L’incrimination de l’homicide involontaire est-elle applicable au fœtus ?

Par Harold Mechiche, Avocat.

12964 lectures 1re Parution: Modifié: 3 commentaires 4.94  /5

Explorer : # homicide involontaire # fœtus # droit pénal # responsabilité

Le vendredi 10 février 2023, un célèbre humoriste était impliqué dans un accident de la route, blessant grièvement plusieurs personnes.
Parmi les victimes, une femme enceinte de plus six mois a perdu l’enfant qu’elle portait.
Une enquête pour homicide involontaire et blessures involontaires par conducteur ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois a été ouverte par le Parquet de Melun.
Dès lors, une question se pose : l’infraction d’homicide involontaire est-elle applicable à la mort d’un fœtus ?

-

En droit, l’article 221-6 du Code pénal dispose :

« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende ».

Ce texte incrimine spécifiquement le fait de causer involontairement la mort à autrui, ce qui laisse supposer que la victime doit être une personne.

A plusieurs reprises, la Cour de Cassation s’est prononcée sur la question suivante : le fœtus peut-il être assimilé à « autrui » au sens de l’article précité ?

Trois hypothèses doivent être distinguées :

Première hypothèse : Lorsque le fœtus est extrait sans vie du ventre de sa mère, aucune poursuite ne peut être engagée du chef d’homicide involontaire contre son auteur sur le fondement de l’article 221-6 du Code pénal.

Cette solution a été dégagée par la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation dans un arrêt du 30 juin 1999 : Un gynécologue avait confondu deux patientes, causant la mort involontaire du fœtus de l’une d’elles [1].

Cette décision a été confirmée par l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation le 29 juin 2001 : Un automobiliste, sous l’empire d’un état alcoolique, a heurté un véhicule dans lequel se trouvait une femme enceinte, causant la mort de son fœtus [2].

Dans ces deux affaires, la Cour de Cassation a considéré que le principe de légalité des délits et des peines imposait une interprétation stricte de la loi pénale.

Ainsi, les Hauts magistrats du Quai de l’horloge se sont opposés à ce que l’incrimination de l’homicide involontaire d’autrui prévue à l’article 221-6 du Code pénal soit étendu au cas de l’enfant à naître, dont le régime juridique relève des textes particuliers sur l’embryon et le fœtus.

En d’autres termes, la qualification « d’autrui » ne trouve à s’appliquer qu’à un enfant né vivant et viable, c’est-à-dire doté de la personnalité juridique.

Saisie d’une telle interprétation, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) n’a pas condamné la position adoptée par les juridictions françaises et a conclu à l’absence de violation de l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales (CESDH) consacrant le droit à la vie.

En effet, les Juges de la Cour de Strasbourg ont considéré que :

« l’enfant à naître n’est pas privé de toute protection en droit français, et l’obligation positive des États d’adopter des mesures propres à assurer la protection de la vie n’exige pas nécessairement un recours de nature pénale » [3].

Deuxième hypothèse : Lorsque le fœtus est né vivant mais non viable en raison des séquelles de l’accident ou de la faute médicale ayant précédé sa naissance, des poursuites du chef d’homicide involontaire sont envisageables au sens de l’article 221-6 du Code pénal.

Celui qui a causé la mort d’un enfant ayant vécu une heure après sa naissance, lequel est décédé des suites des lésions subies au moment de l’accident est coupable d’homicide involontaire selon la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation [4].

Le critère de distinction opéré est le suivant :
- Soit l’enfant est né vivant : l’homicide involontaire pourra être retenu quelque soit le temps durant lequel la vie se sera prolongée après sa naissance ;
- Soit l’enfant est mort-né : l’homicide involontaire ne pourra être retenu et ce, peu importe la viabilité du fœtus.

Troisième hypothèse : Lorsque la faute qui est à l’origine des blessures ou de la mort de l’enfant est commise après sa naissance, la responsabilité de son auteur pourra être recherchée du chef d’homicide involontaire sur le fondement de l’article 221-6 du Code pénal [5].

Quelle est la répression encourue en cas d’atteinte involontaire à la vie et à l’intégrité d’autrui ?

La répression diffère en considération du dommage subi par la victime :
- Homicide involontaire : Trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende [6] ;
- Blessures involontaires ayant entraîné une Incapacité Totale de Travail (ITT) de plus de 3 mois : Deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende [7] ;
- Blessures involontaires ayant entraîné une ITT d’une durée inférieure ou égale à trois mois : contravention de 5ème classe [8] ;
- Blessures involontaires n’ayant entraîné aucune ITT : contravention de 2ème classe [9].

Attention : La peine encourue est aggravée en cas de faute délibérée.

Quelle est la répression encourue en cas d’atteintes involontaires à la vie et à l’intégrité d’autrui lorsqu’elles ont été spécifiquement commises par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur ?

