La fable du sous-traitant abusé. Par Raphaël Berger, Avocat

La fable du sous-traitant abusé.

Par Raphaël Berger, Avocat

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Explorer : # sous-traitance # nullité du contrat # garanties de paiement # responsabilité contractuelle

Il est un monde où le recours à la sous-traitance constitue le choix économique d’un entrepreneur principal pour réaliser une marge commerciale importante, en confiant à moindre coût tout ou partie de ses travaux à un sous-traitant en situation de dépendance économique à son égard.

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Dans ce monde là, en sous-traitant, l’entrepreneur principal se décharge de responsabilité sur le sous-traitant qui réalise les travaux, tout en conservant le profit que constitue la différence entre les sommes qu’il perçoit du maître d’ouvrage qui lui confie les travaux et les sommes (évidemment moins importantes) qu’il paie au sous-traitant.

Dans cette logique, certaines entreprises principales n’hésitent pas, en fin de chantier, à multiplier les parades, bien connues au demeurant, pour s’opposer au paiement du sous-traitant.

Fleurissent alors des retenues de paiement en tous genres (pénalités diverses et variées prévues au contrat, prétendue exécution des travaux non-conformes aux DTU ou règles de l’art, désordres allegués, etc…) que l’entrepreneur général prétend justifier par les dispositions du contrat de sous-traitance.

Or dans tous les cas, et dans l’attente de la décision rendue par la juridiction qu’il saisira pour faire trancher ces difficultés nées de l’interprétation ou de l’exécution du contrat de sous-traitance, le sous-traitant devra attendre de long mois avant d’obtenir un titre exécutoire qu’il fera exécuter contre l’entrepreneur principal, et avant donc d’obtenir son paiement.

Parallèlement, il est fréquent dans ce type de situation que les droits des sous-traitants, issus de la loi du 31 décembre 1975, n’aient pas été respectés par l’entrepreneur principal (tout à sa logique commercial de rentabilité).

Or c’est paradoxalement dans ce type de situation que le sous-traitant pourra opposer à l’entrepreneur récalcitrant un moyen très efficace : la nullité du sous-traité.

L’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 dispose en effet que :

"À peine de nullité du sous-traité, les paiements de toutes les sommes dues par l’entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l’entrepreneur de l’établissement qualifié, agréée dans des conditions fixées par décret.

Cependant, la caution n’aura pas lieu d’être fournie si l’entrepreneur délègue le maître de l’ouvrage au sous-traitant dans les termes de l’article 1275 du Code Civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant."

L’article 15 de la même loi dispose que :

"Sont nuls et de nul effet, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi."

L’entrepreneur principal doit donc fournir une garantie de paiement au sous-traitant, caution bancaire ou délégation de paiement (acte au terme duquel il est stipulé que le montant des sommes dues par l’entrepreneur principal au sous-traitant sera payé directement par le maître d’ouvrage au sous-traitant, à hauteur du montant de la délégation), sous peine de nullité du sous-traité, ces dispositions étant d’ordre public.

En l’absence de ces garanties de paiement, le sous-traitant peut invoquer la nullité du sous-traité, étant précisé :

- que le droit d’invoquer la nullité appartient au seul sous-traitant (Cassation Commerciale, 12 février 1991, RJDA 4/91, N° 299) ;

- l’entreprise principale, ne peut, pour échapper à la nullité, délivrer un cautionnement ou une garantie de paiement postérieurement, et ce dans le but de faire échec aux sanctions de l’article 14 (Cassation 3ème Civile, 7 février 2001, Bulletin N° 15) : la nullité est donc définitive.

- compte tenu de la nullité du sous-traité, il n’est plus possible de se référer au contrat de sous-traitance : il en résulte qu’aucune obligation contractuelle ne pèse sur le sous-traitant (Cour d’Appel de Paris, 5ème Chambre, 14 janvier 1993) et que sa responsabilité contractuelle ne peut plus, le cas échéant, être mise en œuvre.

Ce qui prive l’entrepreneur principal du droit d’invoquer les dispositions du contrat (et notamment pénalités de retard, etc…). Il n’en demeure par moins que la responsabilité du sous-traitant pourra être recherchée en cas de désordres, mais sur un fondement délictuel : ce qui contraint l’entrepreneur principal à rapporter la preuve de sa faute, et complique ainsi singulièrement sa tâche.

- que le sous-traitant "doit recevoir le juste prix des prestations qu’il a fournies" (Cour d’Appel de Versailles 12ème Chambre, 22 février 1990, Dalloz 1992, 12ème Cahier, sommaire) ;

- que la Cour de Cassation confirme qu’il y a lieu "de faire procéder à une estimation du juste coût de l’ensemble des travaux exécutés, sans égard pour les prix convenus entre les parties" (Cassation 3ème Civile, 18 juillet 2001, société CGC C/société AUDINCOURT, MTP 23 novembre 2001, page 95) ;

- que l’indemnisation doit se faire en fonction des sommes réellement déboursées par le sous-traitant, majorées des charges, le tout affecté d’un coefficient multiplicateur (Cour d’Appel de Paris, 25ème Chambre, 9 novembre 2001, RDI janvier/février 2002, page 51).

Où l’on vérifie la morale de cette histoire : à vouloir trop gagner sur son sous-traitant en le privant de garanties de paiement, l’entrepreneur principal s’expose, faute de pouvoir invoquer les dispositions du contrat de sous-traitance à son encontre, à le payer plus…

Raphaël BERGER

Avocat au Barreau de Lyon, spécialisé en droit de la construction

www.scparcadio.com

rb chez scparcadio.com

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