judiciaire et dans le respect du principe de proximité de la justice prud’homale au terme des mandatures quadriennales
✓ communiquer sur la possibilité, reconnue par le ministère de la justice, d’adapter temporairement la répartition des sièges par section par simple ordonnance du Président du conseil de prud’hommes
• Veiller à :
✓ d’une part, informer les candidats sur les enjeux liés à la fonction, sur les missions et le temps passé comme conseillers prud’hommes
✓ d’autre part, étudier les profils des candidats au regard de leur motivation et leur disponibilité
• Ajuster les règles de désignation des conseillers prud’hommes :
✓ permettre la désignation des conseillers prud’hommes en activité sur des conseils de prud’hommes limitrophes
✓ mettre en place un portail permanent qui permette de désigner tout au long du mandat et en dehors de toute opération de désignation complémentaire spécifique des conseillers prud’hommes ✓ Encourager la pratique consistant pour une organisation n’ayant pas de candidat à proposer des candidats d’une autre organisation
✓ Sécuriser les règles relatives aux désignations complémentaires, notamment le recensement des sièges vacants, par exemple, en assouplissant le formalisme des démissions et faciliter l’information des organisations syndicales de salariés et patronales détenant le poste de conseillers prud’hommes afin de pouvoir rechercher rapidement un remplaçant
✓ Assouplir les règles de parité femmes/hommes dans le cadre des désignations complémentaires en autorisant un écart réduit d’un ou deux sièges entre les femmes et les hommes afin de faciliter la recherche de candidats.

1.2. Renforcer et adapter les formations des conseillers prud’hommes.

• Rendre les formations continues obligatoires (3 sessions par an)
• Anticiper la formation et renforcer l’accompagnement des conseillers prud’hommes
• Faciliter l’accès à la formation pour les conseillers prud’hommes :
✓ sensibiliser les organismes de formation continue à la nécessité de les rendre plus accessibles aux conseillers prud’hommes en permettant notamment la dématérialisation et la numérisation des outils de formation et d’accompagnement des conseillers en complément des formations en présentiel
✓ Encourager le développement, dans la mesure du possible, de la mise à disposition d’une aide en ligne (téléphonique, numérique, veille etc.) pour les conseillers prud’hommes, par les organisations syndicales de salariés et d’employeurs ou les organismes de formation, dans le respect des règles de sécurité numérique
• Veiller à la nécessité d’actualiser, préciser, compléter le contenu des formations continues (par exemple, en ciblant davantage la formation dans certains domaines : conciliation, rédaction des jugements) • Actualiser régulièrement le cadre réglementaire applicable aux formations continues
• Organiser une évaluation des formations initiales dispensées par l’école nationale de la magistrature (ENM) dans le cadre du Conseil supérieur de la prud’homie avant 2025

1.3. Revaloriser la place des conseillers prud’hommes au sein de l’organisation judiciaire.

• Renforcer la dimension juridictionnelle des conseils de prud’hommes, par :
✓ le rétablissement des prérogatives des présidents et vice-présidents de conseil de prud’hommes qui permettent d’en faire de véritables chefs de juridiction (participation au pouvoir disciplinaire et pouvoir budgétaire)
✓ la généralisation d’une conférence des présidents et vice-présidents , instance de dialogue, pour délibérer sur des sujets d’intérêts communs, afin d’harmoniser les bonnes pratiques et prévoir les modalités de participation à ces conférences dans le règlement intérieur de chaque conseil de prud’hommes
• Sensibiliser les chefs de cours d’appel et présidents de tribunaux judiciaires, à la nécessité d’accorder au bon fonctionnement des conseils de prud’hommes, la même attention que celle qu’ils accordent aux autres juridictions de leur ressort.
• Favoriser les relations entre les magistrats professionnels et les conseillers prud’hommes tout en valorisant la spécificité de la juridiction prud’homale.
• Mener une réflexion sur le renforcement des symboles, notamment sur le port de la robe au même titre que les magistrats professionnels.
• Généraliser la pratique consistant à permettre aux nouveaux conseillers prud’hommes venant de prêter serment d’assister en observateur aux audiences et délibérés de conseils de prud’hommes.