Afin de lutter contre l’insécurité routière, le législateur a aggravé la répression encourue à cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende [10]

Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsque [11] :
- 1° Le conducteur a commis une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées ci-après ;
- 2° Le conducteur se trouvait en état d’ivresse manifeste ou était sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang ou dans l’air expiré égale ou supérieure aux taux fixés par les dispositions législatives ou réglementaires du code de la route, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par ce code et destinées à établir l’existence d’un état alcoolique ;
- 3° Il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que le conducteur avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le code de la route destinées à établir s’il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;
- 4° Le conducteur n’était pas titulaire du permis de conduire exigé par la loi ou le règlement ou son permis avait été annulé, invalidé, suspendu ou retenu ;
- 5° Le conducteur a commis un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h ;
- 6° Le conducteur, sachant qu’il vient de causer ou d’occasionner un accident, ne s’est pas arrêté et a tenté ainsi d’échapper à la responsabilité pénale ou civile qu’il peut encourir.

Enfin, les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque l’homicide involontaire a été commis avec deux ou plus des circonstances susmentionnées [12]

Harold Mechiche
Avocat au Barreau de Paris
contact chez mechiche-avocat.com

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Notes de l'article:

[1Cass. crim. 30 juin 1999, n°97-82.35, arrêt Golfier.

[2Cass. Ass. Plèn., 29 juin 2001, n° 99-85.973.

[3CEDH, 8 juill. 2004, Vo c/ France, n° 53924/00 : JCP 2004, II, 10158.

[4Cass. crim., 2 décembre 2003, n°03-82.344.

[5Cass. crim., 13 nov. 2002, Bull. crim. n° 203.

[6Article 221-6 du Code pénal

[7Article 222-19 du Code pénal

[8Article R625-2 du Code pénal

[9Article R622-1 du Code pénal.

[10Article 221-6-1 alinéa 1 du Code pénal.

[11Article 221-6-1 alinéa 2 du Code pénal

[12Article 221-6 dernier alinéa du Code pénal.

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Discussions en cours :

  • En l’occurrence, c’est bien une enquête pour "homicide involontaire" (notamment) qui a été ouverte, alors même que nous sommes indiscutablement dans la première hypothèse - l’enfant à naître est décédé in utero - et qu’aucun autre être n’a perdu la vie à l’heure où j’écris ceci, sauf erreur, et en espérant qu’il en demeure ainsi.

    Comment expliquer le choix de la qualification d’homicide involontaire (certes provisoire) ?

    Faut-il entrevoir, selon vous, une volonté d’aboutir à un revirement de jurisprudence ?

    • par Samy Merlo , Le 15 février 2023 à 22:19

      Erratum, je ne m’en suis rendu compte qu’après coup, mais après vérification, il subsiste bel et bien un doute quant à savoir si l’enfant est décédé in ou ex utero, ce qui explique pourquoi l’enquête a été ouverte du chef (provisoire) d’homicide.

      Aux dernières nouvelles, une autopsie est censée déterminer si l’enfant a respiré en dehors du ventre de sa mère.

  • par C. DIRE, barreau de Nice , Le 13 février 2023 à 15:38

    Cher confrère,

    Merci pour ce précieux rappel des décisions déjà prise en cette matière par la cour de cassation.

    Toutefois, je m’autorise une intervention amicale et confraternelle pour signaler que, selon le Comité consultatif national d’éthique, l’embryon est considéré comme une « personne humaine potentielle » (avis n°3 du 23 octobre 1984 sur les problèmes éthiques nés des techniques de reproduction artificielle) qui ne peut en aucun cas être considéré comme un « déchet hospitalier » (avis n°89 du 22 septembre 2005 à propos de la conservation des corps des fœtus et enfants mort nés).

    Qu’en outre, l’article 16 du code civil proclame que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

    Et que l’arrêt CEDH du 8 juillet 2004 Vo c/ France, req. n°53924/00 (cité par vos soins), est postérieur aux trois décisions de la cour de cassation. Dans cette affaire, la cour EDH avait notamment déclaré que "le point de départ du droit à la vie relevait de l’appréciation de chaque État, et que la potentialité de cet être et sa capacité à devenir une personne devaient être protégées au nom de la dignité humaine."

    Cela étant, la cour EDH avait refusé de se mouiller, et bottant en touche en s’appuyant sur le fait que la requérante avait elle-même omis d’intenter une action en responsabilité contre le praticien hospitalier, et que dès lors elle ne pouvait invoquer une violation de la convention, faute pour elle d’avoir usé toutes les voies de droit à sa disposition...

    Aussi, il n’est pas exclu que cette affaire aboutisse à un revirement jurisprudentiel, à l’initiative du parquet donc : il est intéressant de noter que les parquets généraux étaient déjà favorables à cette incrimination lors des affaires C. Cass 99-85973 du 29 juin 2001 et C. Cass 00-81.359 du 25 juin 2002.

    La cour EDH ayant rappelé dans sont arrêt qu’ "il ressort qu’en France la nature et le statut juridique de l’embryon et/ou du fœtus ne sont pas définis actuellement et que la façon d’assurer leur protection dépend de positions fort variées au sein de la société française". A ce sujet, la lecture des opinions dissidentes dans cette affaire Vo s’avère particulièrement instructive.

    Affaire à suivre avec la plus grande attention !

    C. DIRE

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