1/ Le principe : la non-imposition des gains tirés des jeux de hasard.
Les gains tirés des jeux de hasard ne sont pas imposés à l’impôt sur le revenu (IR).
Ce principe est désormais bien établi. Le 1 de l’article 92 du Code général des impôts dispose en effet que
« sont considérés comme provenant de l’exercice d’une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n’ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ».
Selon l’administration fiscale,
« la pratique de jeux de pur hasard (loterie, tombolas ou jeux divers) sur lesquels le joueur n’a aucune maîtrise de l’aléa pesant sur ses perspectives de gains ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profit devant donner lieu à imposition au nom des personnes participant à ces jeux » [1].
Le Conseil d’État s’est depuis longtemps prononcé en ce sens dans une décision relative à la loterie de 1976 [2].
Une affaire récente, assez singulière, illustre le flou qui règne encore : un contribuable trouve sur la voie publique un ticket gagnant du jeu « Euro Millions » (163 millions d’euros de gain). En parallèle, le vrai joueur ayant perdu le ticket se présente. La Française des Jeux refuse de verser le gain sans un accord entre eux ; in fine le vrai joueur verse une indemnité de 12 millions d’euros au contribuable ayant trouvé le ticket. Devant le tribunal administratif, l’administration fiscale tente d’imposer l’indemnité de 12 millions d’euros comme une plus-value de cession de bien meuble : le contribuable aurait cédé le ticket gagnant au joueur originel.
Déboutée en première instance, le contribuable n’étant pas propriétaire du ticket, l’administration soutient en appel que l’indemnité constitue la contrepartie d’un service, imposable à ce titre dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. La cour d’appel invalide également cette approche, jugeant que « le profit en cause était par nature insusceptible de se renouveler […] eu égard au caractère purement accidentel de ce gain ». Le Conseil d’état [3] a confirmé l’analyse des juges du fond.
2/ L’exception : les gains tirés par un joueur professionnel de poker maîtrisant de façon significative l’aléa inhérent à ce jeu.
Le Conseil d’état, dans une décision du 21 juin 2018, a précisé que
« si la pratique, même habituelle, de jeux de hasard ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits, au sens des dispositions précitées de l’article 92 du Code général des impôts, en raison de l’aléa qui pèse sur les perspectives de gains du joueur, il en va différemment de la pratique habituelle d’un jeu d’argent opposant un joueur à des adversaires lorsqu’elle permet à ce dernier de maîtriser de façon significative l’aléa inhérent à ce jeu, par les qualités et le savoir-faire qu’il développe, et lui procure des revenus significatifs. Les gains qui en résultent sont alors imposables, en application de l’article 92, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, alors même que le contribuable exercerait aussi par ailleurs une activité professionnelle » [4].
Selon cette décision, les gains seront imposés s’ils résultent cumulativement :
- D’une pratique habituelle (pour la retenir, les juges examinent le nombre de participation à des jeux de poker [5] et le nombre de plateformes de poker auxquelles le joueur est inscrit [6] ;
- Mobilisant un savoir-faire acquis dans le domaine du jeu ;
- Et génératrice de revenus significatifs.
On peut mentionner à titre d’exemple un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 24 mai 2022 dans lequel les juges ont relevé que
« M. E a, en 2013 et 2014, participé à des tournois de poker en ligne sur différents sites spécialisés et qu’il a ainsi effectué 136 mises en 2013 et 165 mises en 2014 représentant respectivement en volume 82 786 euros et 114 743 euros. Il résulte également de l’instruction que M. E a aussi participé, pendant cette période à des tournois physiques, 6 en 2013, à Berlin, Deauville, Nice, Las Vegas, Monaco et Prague, et 4 en 2014, à Las Vegas, Prague, San Remo, ainsi qu’à Deauville tournoi qu’il a remporté en 2013. Le montant des gains de M. E s’est élevé en 2013 à 833 961 euros avec un bénéfice net de 638 968 euros et à 181 841 euros en 2014 avec un bénéfice net de 23 976 euros. Ainsi, le montant et le caractère régulier de ces gains laissent présumer une maîtrise significative de l’aléa inhérent au poker. Dans ces conditions, le requérant doit être regardé comme ayant exercé, au cours des deux années en cause, une activité lucrative de joueur de poker lui procurant des profits réguliers imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux » [7].
Une solution identique a été rendue dans une affaire où un joueur dégageait des gains mensuels d’un montant moyen de 3 526 euros en 2013, de 7 376 euros en 2014, de 7 634 euros en 2015 et de 9 500 euros en 2016 [8].
