L’interruption du délai de forclusion décennale par le Maître de l’ouvrage.

Par Alban Vignon, Avocat.

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Explorer : # délai de forclusion # garantie décennale # interruption de délai # maître de l’ouvrage

Sur le fondement de la garantie décennale, le Maître de l’ouvrage bénéficie d’un cadre juridique sécurisant permettant la préservation de ses recours.
Il prendra cependant garde de juger utilement les conséquences de la qualification du délai décennal en tant que délai de forclusion et l’absence d’effet erga omnes des actes qu’il fera délivrer aux fins d’interruption.

-

I- Principes applicables.

Le délai d’action du Maître de l’ouvrage à l’encontre des constructeurs et des sous-traitants se prescrit par dix années à compter de la réception des travaux [1].

La Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que le délai décennal est un délai de forclusion et non de prescription. Il en découle que le délai décennal peut seulement être interrompu et est insusceptible de suspension :

« Qu’en statuant ainsi, alors que la suspension de la prescription n’est pas applicable au délai de forclusion de la garantie décennale, la cour d’appel a violé le texte susvisé » [2], « la suspension de la prescription prévue par l’article 2239 n’est pas applicable au délai de forclusion de l’article 2239 du Code civil.

(…) Qu’ayant relevé que l’assignation en référé du 6 décembre 2008 avait interrompu le délai de forclusion et qu’un expert avait été désigné par une ordonnance du 7 avril 2009 (…), la cour d’appel en a déduit à bon droit que Madame X était forclose quand elle a assigné au fond la SCI le 10 décembre 2010 [3] ».

Ces jurisprudences ont été récemment confirmées par la troisième chambre de la Cour de cassation [4].

Les effets d’une telle interruption sont édictés aux termes des articles 2239 et 2242 du Code civil :
- Article 2239 : « l’interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien »,
- Article 2242 : « l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à extinction de l’instance ».

L’interruption du délai de forclusion au profit du Maître de l’ouvrage à l’encontre d’un constructeur ou d’un sous-traitant résulte traditionnellement de la délivrance d’une assignation en référé tendant à la désignation d’un expert judiciaire, ce sous la réserve de la désignation précise des désordres [5].

Le Maître de l’ouvrage, par la délivrance d’une assignation, interrompt donc le délai de forclusion et fait courir un nouveau délai de dix années.

Ce nouveau délai de dix années commence à courir à compter de l’ordonnance du Juge des référés faisant droit à la demande d’expertise judiciaire puisque l’ordonnance porte extinction de l’instance.

Le Maître de l’ouvrage est fortement protégé par un tel effet interruptif puisque ce n’est qu’exceptionnellement que le délai entre l’ordonnance du Juge des référés et l’action au fond sera supérieur à 10 années.

Au stade des référés, l’interruption par le Maître de l’ouvrage du délai de forclusion à l’encontre des constructeurs concernés lui permet donc d’aborder sereinement le suivi de son dossier quant à la recevabilité de ses demandes.

Le Maître de l’ouvrage peut également interrompre le délai de prescription à l’encontre d’un constructeur en formant une demande au fond par assignation ou conclusions.

Il y aura alors intérêt notamment lorsqu’au cours des opérations d’expertise un constructeur à la cause aura assigné l’un de ses coobligés, une telle demande ne pouvant bénéficier au Maître de l’ouvrage au regard de l’absence d’effet erga omnes d’une telle demande :

« les ordonnances de référé déclarant commune à d’autres constructeurs une mesure d’expertise précédemment ordonnée n’ont pas d’effet interruptif de prescription à l’égard de ceux qui n’étaient parties qu’à l’ordonnance initiale » [6].

Dans une telle occurrence, le délai de forclusion recommence à courir au jour de la décision au fond mettant fin à l’instance.

II- Exemple pratique.

Des travaux sont réceptionnés par le Maître de l’ouvrage le 30 septembre 2011.

Sur le fondement de la garantie décennale, le Maître de l’ouvrage se plaignant de désordres dispose d’un délai de dix années à compter de la réception pour faire valoir ses demandes, soit jusqu’au 30 septembre 2021.

Une assignation en référé tendant à la désignation d’un expert judiciaire est délivrée par le Maître de l’ouvrage à l’encontre d’une société X par exploit du 20 septembre 2021.

Le juge des référés fait droit à cette demande par ordonnance du 30 novembre 2021.

Le délai de forclusion est interrompu le 20 septembre 2021 (soit avant l’échéance du délai de forclusion) et recommence à courir pour un nouveau délai de 10 années à compter de la fin de l’instance, soit à la date de l’ordonnance du juge des référés.

Le Maître de l’ouvrage est donc fondé à faire valoir ses demandes à l’encontre de la société X, par exemple dans le cadre d’une procédure au fond, jusqu’au 30 novembre 2031.

Alban Vignon
Avocat au Barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Article 1792-4-3 du Code civil.

[2Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 novembre 2016, n° 15-24829.

[3Cour de cassation, 3ème chambre civile, 3 juin 2015, n°14-15796.

[4Cour de Cassation, chambre civile 3, 10 juin 2021, n°20-16837.

[5Cour de Cassation, Chambre civile 3ème, 18 juin 2003, n°96-22340.

[6Cour de cassation, Chambre civile, 7 novembre 2012, 11-23.229, publié au bulletin ; Cour de cassation, chambre civile 3, 7 novembre 2012, n°11-23229, publié au bulletin, Cour de cassation, chambre civile 3, 19 mars 2020, n°13-459, publié au bulletin.

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