Expropriation, le piège du délai d’action en constatation du défaut de base légale de l’ordonnance de transfert de propriété.

Par Gilles Caillet, Avocat.

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Explorer : # expropriation # délai d'action # base légale # restitution de propriété

Un arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2018 (C.cass.civ III, 12 juillet 2018, p.n°17-15417) illustre les pièges du contentieux de l’expropriation dans une affaire où l’exproprié a fait annuler un arrêté de cessibilité par le juge administratif, et a ensuite saisi le juge de l’expropriation pour lui faire constater le manque de base légale de l’ordonnance portant transfert de propriété et lui demander d’ordonner la restitution de son bien illégalement exproprié.

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La contestation d’une procédure d’expropriation prend toute sa complexité lorsque l’exproprié engage des recours à la fois devant les juridictions administratives (recours contre la déclaration d’utilité publique et/ou contre l’arrêté de cessibilité) et le juge judiciaire (pourvoi en cassation contre l’ordonnance d’expropriation, recours devant le juge de l’expropriation pour défaut de base légale de l’ordonnance de transfert de propriété).

Lorsqu’il réussit à faire annuler par une juridiction administrative l’un des actes de la phase administrative de l’expropriation (déclaration d’utilité publique ou arrêté de cessibilité), le propriétaire exproprié n’est pas au bout de ses peines ; il doit encore engager une autre procédure en justice s’il veut obtenir la restitution de l’immeuble exproprié illégalement : c’est la procédure de constatation par le juge de l’expropriation du défaut de base légale de l’ordonnance de transfert de propriété (article L 223-2 et R 223-1 et suivants du code de l’expropriation [1].).

Le Code de l’expropriation encadre strictement cette procédure dans un délai d’action de 2 mois [2] dont le non-respect provoque la forclusion [3] de l’action :
« A peine d’irrecevabilité de sa demande tendant à faire constater le manque de base légale de l’ordonnance d’expropriation, l’exproprié saisit le juge dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision définitive du juge administratif annulant la déclaration d’utilité publique ou l’arrêté de cessibilité » (article R 223-2 du code de l’expropriation).

Au cours de cette procédure, « la preuve du caractère définitif de la décision du juge administratif est apportée par l’une ou l’autre des parties » (article R 223-4 du code de l’expropriation).

Il n’est pas toujours facile de déterminer quand l’annulation de la décision administrative est exactement définitive.

Certes, quand un jugement du tribunal administratif annulant la déclaration d’utilité publique ou l’arrêté de cessibilité est frappé d’appel, on se doute que cette annulation n’est pas définitive (du fait de l’effet dévolutif de l’appel), et, qu’à ce stade, une action devant le juge de l’expropriation pour faire constater le défaut de base légale de l’ordonnance de transfert de propriété serait prématurée.

En revanche, la réponse n’est pas évidente lorsque c’est une Cour administrative d’appel qui prononce ou confirme l’annulation de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité, et que l’expropriant forme un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État contre cet arrêt de la cour administrative d’appel.

Dans un tel cas de figure, par un arrêt inédit du 19 janvier 2017 (pôle 4, chambre 7), la Cour d’appel de Paris avait estimé qu’une procédure de pourvoi en cassation devant le Conseil d’État préservait le délai de saisine du Juge de l’expropriation pour faire constater le défaut de base légale de l’ordonnance de transfert de propriété :
« Considérant qu’il n’est pas contesté que la décision de la cour administrative d’appel n’est devenue définitive qu’avec l’ordonnance de désistement rendue par le Conseil d’État, peu important que cela ait été à l’initiative de la commune de X ;
Considérant que le point de départ du délai de deux mois se situe à la date de notification de cette ordonnance à Madame Y, dont il n’est pas contesté qu’elle se situe au 2 juin 2014 ;
Considérant en conséquence que la saisine du juge de l’expropriation du 22 juillet 2014, qui se situe dans le délai précité, est recevable.
 »

En conséquence, la Cour d’appel de Paris avait statué au fond en constatant le défaut de base légale de l’ordonnance de transfert de propriété et elle avait même ordonné la restitution par la commune expropriante de l’immeuble au propriétaire exproprié.