2. Accroître les moyens de la justice prud’homale.

Les partenaires sociaux considèrent que le budget de la justice est notoirement insuffisant depuis de longues années, en dépit d’une augmentation significative décidée par les pouvoirs publics, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ayant prévu un relèvement significatif du budget du ministère de la justice ainsi qu’une augmentation de ses emplois sur la même période.

En 2021, le budget de la justice est d’environ 8,2 milliards. Il devrait poursuivre sa hausse en 2022, avec environ 9 milliards d’euros de budget. Les partenaires sociaux observent que les moyens financiers et humains mis à la disposition des conseils de prud’hommes sont souvent insuffisants. Tout d’abord, il a été constaté que les services de greffes sont parfois en effectifs insuffisants, avec des équipes de greffes très réduites et que le bon fonctionnement de certains conseils de prud’hommes dépend fortement d’un engagement important des fonctionnaires du greffe.

De plus, les partenaires sociaux ont pu constater la grande diversité des conditions matérielles des conseils de prud’hommes. Si certains conseils de prud’hommes bénéficient de locaux neufs, parfois dans un bâtiment partagé avec une autre juridiction, d’autres se trouvent dans des locaux plus ou moins vétustes. Tous les conseillers prud’hommes ne disposent pas d’une salle d’audience permettant de rendre la justice dans les conditions de solennité qui seraient souhaitables. Par ailleurs, les moyens informatiques mis à la disposition des conseillers prud’hommes sont souvent insuffisants.

Enfin, l’indemnisation des conseillers prud’hommes est faible, ce qui freine l’attractivité de la fonction. De plus, il a été relevé un manque de fiabilité et de simplicité s’agissant de l’indemnisation des conseillers prud’hommes, avec parfois des indemnisations versées aux conseillers avec un retard conséquent.

Ces constats et analyses ont conduit les partenaires sociaux à formuler les propositions d’amélioration suivantes :

2.1. Améliorer les ressources et financements de la justice du travail.

• Demander aux pouvoirs publics d’augmenter les moyens de la justice prud’homale.
• Envisager la création d’un fonds dédié au financement de la justice prud’homale nécessitant un financement spécifique résultant d’une contribution directe des pouvoirs publics.

2.2. Renforcer les moyens matériels et humains de la justice prud’homale (personnels, locaux, outils de travail).

• Renforcer les moyens humains dédiés aux missions de la justice prud’homale : recruter des greffiers mais également des assistants de justice ou des juristes assistants ; rétablir l’autonomie des greffes pour les conseils de prud’hommes d’une certaine importance qui ont des locaux séparés des Tribunaux Judiciaires.

• Mener une grande campagne de recrutement des greffiers financée par le ministère de la justice (formés par l’école nationale des greffes) et améliorer l’attractivité de la fonction auprès des conseils de prud’hommes.

• Améliorer les locaux mis à disposition des conseillers prud’hommes :
✓ faciliter l’accès aux salles de jugement et garantir de bonnes conditions pour les délibérés en proposant des salles adaptées ;
✓ favoriser l’organisation d’audiences foraines afin de rendre plus accessible la justice ;
✓ rationnaliser les implantations immobilières de conseils de prud’hommes en fonction de l’activité réelle et de la situation géographique au terme d’un audit.

• Développer et accroître les moyens informatiques et les outils numériques permettant aux conseillers prud’hommes de travailler à distance (délibéré en visioconférence, signatures électroniques, mise à disposition des pièces dématérialisées, connexions wifi, etc.).

2.3. Renforcer les outils juridiques et pratiques à destination des conseillers prud’hommes.
• Développer l’accès aux bases de données et aux ressources juridiques en ligne internes au ministère de la justice, les faire connaître et mieux former les conseillers à l’utilisation de ces outils ;
• Diffuser un guide de bonnes pratiques relatif au fonctionnement des conseils de prud’hommes ;
• Mettre à disposition des conseillers prud’hommes des outils d’aide à la rédaction des jugements (trames de jugement etc.), tout en garantissant l’indépendance des conseillers prud’hommes.