Dans une autre affaire, cette même cour a jugé que
« si le jeu de poker et plus particulièrement la version de ce jeu dénommé Texas Hold’em Poker pratiqué par M.A..., comporte une part de hasard liée à la distribution des cartes propres à chaque joueur ou des cartes communes, un joueur peut parvenir, grâce à son expérience, à une stratégie adéquate fondée notamment sur l’estimation des différentes combinaisons de cartes possibles, et à une analyse de la psychologie de ses adversaires, à atténuer notablement le caractère aléatoire du résultat de ce jeu et à accroître sensiblement sa probabilité de percevoir des gains importants et réguliers » [9].
Le caractère significatif des revenus peut également résulter d’une comparaison entre les gains tirés du poker et les revenus salariaux du contribuable [10].
Précisons également que le fait que le contribuable figure dans les classements des meilleurs joueurs de poker et n’occupe par ailleurs aucun emploi constituent aussi des indices permettant d’imposer les gains [11].
3/ Quid des gains tirés des paris sportifs effectués par un joueur professionnel ?
En l’état du droit, le principe de la non-imposition demeure. En effet, selon la jurisprudence,
« les joueurs professionnels de poker qui peuvent atténuer sensiblement le caractère aléatoire du résultat de ce jeu et accroître leur probabilité de percevoir des gains importants et réguliers du fait de leur expérience, ne se trouvent pas placés dans la même situation que les joueurs habituels de jeux payants tels que les paris hippiques et les paris sportifs dont les résultats sont, sauf circonstances exceptionnelles, essentiellement aléatoires même si ces joueurs peuvent se fonder, pour parier, sur l’étude des côtes et des probabilités, sur leur connaissance du jeu, des joueurs ou des chevaux et de leurs jockeys, de leur forme et de leurs performances antérieures » [12].
Pour les paris hippiques, la solution est ancienne, elle remonte à 1980 [13].
Certaines pratiques pourraient toutefois justifier une imposition des gains significatifs tirés d’un jeu dans la mesure où lesdites pratiques annihilent l’aléa. Sont concernés ici le « surebet » et la conversion des « freebets » en argent retirable.
Le « surebet » est un pari sûr. Le joueur l’ayant effectué est certain de tirer un gain de son pari. Il y a surebet lorsque le taux de retour pour le joueur est supérieur à 100% [14].
Exemple : les équipes A et B ont une rencontre. Les cotes sont les suivantes : 4 pour la victoire de l’équipe A, 4 pour le match nul et 2,50 pour la victoire de l’équipe B.
Pour ce pari, le taux de retour est de 111% [15]. Le parieur décide de miser les 486 euros dont il dispose de la façon suivante :
- 135 euros sur la victoire de l’équipe A. Gain possible : 540 (4x135) ;
- 135 euros sur le match nul. Gain possible : 540 (4x135) ;
- 216 euros sur la victoire de l’équipe B. Gain possible : 540 (2,5x216).
Quel que soit l’issue de la rencontre, le parieur est certain de gagner 540 euros, soit un gain net de 40 euros. Cette opération, effectuée à plusieurs reprises au cours d’une année, peut permettre au joueur de générer des gains significatifs. Mais seuls les parieurs les plus expérimentés peuvent réussir à détecter les surebets. Cela nécessite d’être inscrit chez plusieurs bookmakers [16], parfois même auprès de ceux basés à l’étranger (qui n’ont pas donc pas l’agrément de l’Autorité nationale des jeux). En général, il y a surebet lorsqu’il y a une erreur de cotation du bookmaker ou une opération commerciale de celui-ci (les cotes « boostées »).
Par ailleurs, les paris destinés quasi-exclusivement à la conversion en cash des « freebets » constituent une autre méthode permettant au joueur de gagner de l’argent sans risque. Les « freebets » sont des paris gratuits offerts par les bookmakers. Le pari gagnant grâce à un freebet ne permet au joueur que de recevoir le gain net. Par exemple, le pari gagnant d’un joueur ayant misé un euro de freebet sur une cote à 4 lui rapportera n’ont pas 4 mais 3 (4-1) euros. Pour convertir sans risque les freebets en argent, le parieur doit en général miser plusieurs issues d’une même rencontre. Plus le taux de retour est élevé, plus les freebets rapporteront de l’argent.
Précisons que le juge de l’impôt ne s’est pas encore prononcé sur ces deux pratiques.
Discussion en cours :
Merci pour les précisions