Exécution d’une ordonnance d’injonction de payer européenne.

Par Laurent Latapie, Avocat.

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Explorer : # injonction de payer européenne # exécution des jugements # contestation judiciaire # règlement européen

Qu’en est-il en France de l’exécution par les autorités et auxiliaires de justice d’une ordonnance d’injonction de payer européenne ? Qu’en est-il de cette exécution lorsque la société débitrice a fait l’objet d’une liquidation judiciaire en France ?

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Il convient de s’intéresser à une jurisprudence de juin 2019 qui vient aborder la problématique de l’exécution d’une ordonnance d’injonction de payer européenne.

Il convient de rappeler que l’abolition de l’exequatur au niveau européen a été mise en place par le règlement n° 1896/2006 du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer. L’injonction de payer européenne peut être signifiée ou notifiée au défendeur, conformément au droit national de l’Etat dans lequel la signification ou la notification doit être effectuée.

Dans cette affaire, à la requête de la société B, une ordonnance d’injonction de payer européenne datée du 23 septembre 2015, signifiée le 28 décembre 2015 à la société BH, a été rendue exécutoire par le Tribunal de La Haye le 17 février 2016. La société B a fait procéder le 12 avril 2016, en France, à une saisie-attribution et a fait délivrer un commandement à fins de saisie-vente. Contestant en France la régularité de la signification de l’ordonnance d’injonction de payer européenne, la société BH a demandé la mainlevée des saisies au Juge de l’exécution français.

Par la suite, la société BH a été mise en liquidation judiciaire, Maître L a été désigné en qualité de liquidateur et a poursuivi la procédure. La société BH faisait grief à l’arrêt d’avoir confirmé le jugement du Juge de l’exécution en ce qu’il l’avait déboutée de ses demandes de mainlevée des saisie-attribution et saisie-vente.

En premier lieu, la société BH considérait que si le code des procédures civiles d’exécution reconnaissait au juge de l’exécution la possibilité de connaitre des contestations élevées à l’occasion de l’exécution forcée, il était parfaitement compétent pour s’intéresser à la régularité de la signification d’une injonction de payer européenne.

Qu’importe pour le débiteur que l’ordonnance d’injonction de payer européenne ait été déclarée exécutoire par la juridiction d’origine, et ce, postérieurement à sa notification.
Pour autant, la Cour d’appel n’avait pas retenu cette argumentation et avait considéré le Juge de l’exécution que le Juge de l’exécution était bel et bien incompétent pour connaître de la contestation élevée par la société BH.

La Société BH contestait, en effet, la régularité des actes de signification de l’injonction de payer européenne du 23 septembre 2015, qui lui avaient été délivrés les 27 octobre et 28 décembre 2015, au motif que cette ordonnance avait été, postérieurement à ces actes de signification, rendue exécutoire par le Tribunal de La Haye. La société BH voulait amener le Juge de l’exécution à se déclarer compétent pour régler ce problème de notification et par là même, remettre en cause la validité du titre fondant les mesures d’exécution, savoir l’ordonnance d’injonction de payer européenne.

La Cour de cassation ne partage pas cet avis.

La Haute juridiction rappelle que l’article 19 du règlement n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer dispose qu’une injonction de payer européenne, devenue exécutoire dans l’État membre d’origine, est reconnue et exécutée dans les autres Etats membres sans qu’il soit possible de contester sa reconnaissance.

Et ce, pour une meilleure sécurité juridique des mesures d’exécution en question.
Dès lors, c’est à bon droit que le juge de l’exécution s’était déclaré incompétent pour connaître de la demande de nullité de l’acte de signification du 28 décembre 2015 de l’injonction de payer européenne, déclarée exécutoire par le Tribunal de La Haye le 17 février 2016 à défaut d’opposition formée par la société BH dans les conditions prévues par l’article 18 du règlement.

La messe est ainsi dite.

La société BH ne pouvait valablement remettre en cause la régularité de ce titre déclaré exécutoire par la juridiction de l’Etat membre d’origine ; La société BH ne pouvant demander la main levée des mesures d’exécution sur cette seule base.

Cette jurisprudence est intéressante et aborde la question spécifique de l’exécution d’une ordonnance d’injonction de payer européenne.

Elle rappelle surtout que le débiteur se doit de toujours contester la décision initiale. Car cette jurisprudence rappelle justement que cela n’est pas de la compétence du Juge de l’exécution et que la contestation de la signification ne peut se faire que devant le juge d’origine.

A mon sens, cela est un moyen de freiner l’exécution. Mais attendre les actes d’exécution pour pouvoir les contester est une erreur stratégique et juridique d’importance.

La société BH a tenté de faire valoir que les actes de significations étaient affectés d’une irrégularité de fond.

Cette stratégie est erronée puisque le Juge de l’exécution ne peut en être le juge. La société BH a malgré tout tenté une approche plus subtile en contestant, non pas tant la signification du titre exécutoire mais plutôt en remettant en cause les conditions dans lesquelles ce titre a été rendu exécutoire par le tribunal de La Haye.

Cette subtilité d’approche ne trompe pas la Haute juridiction.

En effet, la Cour de cassation rappelle que par application des dispositions de l’article 17 du règlement 1896/2006 du 12 décembre 2006, si une opposition est formée, elle se poursuit devant les juridictions compétentes de l’Etat d’origine.

Conformément aux dispositions de l’article 19 du règlement susvisé, une injonction de payer européenne devenue exécutoire dans l’Etat membre d’origine est reconnue et exécutée dans les autres Etats membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire et sans qu’il soit possible de contester sa reconnaissance.

Par application des dispositions de l’article 21 de ce règlement, les procédures d’exécution sont régies par le droit de l’Etat membre d’exécution.

Si le débiteur n’exprime pas tous ces moyens de contestation devant le juge initial qui a rendu l’ordonnance d’injonction de payer européenne, il aura les plus grandes difficultés par la suite pour contester les mesures d’exécution.

Il ne pourra que s’assujettir à une procédure collective pour préserver ses actifs. Ce choix stratégique a aussi ses effets, en France comme à l’étranger.

Cette analyse doit être prise en considération par le débiteur qui se défend contre son créancier.

Cette réflexion est à double sens.

Elle doit être comprise lorsque le créancier tente d’obtenir une ordonnance d’injonction de payer européenne dans un autre pays de l’Union pour l’exécuter en France, tout comme elle doit être comprise lorsque le créancier tente d’exécuter dans un autre pays de l’Union européenne une ordonnance d’injonction de payer européenne obtenue en France.

Laurent Latapie,
Avocat à Fréjus et Saint-Raphaël, Docteur en Droit,
Barreau de Draguignan
www.laurent-latapie-avocat.fr

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