2.4. Réévaluer et sécuriser l’indemnisation des conseillers prud’hommes.

• Augmenter l’attractivité de l’indemnisation des conseillers prud’hommes en s’appuyant sur les travaux déjà effectués dans le cadre du conseil supérieur de la prud’homie qui doit contribuer au travail permanent de renforcement de la justice du travail :
✓ réévaluer l’indemnité horaire notamment pour réduire les écarts entre celle versée aux conseillers « employeurs » et celle versée aux conseillers « salariés » ;
✓ indemniser le temps de formation pour les conseillers prud’hommes « employeurs » (notamment pour les actions de formations continues) pour réduire les écarts entre les indemnités versée aux conseillers « employeurs » et celle versée aux conseillers « salariés » ;
✓ réviser les règles d’exonération fiscale des indemnités perçues lors du mandat ;
✓ augmenter le temps de préparation des dossiers notamment pour la conciliation ;
✓ reconnaitre les compétences acquises dans le cadre de la validation des acquis d’expérience (VAE) ;
✓ revaloriser les frais de déplacement.

• Garantir l’indemnisation rapide des conseillers prud’hommes : automatiser et sécuriser la gestion de l’indemnisation des conseillers prud’hommes et le paiement des frais de déplacement en développant des outils permettant d’alléger ou simplifier la charge des greffes (par exemple, en rendant les fiches de paie plus lisibles).

3. Optimiser les procédures prud’homales.

Les partenaires sociaux relèvent que le nombre de saisines des conseils de prud’hommes a connu une baisse de 18% entre 2015 et 2016, puis de 16% de 2016 et 2017, 6% en 2018. Cette tendance baissière qui s’accélère en 2016 est plus marquée pour le référé : de 100 demandes en référé en 2004, on passe à 47 en 2018, alors que le rapport est de 100 à 60 pour les demandes formées au fond. Cette baisse plus rapide contribue à réduire la proportion d’affaires introduites en référé sur l’ensemble des affaires. Cette procédure est passée de plus de 20% des demandes jusqu’en 2010, à 15,9% en 2017, et 17,2% en 2018. Au total, en dix ans, le nombre de recours devant les prud’hommes a été presque divisé par deux.

Néanmoins, le nombre de saisines a fortement diminué sans réduire les délais de jugement qui demeurent longs. Selon une étude de 2019 du ministère de la justice, les décisions tranchant le fond du litige sont prononcées au bout de 19,4 mois. Pour le traitement des affaires, une moyenne de 17 mois est nécessaire. En outre, au 1er janvier 2019, la durée moyenne d’une affaire restant au stock avant d’être traitée est de 15,2 mois alors qu’en 2010 l’âge du stock fut de 10,2 mois. La durée moyenne des affaires terminées en 2018 en formation de départage est de 32,1 mois pour le conseil de prud’hommes, à titre de comparaison, la durée des affaires terminées pour les tribunaux de commerce est de 8,8 mois. La conciliation devant le bureau de conciliation et d’orientation reste trop marginale, en effet, le nombre d’affaires résolues par voie de conciliation est particulièrement faible, puisqu’il était en moyenne de 8 % en 2018, variant de 0 à 26 % d’un conseil de prud’hommes à l’autre. Le nombre de recours devant la cour d’appel reste élevé, pourtant le nombre de confirmations en appel est important.

Il est constaté également qu’il y a davantage d’appels en cas de départage. Les partenaires sociaux ont identifié plusieurs éléments pouvant expliquer ces constats liés à la procédure prud’homale. Les partenaires sociaux considèrent tout d’abord, que les statistiques des pouvoirs publics ne sont pas forcément très actualisées ou complètes en matière de procédure prud’homale. Il est également important de préciser que l’allongement des délais peut s’expliquer en partie par un manque de moyens de la justice prud’homale. Toutefois, d’autres facteurs doivent être considérés.

