L’expert CSE ne peut s’entretenir avec les salariés sans l’accord de l’employeur.

Par Maximilien Bouchard, Juriste.

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Explorer : # expertise cse # consultation sociale # droits des salariés # accord employeur

Dans un arrêt du 28 juin 2023 publié au bulletin (Cass. soc., 28 juin 2023, n° 22-10.293) la chambre sociale de la Cour de cassation indique que l’expert-comptable désigné dans le cadre d’une consultation du Comité Social et Economique (CSE), relative à la politique sociale de l’entreprise et qui entend mener des entretiens avec des salariés, doit préalablement obtenir l’accord de l’employeur.

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Pour rappel, la consultation annuelle sur la « politique sociale et les conditions de travail dans l’entreprise » [1] appartient aux trois consultations récurrentes issues de la loi Rebsamen [2] et consacrées à l’article L2312-17 du Code du travail, avec la consultation relative à la situation économique et financière de l’entreprise ainsi que la consultation sur les orientations stratégiques.

La consultation relative à la politique sociale constitue une consultation fastidieuse [3] pour l’accompagner dans cette tâche, le CSE peut recourir à un expert-comptable [4] qui sera entièrement pris en charge par l’employeur [5]. Le recours à une expertise prolonge la durée de la consultation à deux mois [6].

En droit, l’expert désigné par le CSE dispose de prérogatives larges. À ce titre, la Cour de Cassation a eu à répondre à une question inédite en ce qui concerne les limites des pouvoirs de l’expert.

L’expert au CSE dispose-t-il d’un droit pour mener des entretiens librement dans l’entreprise ?

En l’espèce, l’employeur d’une clinique consulte son CSE dans le cadre de la consultation récurrente relative à la politique sociale et des conditions de travail dans l’entreprise. À ce titre, le CSE désigne un expert pour l’assister.

L’expert désigné transmet à la société sa lettre de mission portant sur les modalités et le coût prévisionnel de son intervention dans l’entreprise, l’expert entend conduire une série d’entretiens avec vingt-cinq salariés sur cinq à six jours. L’employeur s’oppose à la tenue de ses entretiens. Huit jours après réception de la lettre de mission, la société assigne l’expert et le CSE devant le Président du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, contestant la lettre de mission de l’expert.

La contestation de la lettre de mission notifiée par l’expert fait l’objet d’une procédure accélérée au fond. En effet, l’employeur doit saisir le Président du tribunal judiciaire dans les 10 jours qui suivent la notification du coût prévisionnel, de l’étendue et de la durée d’expertise [7]. Dès lors, le juge doit statuer dans les 10 jours qui suivent sa saisine. Le jugement peut être contesté dans les 10 jours qui suivent la notification du jugement devant la Cour de Cassation [8].

Au cours de cette procédure, l’expert demande au Président du tribunal judiciaire une injonction contre l’employeur pour lui permettre de conduire les entretiens avec les salariés.

Le Président du tribunal judiciaire donne raison à la société, au motif que le « guide des missions de l’expert-comptable » précise que les « entretiens ne peuvent être réalisés avec les membres du personnel qu’avec l’accord de la direction ». L’expert au CSE se pourvoit directement en cassation.

L’expert fait grief au jugement d’ordonner la réduction de la durée de son intervention, il fait grief au jugement d’avoir rejeté sa demande d’injonction à l’encontre de l’employeur.

Le demandeur au pourvoi estime que les droits d’accès aux locaux de l’entreprise et de transmission des documents nécessaires à sa mission lui octroient un droit de mener librement des entretiens avec les salariés de l’entreprise, sans que l’employeur ne puisse s’y opposer.

Les juges du Quai de l’Horloge vont tout d’abord examiner l’étendue des compétences reconnues à l’expert CSE.

Au visa de l’article L2315-82, les juges de la Cour Suprême rappellent que l’expert désigné par le CSE dispose d’un « libre accès » aux locaux de l’entreprise.

D’après l’ordre des experts-comptables, ce droit de libre accès aux locaux de l’entreprise doit permettre à l’expert

« d’appréhender la réalité concrète de la vie courante, économique et sociale de l’entreprise, de se faire une opinion sur les conditions de travail, ou même (...) quérir personnellement des informations nécessaires à l’exercice de sa mission » [9].

Ce droit est complété par un droit de communication de l’ensemble des documents « nécessaires à l’exercice de sa mission » [10].

