Le juge constitutionnel a été saisi le 26 avril 2024 par le Conseil d’Etat [1] d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question, qui porte sur la constitutionnalité de l’article L 134-4 du code général de la fonction publique, revient sur le régime de la protection fonctionnelle des agents publics [2].
L’article L 134-4 du Code général de la fonction publique dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 24 novembre 2021 dispose que : « Lorsque l’agent public fait l’objet de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. L’agent public entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection.
La collectivité publique est également tenue de protéger l’agent public qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale ».
Le requérant estime en effet que ces dispositions exclues du régime de la protection fonctionnelle des agents publics, les agents qui sont entendus sous le régime de l’audition libre. De ce fait, « ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre ces agents et ceux entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou qui se voient proposer une mesure de composition pénale, qui bénéficient d’une telle protection. Elles méconnaîtraient ainsi le principe d’égalité devant la loi » [3].
Il revenait donc au juge constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la loi fondamentale notamment la Constitution française de 1958 voire aux éléments du bloc de constitutionnalité de ces dispositions qui soulèvent la question du non-respect du principe d’égalité devant la loi notamment en ce qui concerne le régime de la protection fonctionnelle des agents publics.
Le juge constitutionnel déclare ces dispositions contraires à la Constitution et souligne en l’espèce que : « l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de priver du bénéfice de la protection fonctionnelle les agents publics entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou qui se voient proposer une mesure de composition pénale. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er juillet 2025 la date de l’abrogation de ces dispositions ».
L’analyse de cette décision est intéressante dans la mesure où elle intervient dans un climat politique marqué par la dissolution de l’Assemblée nationale [4] ; et donc la question de la protection des droits et libertés des citoyens notamment ceux des agents publics demeure cruciale.
Il convient d’analyser la position du juge constitutionnel visant à assurer une meilleure protection fonctionnelle des agents publics (II) à la suite de la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions de l’article L 134-4 du code général de la fonction publique (I).
I-Des dispositions encadrant la protection fonctionnelle des agents publics déclarées inconstitutionnelles.
La protection fonctionnelle des agents publics [5] sous-entend, la prise de toutes mesures utiles à titre préventif (ou de protection) de la part de l’administration (employeur) afin de faire cesser toutes éventuelles agressions ou tous risques manifestes d’atteinte à l’intégrité physique de l’agent public. Des mesures urgentes adaptées peuvent donc être prises pour faire cesser le risque. Dans une décision récente, le Conseil d’Etat souligne que la demande de protection fonctionnelle formulée par un agent public ne peut être communiquée à une autre personne que l’agent demandeur [6].
Dans une décision de 2021, le Tribunal des conflits rappelle que dans le cadre de la protection fonctionnelle mise en place pour les agents publics, l’administration doit prendre en charge les honoraires demandés par l’avocat. Ce n’est dans l’hypothèse où les honoraires sont manifestement excessifs, qu’une prise en charge partielle peut avoir lieu [7]. La protection fonctionnelle des agents publics repose sur plusieurs considérations : « garantie de l’ordre public et protection de la société s’agissant de son aspect pénal ; souci de ne pas laisser le fonctionnaire sans défense face aux menaces ou attaques des administrés ; protection de la continuité et du bon fonctionnement du service public à travers son volet administratif » [8].
Dans cette présente décision, objet de notre analyse, il est question de la protection de la part de la collectivité publique en cas de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions [9].
Le requérant attire l’attention du juge constitutionnel sur l’absence d’égalité entre différents régimes notamment selon que les agents publics se retrouvent dans un régime d’audition libre, en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou qui se voient proposer une mesure de composition pénale. L’article L 134-4 du code général de la fonction publique semble exclure les agents publics se retrouvant dans un régime d’audition libre de la possibilité de bénéficier d’une éventuelle protection fonctionnelle. Ce qui serait contraire au principe d’égalité devant la loi tel que le relève l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC). Le principe d’égalité devant la loi [10], a une valeur constitutionnelle ; il revient donc au juge constitutionnel d’assurer sa garantie.
Le Conseil constitutionnel souligne que la différence de traitement institué par les dispositions contestées est sans rapport avec l’objet de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Par conséquent, ces dispositions sont contraires à la Constitution.
Ces dispositions déclarées inconstitutionnelles invitent le législateur à revoir son appréciation du régime de protection fonctionnelle des agents notamment dans l’hypothèse d’une audition libre. L’audition libre [11] permet en effet d’interroger une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction sans la mettre en garde à vue. L’exclusion du bénéfice de la protection fonctionnelle à un agent public se retrouvant dans une situation d’audition libre constitue une discrimination et donc une rupture avec le principe d’égalité devant la loi.
Le juge constitutionnel n’est pas à sa première application du principe constitutionnel d’égalité [12]. Sa jurisprudence en rapport avec ce principe est abondante et couvre plusieurs domaines notamment : la loi, les emplois publics, la justice, l’impôt…
Par ailleurs, cette décision QPC au-delà de révéler une nouvelle fois l’importance du dispositif qu’est la QPC dans le système judiciaire français, montre un juge constitutionnel non seulement soucieux de la protection des droits et libertés des citoyens par le biais de son contrôle de constitutionnalité des lois mais aussi des effets liés à sa décision (II).
II-Une position du juge constitutionnel visant une meilleure protection fonctionnelle des agents publics.
Une déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition législative a pour conséquence d’entrainer l’abrogation de cette disposition. Il s’agit là des effets susceptibles de produire une décision constitutionnelle ou en matière de question prioritaire de constitutionnalité.
En l’espèce, le Conseil constitutionnel souligne que : « l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de priver du bénéfice de la protection fonctionnelle les agents publics entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou qui se voient proposer une mesure de composition pénale. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er juillet 2025 la date de l’abrogation de ces dispositions » [13].
Le juge constitutionnel a su canaliser les effets de sa décision. En reportant à une année plus tard les effets de sa décision, le juge constitutionnel semble avoir fait une double interprétation intéressante que l’on peut évoquer ici.
La première interprétation est la prise en compte de la situation politique particulière actuelle. En effet, à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République le 9 juin 2024, les nouvelles élections législatives étant en cours, le législateur n’est pas à même de prendre dans les brefs délais une nouvelle loi pour régler la discrimination opérée par l’article L 134-4 du code de la fonction publique sur la protection fonctionnelle des agents publics en ce qui concerne l’exclusion du régime d’audition libre de cette protection.
Cela étant, le fait de différer la date d’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles permet au futur législateur de prendre une nouvelle loi adéquate pour assurer l’égalité des agents publics devant la loi. De ce fait, le juge a su concilier et anticiper les effets de sa décision avec les effets d’une éventuelle future cohabitation au sein du pouvoir exécutif qui peut découler des conséquences de la dissolution de l’Assemblée nationale.
La seconde interprétation est la prise en compte de la situation de l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité des lois. En effet, le Conseil constitutionnel souligne en l’espèce que : « En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité » [14]. Cela étant, pour permettre au demandeur de la QPC d’être situé, le Conseil soutient que : « En revanche, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection à l’agent public entendu sous le régime de l’audition libre à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions » [15].
Le juge constitutionnel par cette décision QPC, ouvre la voie à une meilleure avancée du régime de protection fonctionnelle des agents publics en prenant en compte le régime d’audition libre tout en assurant une garantie de la sécurité juridique.