L’intérêt à agir pour la contestation d’une autorisation d’urbanisme.

Par Chloé Ricard, Avocat.

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Explorer : # intérêt à agir # urbanisme # recours pour excès de pouvoir # conditions d'occupation

En excès de pouvoir, la contestation porte sur l’illégalité de normes. Ouvrir un droit d’action à tous sans filtrage étant impossible, l’exigence d’un intérêt direct et personnel permet de réduire un nombre potentiel de recours. Cependant, et afin d’ouvrir le prétoire suffisamment largement pour sauvegarder la légalité des actes administratifs, le juge, au fil de sa jurisprudence, a étendu autant que possible la reconnaissance d’un intérêt direct et personnel. Un simple intérêt « froissé » semble suffire pour agir en annulation.

En matière d’urbanisme, et plus spécifiquement de recours à l’encontre d’un permis de construire, la qualité de voisin(s) direct(s) du projet suffisait à démontrer l’intérêt à agir.

Toutefois, face à la croissance exponentielle de recours à l’encontre des autorisations d’urbanisme, l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 est venue instaurer de nouvelles règles afin de lutter contre les recours abusifs en matière d’urbanisme

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L’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme a été modifié comme suit :

« Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation »

Ces nouvelles dispositions permettent in fine d’encadrer un peu plus strictement l’intérêt à agir et donc les recours malveillants.

Désormais, le requérant doit rapporter la preuve que la construction projetée affecte directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’il détient ou occupe régulièrement.

Dans un arrêt en date du 10 juin 2015, le Conseil d’Etat précise pour la première fois l’analyse de l’intérêt pour agir des requérants en matière d’urbanisme conformément au nouvel article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme.

« 4. Considérant qu’aux termes de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme : " Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du
code de la construction et de l’habitation " ;

5. Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ; qu’il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; qu’il appartient ensuite au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ; »

En l’espèce les requérants contestaient un permis de construire autorisant la construction d’une station de conversion électrique sur une parcelle située à 700 mètres de leur maison. Selon la haute juridiction, la qualité de voisins, et notamment la visibilité du projet de construction depuis la maison des requérants ne peuvent faire regarder la construction comme « de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance des biens des requérants  ».

Le juge fait donc une analyse fine, in concreto, de l’impact de la construction projetée sur la situation des demandeurs, à charge pour les défendeurs d’apporter également tous les éléments qui seraient de nature « à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité  ».

Le juge statuera suivant sa conviction. En l’espèce, le Conseil d’Etat a reconnu un intérêt pour agir dans la mesure où la construction envisagée exposait les requérants à des nuisances sonores. Dans ces conditions, « la construction (…) doit en l’état de l’instruction être regardée comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des biens des requérants  ».

Reste à préciser que de nombreux requérants ne justifient pas suffisamment d’un intérêt pour agir dans leur requête introductive d’instance. Il convient donc d’être prudent et de ne pas considérer que la seule qualité de voisin direct permettra à coup sûr de qualifier l’intérêt pour agir, au risque de se voir opposer un rejet de la requête par voie d’ordonnance.

Chloé RICARD, Avocat au barreau de LYON

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