À ce titre, seul l’expert est juge de l’utilité du document qu’il réclame [11], l’expert ne peut cependant pas exiger la « production de documents qui n’existent pas et dont l’établissement n’est pas obligatoire pour l’entreprise » [12].

L’employeur qui s’opposerait aux droits d’accès ou aux demandes de transmissions d’informations formulées par l’expert, s’expose à l’exercice de poursuites pénales pour entrave au fonctionnement régulier du comité social et économique, il encourt une amende de 7 500 euros [13].

Dans un second temps, la cour constate que la consultation sur la politique sociale « portait limitativement sur les conditions de travail et devait être exclusivement réalisée au moyen d’entretiens » et que l’employeur s’était opposé à l’organisation de ces entretiens.

Or, au regard des compétences énumérées, la Cour de Cassation en conclut qu’il n’existe aucun droit d’audition en faveur de l’expert, dès lors l’employeur pouvait parfaitement refuser que l’expert mène des auditions au sein de l’entreprise.

Le raisonnement de la Cour de Cassation concorde avec les recommandations de l’Ordre des experts-comptables, qui indique que le pouvoir de libre accès
« ne s’apparente pas (...) à un pouvoir d’audition ou d’interrogation du personnel » ni à un « droit de visite » impliquant à tout moment la liberté de circuler dans les bureaux et/ou ateliers de l’entreprise » [14].

La jurisprudence antérieure des juges du fond en avait déduit une solution identique dans un arrêt du 30 juillet 1984, constatant « qu’en l’état des textes et de la volonté du législateur, comporter des pouvoirs d’audition ou d’interrogatoire du personnel » [15].

Au soutien de cette solution, la doctrine ajoute qu’à l’inverse « lorsque le législateur entend donner aux titulaires de certaines fonctions le droit de s’entretenir avec les membres du personnel, il l’indique expressément. Ainsi en est-il en ce qui concerne les délégués syndicaux [16] et les membres du comité social et économique » [17] [18].

En conclusion, l’expert qui entend conduire des auditions doit préalablement obtenir l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés.

Cet arrêt met en lumière la précarité des droits de l’expert CSE.

En l’état actuel du droit, l’expert désigné dans le cadre d’une consultation relative aux conditions de travail est dès lors incapable d’interroger les principaux concernés, les salariés si l’employeur qui s’y oppose.

Une partie de la doctrine souligne que le recours à un expert habilité visé à l’article L2315-94 du Code du travail aurait été davantage adapté [19]

Cette solution pratique fait toutefois perdre au CSE bénéfice d’une prise en charge intégrale par l’employeur.

Seule solution pour le CSE qui entendrait obtenir des données issues d’entretiens devrait alors s’appuyer sur les droits et la protection légale dont disposent ses membres titulaires pour mener des entretiens dans leurs heures de délégation « sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l’accomplissement du travail des salariés » [20].

Maximilien Bouchard,
Juriste en droit social.

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Notes de l'article:

[1C. trav., art. L2312-26.

[2Loi du 17 août 2015, n° 2015-994.

[3C. trav., art. L2312-26.

[4C. trav., art. L2315-91.

[5C. trav., art. L2315-80.

[6C. trav., art. R2312-6.

[7C. trav., art. L2315-86,3° et R2315-49.

[8C. trav., art. R2315-49.

[9Ordre des experts-comptables, Missions de l’expert-comptable d’assistance au comité d’entreprise, prévues par la loi et le règlement, éd. 2014, p. 54.

[10C. trav., art. L2315-83.

[11Cass. soc., 29 oct. 1987 : Bull. civ. 1987, V, n° 605.

[12Cass. soc., 19 avr. 2023, n° 21-24.208.

[13C. trav., art. L2317-1, al. 2.

[14Ordre des experts-comptables, Missions de l’expert-comptable d’assistance au comité d’entreprise, prévues par la loi et le règlement, éd. 2014.

[15TGI Paris, réf., 30 juill. 1984, n° 84-7714.

[16C. trav., art. L2143-20, al. 2.

[17C. trav., art. L2315-14, al. 2.

[18L. Dauxerre, « Expert-comptable du CSE : pas d’audition des salariés sans l’accord exprès de l’employeur », JCP S, 5 septembre 2023, 1220.

[19F. Champeaux, “L’audition des salariés par l’expert soumise à l’accord de l’employeur”, Semaine Sociale Lamy, du 10 juillet 2023, n° 2054.

[20C. trav. art. L. 2315, al. 2.

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