1/ L’obligation de sécurité de l’employeur.
L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en menant notamment des actions de prévention des risques professionnels [1], avec une attention particulière portée aux risques liés au harcèlement moral, au harcèlement sexuel et aux agissements sexistes [2].
L’article L1152-4 du Code du travail le rappelle expressément : « l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ».
Pour la Cour de cassation, l’employeur doit assurer l’effectivité de son obligation de sécurité [3], ce qui implique la mise en œuvre d’actions concrètes et pertinentes.
En cas de harcèlement moral avéré, l’employeur engage sa responsabilité civile (voire pénale) sur le fondement de ces textes, s’il n’a pas pris les mesures adéquates visant à prévenir et à faire cesser de tels agissements.
A l’inverse, l’employeur qui a pris les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail et, notamment, a mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral, ne manque pas à son obligation de sécurité [4].
2/ La nécessité d’une enquête interne.
Selon l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement moral et la violence au travail, invitant les employeurs à mettre en place une procédure appropriée en cas de harcèlement, « les plaintes doivent être suivies d’enquêtes et traitées sans retard ».
La Cour de cassation a pu juger que, l’employeur n’ayant entrepris aucune enquête sérieuse devant l’importance d’un conflit opposant le salarié à son responsable hiérarchique, en dépit de signalements, a manqué à son obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité du salarié victime de harcèlement [5].
Postérieurement, la Cour de cassation [6] a considéré que l’absence d’enquête interne, après la révélation d’un harcèlement, constitue une violation par l’employeur de son obligation de prévention des risques professionnels qui cause un préjudice à l’intéressé, même en l’absence de harcèlement.
Il semblait donc acquis que toute allégation de harcèlement moral devait donner lieu à la mise en place d’une enquête interne.
En revanche, le Code du travail ne prévoit aucune règle particulière s’agissant des modalités de cette enquête interne et la jurisprudence en a progressivement dessiné les contours, retenant notamment les solutions suivantes :
- Est valable l’enquête confiée par l’employeur à une entreprise spécialisée en prévention des risques psychosociaux, même si le salarié mis en cause n’en a pas été informé ni n’a été entendu dans le cadre de cette enquête [7] ;
- Un salarié ne peut pas reprocher à son employeur d’avoir fait appel à son expert-comptable pour enquêter sur le harcèlement moral dénoncé, dès lors qu’aucun élément ne permet de remettre en cause l’impartialité de la personne ayant enquêté sur les faits [8] ;
- La mise en œuvre de l’enquête ne peut pas être confiée au salarié dénoncé comme étant l’auteur principal du harcèlement [9] ;
- A l’occasion de l’enquête, l’employeur n’a pas à entendre la totalité des collaborateurs du salarié [10] ;
- La participation d’un représentant du personnel aux côtés de l’employeur, alors qu’il existait un différend important entre ce représentant et le salarié, caractérise un détournement de l’objet de l’entretien ouvrant droit à la réparation du préjudice subi [11] ;
- Une enquête interne concluant à l’inexistence d’un harcèlement moral ne lie pas le juge [12].
3/ L’arrêt du 12 juin 2024.
Dans cette affaire, une salariée, engagée en qualité de Directrice des ressources humaines, sollicite des dommages-intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Dans le cadre de son action, elle affirme que l’employeur n’a pris aucune mesure de nature à préserver sa santé et sa sécurité, n’ayant pas déclenché d’enquête afin de déterminer si les faits dénoncés par elle caractérisaient une situation de harcèlement moral.
Conformément à la jurisprudence applicable, son pourvoi soutient que manque à son obligation de sécurité, l’employeur qui ne prend aucune mesure et n’ordonne aucune enquête interne après dénonciation par un salarié d’agissements constitutifs d’un harcèlement moral, peu important que ces agissements soient établis ou non.
Son argumentation est rejetée par la Cour de cassation, qui approuve la cour d’appel aux motifs suivants :
- Lorsque la salariée a fait appel au Directeur général au sujet des différends qui l’opposaient à une collègue du même niveau hiérarchique qu’elle, celui-ci a pris position et lorsque la salariée a sollicité des éclaircissements sur son positionnement dans la nouvelle organisation avec une nouvelle direction, elle a obtenu une réponse du Président de la société ;
- Dans son appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel, qui a fait ressortir que l’employeur avait pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée, a pu en déduire, nonobstant l’absence d’enquête interne, que celui-ci n’avait pas manqué à son obligation de sécurité.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation juge donc clairement que l’enquête interne n’est pas une mesure obligatoire lorsque le salarié invoque une situation de harcèlement moral.
En revanche, quelles que soient les décisions prises par l’employeur, le juge du fond doit constater que ce dernier n’a pas manqué à son obligation de sécurité.
En d’autres termes, la Cour de cassation semble faire de l’enquête interne une mesure (parmi d’autres) permettant de faire cesser le harcèlement.
Comme le confirme le rapport de la Conseillère, la chambre sociale « n’a pas pour autant consacré le principe d’une obligation d’un employeur, alerté d’un possible harcèlement moral, de diligenter en interne une enquête ».