Tout d’abord, la complexification des affaires et des contentieux de plus en plus conflictuels entraînerait un allongement des durées de procédures. En effet, en 2018, la part des contestations du motif de la rupture n’a cessé d’augmenter. En 2018, ces affaires représentent 79,9% de l’ensemble des demandes, les litiges concernent très majoritairement le motif non économique du licenciement (78,3% de l’ensemble des recours et 98% des contestations du motif de licenciement). Corrélativement, les autres demandes formées à titre principal dans le cadre d’une rupture de contrat de travail (demandes en paiement de créances salariales, 8 d’indemnités de licenciement, contreparties d’une clause de non-concurrence etc.), 12,2% en 2018.

On rappellera qu’en 1990, les demandes liées à une rupture du contrat de travail sans contestation de son motif représentaient près de la moitié des saisines. L’allongement des délais est souvent le fait des avocats qui prolongent la mise en l’état des dossiers.

Enfin, le stock de dossiers en cours peut rester élevé et expliquer le ralentissement du traitement des affaires dans certaines juridictions. Le taux d’appel s’explique par la matière conflictuelle. Certaines difficultés ont également été identifiées dans les formations de départage, en effet, le rôle de juge départiteur est souvent attribué par défaut, avec un temps limité à y consacrer, il a été observé que la collégialité est parfois mal respectée en départage.

Ces constats et analyses ont conduit les partenaires sociaux à formuler les propositions d’améliorations suivantes :

3.1. Favoriser la conciliation.
• Recentrer le bureau de conciliation et d’orientation sur sa mission de conciliation, notamment en encourageant la qualité de la préparation de l’audience ;
• Obtenir le rétablissement de la comparution volontaire des parties, c’est-à-dire la possibilité pour les parties de se présenter directement devant les conseils de prud’hommes pour faire valider un accord de conciliation ;
• Sensibiliser le justiciable à l’importance de se présenter à l’audience de conciliation pour favoriser un accord entre les parties ou de préparer la conciliation avec leur représentant, le cas échéant.

3.2. Accélérer et simplifier les procédures.

• Mettre en place une grande campagne nationale permettant de réduire les stocks des affaires en cours pour assainir la situation afin de revenir à une situation normale par l’allocation temporaire de moyens exceptionnels ;
• Evaluer la règle permettant de transformer le bureau de conciliation et d’orientation en bureau de jugement à deux (fréquence d’application, efficacité) et envisager des évolutions le cas échéant ;
• Optimiser l’activité des conseillers en privilégiant l’inscription d’un nombre minimum d’affaires au rôle pour qu’une audience soit assurée (minimum de quatre affaires idéalement) ;
• Exploiter pleinement les sanctions civiles pour accélérer/réduire la durée de traitement des affaires (caducité, radiation, ordonnance de clôture) ;
• Rapprocher autant que possible les dates de délibéré du bureau de jugement, dans un souci de cohérence des décisions rendues ;
• Limiter le recours au juge départiteur notamment sur les mesures provisoires en bureau de conciliation et d’orientation (tel que les demandes de remise de document de fin de contrat ou de bulletin de paie) ;
• Evaluer la règle en vigueur permettant un renvoi direct au bureau de jugement à cinq avec départiteur ;
• Faciliter la rédaction des jugements à tour de rôle pour tous les conseillers volontaires et pas seulement par le président du conseil de prud’hommes ;
• Eviter les annulations d’audience, soit par le remplacement des conseillers absents par des conseillers d’autres chambres ou sections soit directement par le traitement du dossier par une autre chambre ;
• Sensibiliser les bâtonniers à la nécessité de diminuer les demandes de renvoi formulées par les avocats.

3.3. Evaluer et encadrer les procédures.

• Mesurer l’activité des conseils de prud’hommes : taux de conciliation, délai de traitement des affaires, taux de condamnation, taux de recours, résultat des recours ;
• Permettre aux conseillers prud’hommes de systématiquement recevoir, par mail ou sur une plateforme numérique dédiée, les jugements auxquels ils ont participé lorsqu’ils sont mis à la disposition des parties, et d’être tenus au courant des suites de leurs jugements ;
• Améliorer la coordination avec les juges de carrière dans les procédures :
✓ assurer pleinement la participation des conseillers prud’hommes aux audiences et surtout aux délibérés de départage (respecter l’obligation de délibérer jusqu’au terme de la procédure ; améliorer le dialogue entre les juges départiteurs et les conseillers prud’hommes dans le cadre des délibérations ; rendre obligatoire le relevé de délibéré) ;
✓ renforcer les motivations des décisions de renvoi à la formation de départage pour faire connaître au juge départiteur les points de désaccord entre les conseillers prud’hommes sous réserve du respect du secret des délibérés ;
✓ sensibiliser les juges de carrière au monde de l’entreprise, notamment dans le cadre de leur formation initiale et continue.