A nouveau, l’expropriant avait persévéré dans ses recours et formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris devant la Cour de cassation.

Finalement, dans son arrêt du 12 juillet 2018, (Cour de cassation, 3e ch civ, 12 juillet 2018, pourvoi n°17-15417) la Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel de Paris en constatant que l’arrêt de la cour administrative d’appel annulant l’arrêté de cessibilité constitue une décision définitive insusceptible d’une voie de recours ordinaire et donc que sa notification est le point de départ du délai de forclusion de l’action devant le juge de l’expropriation fixé par l’article R 223-2 précité :
« Attendu que, pour déclarer recevable la saisine du juge de l’expropriation, l’arrêt retient qu’il n’est pas contesté que la décision de la cour administrative d’appel n’est devenue définitive qu’avec l’ordonnance de désistement rendue par le Conseil d’État et que le point de départ du délai de deux mois se situe à la date de notification de cette ordonnance ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le délai de deux mois courait à compter de la notification de la décision contre laquelle aucune voie de recours ordinaire ne pouvait être exercée, soit à compter de la notification de l’arrêt annulant l’arrêté de cessibilité, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
 »

Ainsi, la Cour de cassation casse sans renvoi [4] l’arrêt de la cour d’appel de Paris et déclare irrecevable l’action du propriétaire exproprié en constatation du défaut de base légale de l’ordonnance de transfert de propriété.

Au terme de toutes ces procédures devant les juridictions administratives et judiciaires, le propriétaire exproprié n’obtient finalement pas la restitution de l’immeuble dont il a pourtant été illégalement exproprié.

Gilles CAILLET, avocat Hélians
https://www.helians-avocats-expropriation.fr/

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Notes de l'article:

[1Anciennement articles L 12-5 alinéa 2 et R12-5-1 et suivants du code de l’expropriation

[2Le Conseil d’Etat a déjà précisé que ce court délai de deux mois n’était pas d’une brièveté telle qu’il entraverait l’exercice du droit au recours dans des conditions incompatibles avec les stipulations de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CE, 3 septembre 2007, req n°282385).

[3Pour un rappel que le non-respect de ce délai d’action de deux mois provoque la forclusion de l’action : cour de cassation, 3e ch civ, 17 mars 201, pourvoi n°09-13241.

[4Article 627 du code de procédure civile.

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Discussion en cours :

  • par Ophy , Le 13 avril 2023 à 10:20

    Bonjour et merci pour cet article complet.
    Une question cependant :
    Lorsqu’un juge constate qu’une ordonnance d’expropriation est dépourvue de base légale, quelle est la portée de cette constatation ?. Les expropriés autres que les demandeurs, (qui n’ont pas fait de requête dans le délai imparti et qui ont déjà perçu ou non l’indemnité d’expo), peuvent-ils revendiquer cette absence de base légale a posteriori ?
    J’ai le cas de parcelles qui ont fait l’objet d’une DUP, l’ordonnance d’expro a été rendue mais en 2010 un T.A. a annulé l’arrêté de cessibilité et en 2011 à la requête d’un exproprié, la CA a constaté l’absence de base légale de l’ordonnance d’expro et la restitution des parcelles aux demandeurs.
    Entre temps, mon ordonnance d’expo a été publiée à la publicité foncière, de sorte que le transfert de propriété a été opéré pour l’ensemble des parcelles de la DUP.
    Est ce que cette constatation d’absence de base légale entraîne la remise en cause de tous les transfert de propriété ou simplement les parcelles des demandeurs à l’affaire ?. (en résumé, si le transfert de propriété a été publié à la publicité foncière, ma collectivité peut-elle sans crainte 12 ans après disposer des parcelles ?).
    Merci par avance,

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