R. Poulain
Juriste droit du travail

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Discussions en cours :

  • Il est intéressant de lire que, dans le cadre de leur propre agenda social, les partenaires sociaux arrivent à faire le tour des heurts et malheurs de la juridiction prud’homale pour essayer de dégager des pistes communes pour la sortir des affres qui l’accablent.

    Un travail et une réflexion hautement nécessaires car on sait que rarement une institution judiciaire n’aura été mise plusieurs fois de suite sur le devant la scène dans un temps législatif aussi rapproché pour être réformée puisque largement critiquée et critiquable dans son fonctionnement cahin caha.

    Ce ne sont en effet pas moins de trois lois, de deux gouvernements successifs, qui sont venues l’une après l’autre prétendre réformer la procédure prud’homale avec la promesse sociale de l’améliorer enfin.

    Pour mémoire, la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Et puis enfin, la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, ratifiant l’ordonnance du 22 septembre 2017 sur le renforcement du dialogue social.

    Mais comme disait un humoriste : « le canard est toujours vivant ! » (lire : le problème est toujours présent).

    En attente d’une prochaine et nouvelle salve ?

    Patrick LE ROLLAND
    Auteur de : « Les prud’hommes pour les nuls ».

    • par Ferté J-P , Le 7 janvier 2022 à 02:44

      Ce Constat de la pauvreté de la justice du travail en France est certes intéressant mais pas nouveau. (37 années de CPH).
      De tous temps, dans la justice, seul le pénal est considéré comme la voie royale, le garde des sceaux actuel en est la pure démonstration. Et c’est tellement médiatique !
      Le reste c’est pour les gueux.
      De plus il est oublié l’impact des réformes précédentes : au 1er mai 2008 (Présidence Sarkozy), sous prétexte d’obésité, réforme du Code du travail qui passe de 1851 articles à 3652 articles ; réforme Dathi qui supprime 62 CPH.
      Constat consensuel et incolore et inodore, mais qui a le mérite d’exister.
      C’est oublier qui a intérêt à ce que les CPH ne fonctionnent pas correctement : les employeurs.
      Je n’oublierai jamais cette note de 1985 du MEDEF de l’époque, indiquant aux conseillers employeurs comment bloquer les Conseils de Prud’hommes ! Comment réussir à passer entre les mailles du filet.
      La durée de la procédure : pour l’employeur, peut importe, pendant ce temps, même si au final il est condamné, son entreprise a continué à fonctionner et à gagner de l’argent ; de plus c’est rarement de l’agent personnel mais celui de l’entreprise, c’est prévu et provisionné dans les bilans comptables. Ce qui est recherché c’est l’épuisement financier et psychologique du salarié, qui lui est dans l’urgence économique suite à la rupture du contrat de travail, qui ne vient jamais devant un tribunal "la fleur au fusil". Il est souvent enclin, et toutes les réformes évoquées vont dans ce sens, à accepter des accords, des transactions au rabais.
      La complexité de la procédure : les ordonnances Macron l’ont rendue encore plus inaccessible au commun des mortels, une autre façon de dissuader les salariés de réclamer leur dû, cela combiné avec les ruptures conventionnelles réelles ou fictives explique la chute importante des dossiers.
      Par contre il faut saluer l’engagement et le dévouement des Conseillers et des greffiers qui, contre vents et marées, veulent rendre une justice de qualité au service citoyen.

  • Dernière réponse : 6 janvier 2022 à 15:14
    par Jipé , Le 3 janvier 2022 à 18:49

    Article très intéressant ; le rédacteur connaît parfaitement la juridiction, ses spécificités, ses problèmes.
    Il n’a jamais été facile de réformer les règles de la justice prud’homale ; beaucoup de parties prenantes : des organisations syndicales de salariés pas toujours toutes sur la même longueur d’onde, des organismes patronaux qui peinent à trouver des conseillers, le Ministère de la justice et celui du travail, les magistrats professionnels, les personnels des greffes, les avocats et les justiciables souvent peu rassurés surtout lorsque bien souvent c’est la première fois qu’ils viennent dans un palais de justice.
    Les préconisations développées dans cette publication sont intéressantes.
    Les problèmes que je connais ne sont pas nouveaux , je suis resté 19 ans conseiller dans le collège salarié et actuellement chargé de la formation continue des conseillers en place.
    Les postes vacants pour cause de carences de candidats sont un réel problème de même que le manque de formation ( certains conseillers prud’hommes n’utilisent pas leur droit à formation hormis les 5 jours obligatoires dispensés par l’ENM)
    Les délais de procédures sont toujours longs malgré la baisse du nombre de saisines ; les causes principales sont les multiples demandes de renvois ( demandeurs ou défendeurs ou plutôt leurs conseils ne sont souvent pas en état de plaider à la date prévue )
    Les moyens matériels sont obsolètes , traitement de texte des greffes version Windows XP , conseillers qui recherchent les jurisprudences et rédigent les jugements sur leurs propre matériel ou sur papier pour ceux qui n’ont pas de PC portable .
    Pour terminer je reste optimiste, ce mandat de magistrat non professionnel de l’ordre judiciaire est souvent assuré par des hommes et des femmes engagées et passionnés, ils ont l’habitude d’assimiler les réformes continues du droit social.
    Jipé

    • par CARREL , Le 6 janvier 2022 à 10:04

      Je tenais à vous remercier pour cet état des lieux très détaillé et bien conscient de la réalité de l’état des juridictions prud’homales. En espérant que ces rendez-vous aboutissent à une évolution et tout particulièrement sur l’utilité d’une véritable conciliation voire de proposer des médiations.
      AC

    • par Rémy Poulain , Le 6 janvier 2022 à 15:14

      Si le rédacteur connait parfaitement la juridiction, c’est qu’il s’agit des Syndicats de salariés et organisations patronales. C’est un texte collectif, malheureusement resté dans la confidentialité.

      Cette institution ne survit que grâce à l’engagement civique des conseillers. Mais les bonnes volontés viennent à manquer, comme pour d’autres engagements civiques, individuels et collectifs, en témoignent l’abstention aux élections, ou la baisse de candidats aux élections municipales : https://www.senat.fr/questions/base/2019/qSEQ190108560.html

  • Tout d’abord une bonne année a tous.

    Un point me semble aussi mérite d’être révisé.
    Dans le droit fil de "l’esprit" de la juridiction prud’homale, l’action des défenseurs syndicaux a été injustement limitée par le texte de la sixième ordonnance, a priori dans le seul objectif de contrecarrer l’avis antérieur du conseil d’état. Cette mesure particulièrement injuste ne trouve aucun fondement légal ou pratique :
    Combien même mon permis de conduire m’a été délivré par le préfet de mon département il n’en est pas moins valable dans toutes les autres régions voir même sur toute la planète. Je dois juste pouvoir en justifier aux autorités sur simple réquisition.
    Dès lors rien ne prive techniquement un défenseur désigné dans la région X de défendre dans la région Y.
    Je crois que le dialogue et la mission des organisations syndicales n’en serait que renforcé, et par la même la mission des CPH désignés par les mêmes facilitée. Mais est ce là la réelle volonté de l’exécutif ?

    • par remy poulain , Le 3 janvier 2022 à 16:14

      Il y a une différence notable entre la délivrance d’un permis de conduire et la désignation d’une mission.

      Le permis de conduire est une habilitation personnelle et individuelle.

      La mission de défenseur syndical est personnelle mais elle est liée au syndicat, c’est donc une décision liée à une structure collective : l’organisation syndicale.

      De même, les avocats ne peuvent plaider où ils le souhaitent : ils sont rattachés à un barreau, d’où l’existence des postulants.

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